Qualification du délai
La jurisprudence établit que le délai pour produire une réclamation à la CSST ne constitue ni un délai de déchéance ni un délai de rigueur, puisqu’un tel délai ne peut être présumé et que rien dans la loi ne milite en ce sens. Au contraire, la prorogation de ce délai est expressément prévue à l’article 352.
- M… G… et Compagnie A,C.L.P. 341949-63-0802, 25 mars 2009, J.-P. Arsenault.
L'article 270 prévoit qu'une personne qui soumet une réclamation à la CSST doit le faire dans les six mois de sa lésion. Il ne s'agit pas d'un délai de rigueur et la CSST, en vertu de l'article 352, peut relever une personne de son défaut de respecter ce délai si elle démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
- M... S... et Compagnie A, 2011 QCCLP 3682.
Le délai de réclamation prescrit aux articles 270 et 271, que la CSST peut prolonger et dont le non-respect peut être excusé pour un motif raisonnable, s’assimile à un délai de prescription.
- Stadacona, S.E.C. et Tremblay (succession), 2011 QCCLP 4654.
La tardiveté de la réclamation n’est toutefois pas fatale à la succession puisque le délai qui y est prévu n’est pas un délai de déchéance. Aucune disposition de la loi ne qualifie le délai de réclamation comme étant de rigueur. Au contraire, la prolongation du délai prévu pour l'exercice d'un droit est expressément prévue à l'article 352.
- Boudreault et Centres jeunesse de Montréal, 2012 QCCLP 1583, (décision rejetant la requête en révision).
Le tribunal ne retrouve nulle part dans la loi quelque mention ou élément permettant de conclure que le délai de réclamation à la CSST en est un de déchéance et, bien au contraire, le fait que le législateur ait prévu, à l’article 352, la possibilité de prolonger le délai de réclamation, signe en quelque sorte, la nature de celui-ci qui ne peut dès lors être considéré de déchéance. Quant au délai dit de « rigueur » , il est plus particulièrement évoqué dans le cadre des délais dits « de procédure », lesquels s’entendent des délais non pas pour introduire un recours, comme en l'espèce, mais plutôt pour faire valoir divers moyens, demandes et procédures dans le cadre d’un recours déjà entrepris. En outre, ces délais de rigueur sont également considérés être d’exception et jugés beaucoup moins nombreux que ceux qui ne le sont pas. Dès lors, le fait que le premier juge administratif n’ait pas évoqué que le délai qu’il devait apprécier était un délai de rigueur ou de déchéance, et qu’il ait apprécié ce délai en conséquence, ne peut certainement pas être assimilé à une erreur grave, manifeste et déterminante.
- Bernier et Cuisines gaspésiennes de Matane,2013 QCCLP 545.
Le tribunal ne peut concourir à l'opinion que le délai de six mois prévu aux articles 270, 271 et 272 est un délai de rigueur. Il est plutôt d'avis que si le législateur avait voulu que le délai prévu à ces articles soit de déchéance des droits des parties intéressées, il l'aurait clairement indiqué dans sa rédaction. Or, à la lecture de ces articles, rien n'indique que le législateur prévoit une nullité de recours à défaut de déposer une réclamation dans les délais. Il a plutôt prévu, en cas de défaut du respect des délais mentionnés à ces articles ainsi qu'à bien d'autres dans la loi, la possibilité pour le tribunal de remédier à ces carences, et ce, de façon spécifique aux articles 352, 358.2 et 429.19.
- Moreau et M. L. Division Toiture inc.,2013 QCCLP 6243.
Le travailleur a produit sa réclamation cinq mois suivant l'expiration du délai de six mois prévu à l'article 270. Toutefois, ce délai n'est pas un délai de déchéance, un tel délai ne pouvant être présumé, et rien dans la loi ne milite de quelque façon que ce soit en ce sens, bien au contraire. En effet, la prorogation de ce délai est expressément prévue à l'article 352.
- Brunelle et Aréna de Repentigny,2014 QCCLP 4318.
Le délai de six mois prévu à l’article 270 n’est pas un délai de rigueur puisque la loi prévoit que la CSST peut prolonger un délai accordé pour l’exercice d’un droit ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter lorsque celle-ci démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
- Blanchette et Verreault Navigation inc., 2016 QCTAT 288.
Après une revue de la jurisprudence en la matière, le Tribunal retient que le délai de six mois n'est pas un délai de déchéance, un tel délai ne pouvant être présumé et rien dans la LATMP ne milite de quelque façon en ce sens. D'ailleurs, la prorogation de délai est expressément prévue à l'article 352.
- English et Commission scolaire des Chic-Chocs, 2017 QCTAT 87.
Le délai de production d'une réclamation, tel que prévu aux articles 270 et 271, n'en est pas un de déchéance. Un tel délai ne pouvant être présumé et rien dans la loi ne milite de quelque façon en ce sens. La prorogation de ce délai est même expressément prévue à l'article 352. Ainsi, une réclamation déposée tardivement à la Commission peut être déclarée recevable si le travailleur démontre un motif raisonnable expliquant son retard.
Voir également :
Dans l'affaire Global Credit & Collection inc. c. Rolland, la Cour d'appel analyse les indices permettant de qualifier un délai de déchéance en l'absence d'une mention expresse de la part du législateur. Malgré que l'analyse porte sur l’article 123.7 de la Loi sur les normes du travail (LNT) à l'égard du dépôt d'une plainte de harcèlement psychologique, la CLP pourrait s'inspirer de ce jugement pour qualifier le délai prévu aux articles 270, 271 et 272.
- Global Credit & Collection inc. c. Rolland,2011 QCCA 2278.
La Cour doit déterminer si le délai prévu à l'article 123.7 à la Loi sur les normes du travail (LNT) constitue un délai de déchéance et si le commissaire doit le soulever d’office. Selon cet article, toute plainte relative à une conduite de harcèlement psychologique doit être déposée dans les 90 jours de la dernière manifestation de cette conduite. Bien que la jurisprudence n'exige pas que le texte de l'article édictant un délai contienne le terme « déchéance », il faut tout de même qu'il ressorte nettement du texte que l'intention du législateur est d'en faire un tel délai, ce qui se manifeste par une mention précise, claire et non ambiguë. Or, le libellé de l'article 123.7 LNT n'exprime pas de façon précise, claire et non ambiguë que le législateur souhaitait en faire un délai de déchéance. L'emploi du terme « doit être » indique certes que le délai est impératif, en ce qu'il ne peut être allongé à la discrétion de la Commission, mais cela ne signifie pas qu'il s'agit d'un délai de déchéance puisque le délai de prescription a également un caractère impératif ne pouvant être prolongé, donc expressément que par suspension ou interruption. Quant au but et au rôle du délai, critères identifiés par les auteurs de doctrine, la Commission conclut que l'article 123.7 de la LNT s'inscrit dans une loi de nature rémédiatrice. Selon la Cour d'appel, la Commission aurait également pu souligner, de manière plus précise, qu'il s'insère dans le régime du recours pour harcèlement psychologique ayant été adopté pour conférer aux victimes de tels gestes une voie d'action moins coûteuse et plus rapide que le recours devant les tribunaux civils, ainsi que pour minimiser l'absentéisme résultant de tels comportements, qui entraîne des coûts importants pour les entreprises. Ainsi, le but et le rôle du délai s’opposent alors à la qualification de délai de déchéance malgré le caractère relativement court du temps imparti.
CLP soulève d'office la question du délai
Peu de décisions analysent la possibilité pour la CLP de soulever d'office la question du non-respect du délai concernant le dépôt d'une réclamation. Lorsque cette question est examinée, la jurisprudence établit majoritairement qu'il n'y a pas lieu pour le tribunal d'invoquer d'office le non-respect du délai. De ce fait, bon nombre de décisions sont rendues sans que le tribunal n'ait soulevé la question du délai de réclamation.
- Couture et Boless inc., C.L.P.197352-03B-0301, 16 décembre 2003, P. Brazeau.
Après que l'employeur ait renoncé à soulever d'office l'irrecevabilité de la réclamation, la CLP considère qu'il n'y a pas lieu de soulever d'office la question du délai de production d'une réclamation, car elle ne constitue pas réellement une question préliminaire à l'exercice de sa compétence juridictionnelle à se saisir de la contestation, mais plutôt un argument de droit parmi d'autres arguments susceptibles d'être soulevés à l'encontre de l'admissibilité de la réclamation.
Suivi :
Révision rejetée, 30 août 2004, J.-L. Rivard.
- Côté et Bombardier Prod. Récréatifs inc.,[2005] C.L.P. 958.
La CLP n’a pas à soulever d’office la question du respect des délais prévus aux articles 270 et suivants concernant le dépôt d’une réclamation. Il ne s’agit pas d’une question de compétence pour le tribunal et personne n’a soulevé d’objection à cet effet.
- M... S... et Compagnie A,2011 QCCLP 3682 .
Selon l'article 2878 du Code civil du Québec, la CLP ne peut invoquer d'office le non-respect d'un délai de prescription. Le délai de réclamation prescrit aux articles 270 et 271 que la CSST peut prolonger et dont le non-respect peut être justifié par un motif raisonnable s'assimile à un délai de prescription. Il n'y a donc pas lieu, dans le cadre du présent dossier, de rendre une décision relativement au délai de réclamation, puisque ni l'employeur ni la CSST n'ont soulevé cette question et qu'il est implicite que cette dernière a jugé que la réclamation du travailleur était recevable.
Suivi :
Révision rejetée, 2013 QCCLP 6383.
- Boudreault et Centres jeunesse de Montréal, 2012 QCCLP 1583, (décision rejetant la requête en révision).
Le tribunal ne conçoit pas en quoi et pourquoi le délai de réclamation devrait être considéré d’ordre public et être soulevé d’office par le tribunal.
Voir également :
Rousseau et Société de transport de l'Outaouais, [2006] C.L.P. 85.
Voir cependant :
Blais et Olymel-Flamingo (Berthierville), 2012 QCCLP 1177.
Par ailleurs, certains décideurs soulèvent d'office le délai de réclamation sans toutefois élaborer sur la question.
Courteau et Rial électrique inc., 2012 QCCLP 4913.
Air Canada et Lafrance, 2012 QCCLP 5968.
Laliberté et Boutique Marie-Claire inc., 2012 QCCLP 6377.
Sedigh et Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada, 2014 QCCLP 2252.
Gosselin et Garier inc., 2014 QCCLP 4041.
Voir également :
Dans l'affaire Global Credit & Collection inc. c. Rolland, la Cour d'appel analyse les indices permettant de qualifier un délai de déchéance en l'absence d'une mention expresse de la part du législateur et la possibilité pour la Commission des relations de travail (CRT) de soulever d'office cette question. Malgré que l'analyse porte sur l’article 123.7 de la Loi sur les normes du travail (LNT) à l'égard du dépôt d'une plainte de harcèlement psychologique, la CLP pourrait s'inspirer de ce jugement afin de statuer sur la nécessité de soulever d'office la question du délai de réclamation.
- Global Credit & Collection Inc. c. Rolland, 2011 QCCA 2278.
La Cour doit déterminer si le délai prévu à l'article 123.7 de la Loi sur les normes du travail constitue un délai de déchéance et si le commissaire doit le soulever d’office. Selon cet article, toute plainte relative à une conduite de harcèlement psychologique doit être déposée dans les 90 jours de la dernière manifestation de cette conduite. Pour la Cour, le non-respect du délai de 90 jours prévu afin de déposer une plainte pour harcèlement psychologique ne peut être invoqué d'office par la CRT, car il s'agit d'un délai de prescription et non de déchéance.
Questions indissociables
Selon la jurisprudence du tribunal, la recevabilité et l'admissibilité d'une réclamation pour une lésion professionnelle sont des questions indissociables. Ainsi, une partie au dossier peut soulever la question du hors délai de la réclamation alors qu'elle n'a pas initié de contestation devant le tribunal. La CLP peut disposer de cette question, que la CSST ou l'instance de révision en ait disposé ou non, puisqu'il s'agit d'une question préliminaire à l'admissibilité de la réclamation.
- Powley et Commission scolaire New Frontiers, C.L.P. 338549-62C-0801, 30 octobre 2008, C. Burdett.
Une contestation sur l'admissibilité d'une réclamation entraîne la possibilité d'étudier à nouveau chacune des conditions essentielles. Toutes ces questions sont indissociables de la recevabilité de la réclamation. À cet égard, le présent tribunal fait siens les propos tenus dans Blanchette et Durivage Multi-Marques inc. La CLP et la Cour supérieure ont également qualifié d'indissociable du fond du litige, la question du délai pour la soumission d'une réclamation à la CSST. En conséquence, le respect du délai des articles 270 ou 272, dans le cadre du dépôt d'une réclamation, est une question préalable qui est incluse au fond du litige et qui, par conséquent, en est indissociable. Cette thèse ne s'écarte pas de la notion de recours formée selon l'article 369 puisqu'il existe une décision qui porte sur l'admissibilité et qui comporte certaines conditions essentielles sous-jacentes. Cette décision fait l'objet d'une contestation par une partie qui s'en estime lésée, en l'occurrence le travailleur. Un recours étant formé, la partie qui n'a pas manifesté son désaccord sur la question de l'admissibilité n'a pas besoin d'avoir contesté cette condition d'application d'une lésion professionnelle. Ainsi, une partie peut soulever l'irrecevabilité d'un recours prescrit, en l'occurrence la réclamation pour maladie professionnelle, même si elle n'a pas déposé de recours à l'encontre de la recevabilité de la réclamation en application avec les articles 359 et 369.
- Eng et Quincaillerie Richelieu inc., C.L.P. 340868-61-0802, 10 décembre 2008, I. Piché.
En présence d'une décision favorable à une partie sur le fond du litige, et ce, même si elle n'a pas gain de cause sur un moyen préalable, la CLP considère qu'elle aura raison de ne pas se croire lésée par ladite décision et, par conséquent, de ne pas la contester. Dans un tel contexte, elle ne se croira lésée qu'au jour où une décision finale de la CLP sera rendue et infirmera la décision antérieure, de là l'importance de permettre à une partie ayant un intérêt dans un litige de faire valoir en temps opportun tous ses moyens pour s'opposer à une contestation. Le présent tribunal adhère au courant jurisprudentiel voulant que le délai de réclamation soit indissociable du fond du litige puisqu'il croit contraire à l'esprit du droit administratif d'obliger une partie à multiplier des recours strictement préventifs, alors que le législateur ne l'a pas prévu ainsi. Comme il a déjà été décidé, une contestation de l'admissibilité d'une réclamation entraîne la possibilité de réétudier tout et chacun des éléments moindres et inclus dans la notion d'admissibilité.
- D... B... et École secondaire A, 2012 QCCLP 370.
La soussignée s’inscrit à l’intérieur du courant jurisprudentiel voulant que la question du hors délai de réclamation et la question de l’admissibilité de la lésion professionnelle soient des questions indissociables. La CLP considère que lorsque le tribunal est valablement saisi d’une contestation, il doit rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu. Cela implique que tous les aspects incidents à l’objet en litige peuvent être examinés à nouveau, y compris la recevabilité de la réclamation. L’employeur peut donc soulever la question du hors délai de la réclamation lorsque le travailleur conteste la décision de la CSST qui rejette sa réclamation sur le fond.
- Labrie et Entreprises Denpro inc.,2013 QCCLP 5267.
La jurisprudence est maintenant majoritaire, voire quasi unanime, à considérer que le délai de réclamation est indissociable du fond du litige. En effet, la jurisprudence majoritaire considère que la recevabilité et l’admissibilité d’une réclamation pour une lésion professionnelle sont des questions indissociables et que, de ce fait, la CLP peut se prononcer sur la recevabilité d’une réclamation présentée à la CSST, même si cette question ne fait pas l’objet de la décision contestée par la travailleuse, qu’elle est soulevée pour la première fois par l’employeur devant la CLP et que l’employeur n’a pas contesté la décision en question.
- Faille et Les Pavages Chenail inc., 2015 QCCLP 6305.
La recevabilité et l'admissibilité d'une réclamation constituent des questions indissociables, selon la jurisprudence majoritaire. Ainsi, la question de la recevabilité d'une réclamation peut être soulevée par une partie à l'audience même si cette partie n'a pas elle-même contesté la décision de la CSST ou encore, même si cette question n'a jamais été soulevée auparavant.
Voir également :
Blanchette et Durivage - Multi-Marques inc., C.A.L.P. 41769-63-9207, 20 juin 1995, L. Thibault.
Lemay et A. & D. Prévost inc., 2012 QCCLP 2007.
Gervais et 9224-7782 Québec inc., 2017 QCTAT 81.