Interprétation

Retour à l'article
 
. 30. Maladie non prévue à l'annexe

Fardeau de la preuve

L’analyse de la preuve se fait selon les règles juridiques de la balance des probabilités. Il n’y a pas lieu de rechercher la certitude scientifique. L’exigence d’une preuve scientifique n’est pas conforme à l’esprit de la loi et représente un fardeau trop lourd pour le travailleur.

Brasserie Labatt ltée et Trépanier, [2003] C.L.P. 1485.

La preuve médicale revêt une importance toute particulière puisque, même si la détermination des risques particuliers peut se faire par une preuve profane, l'établissement d'une relation entre ces risques et un diagnostic relève en grande partie de la preuve d'expert. Cependant, le fardeau de preuve est celui de la balance des probabilités et il n'est donc pas nécessaire qu'une preuve de certitude scientifique soit faite.

 

Tétrault et Sécurité publique, [2008] C.L.P. 420.

Par la notion de risques particuliers, le législateur a reconnu comme maladie professionnelle des maladies reliées à des facteurs de risque présents dans le milieu de travail. Même lorsqu’une maladie a une origine multifactorielle, si la preuve démontre que le travail a contribué de manière significative et déterminante au développement de la maladie, celle-ci pourra être qualifiée de maladie professionnelle. Le fait qu’il n’existe pas de preuves scientifiques n’empêche pas le tribunal d’en arriver à une conclusion favorable, car le standard est celui de la preuve prépondérante et non celui de la certitude scientifique.

 

Théberge et Caisse Desjardins Nord Sherbrooke, 2011 QCCLP 5828.

Étant donné que l’article 30 constitue l’une des seules dispositions de la loi qui impose au travailleur un fardeau de preuve particulier, le tribunal considère qu’il ne peut se satisfaire de simples allégations de la travailleuse pour reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle, mais qu’il doit disposer d’une preuve prépondérante. En matière de relation causale, le fardeau de preuve exigé n’est pas celui de la rigueur scientifique, mais bien de la prépondérance de preuve. 

 

Bradet et SITED SEC, 2012 QCCLP 5519.

La preuve scientifique est évaluée selon la balance des probabilités et non de la certitude scientifique. Le travailleur doit prouver qu’il est plus probable que la maladie dont il est atteint découle de son travail et non d’une autre cause étrangère. L’existence d’un diagnostic est aussi démontrée par balance de probabilités et non par certitude scientifique. Le droit et la science ne parlent pas le même langage et leurs réflexions respectives se font à un niveau différent, à partir de concepts divers. Il existe une différence majeure au niveau de la force de conviction requise par chacune de ces disciplines. Il n’appartient pas au tribunal de trancher des débats scientifiques ni de proposer sa propre interprétation des données qui lui ont été soumises. Son rôle est de dégager la prépondérance de la preuve à partir de l’analyse de l’interprétation faite par les experts en la matière.

 

Chevarie et Duclos Cablevision ltée, 2014 QCCLP 2067.

C’est sur la base de la prépondérance de preuve que le tribunal doit déterminer si un lien de causalité a été établi entre la lésion diagnostiquée et les tâches de l’emploi de la travailleuse. Comme le souligne la Cour d’appel dans l’affaire S.A.A.Q. c. Viger, un tel degré de preuve n’exige pas nécessairement une certitude scientifique. Ce principe avait précédemment été énoncé par le juge Gonthier de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Laferrière c. Lawson.

 

Fene-Tech inc. et Roy, 2015 QCCLP 1603.

Le tribunal rappelle en effet que le fardeau de preuve n'est pas celui de la preuve scientifique, mais celui de la preuve prépondérante.

 

Guilbault et Sécurité - Incendie Ville de Montréal, 2015 QCCLP 6111.

Quant à savoir si la maladie est reliée aux risques particuliers du travail, le degré de preuve requis est la prépondérance de la preuve. En médecine, la recherche exige un standard plus élevé, souvent qualifié de preuve scientifique qu'il ne faut pas confondre avec ce qui est requis devant le tribunal.

 

Giguère et Centre de Santé Inuulitsivik, 2015 QCCLP 4258.

Il ne faut pas exiger du travailleur une preuve scientifique ou un fardeau de preuve excessif. Par ailleurs, une opinion ou une théorie hypothétique avancée, non confirmée par les éléments factuels ou contraires à ceux-ci, ne répond pas au fardeau de la prépondérance de preuve. Sans exiger une preuve factuelle précise, on ne peut considérer une allégation vague et imprécise comme une preuve prépondérante.

 

Suivi :

Pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, 2017 QCCS 4547.

Voir également :

Cyr et Robert L. Gaudet inc., C.L.P. 313598-01B-0703, 29 mai 2009, R. Arseneau. 

Khemiri et Banque Royale du Canada, C.L.P. 297358-71-0608, 8 mars 2010, M. Racine.

Blanchard et Drakkar & Associés inc., 2013 QCCLP 1188.

St-Pierre et Camillien Charron (1992) inc., 2013 QCCLP 6776.

Date de la maladie professionnelle

La date d’un accident de travail est claire, car un événement se produit à une date précise. Dans le cas d’une maladie professionnelle, plusieurs approches sont possibles pour déterminer la date, car il est plus difficile d’identifier la date exacte de la survenance de la maladie professionnelle en raison de son caractère évolutif. Certaines décisions ne précisent pas la date de la maladie professionnelle. D’autres décisions déterminent que la date correspond à l’apparition des symptômes ou à la date mentionnée sur l’attestation médicale.

Chacon et Moulage d’aluminium Howmet ltée, [2004] C.L.P. 1290 (décision sur requête en révision).

La maladie professionnelle n’est pas reliée à la survenance d’un événement particulier dans le temps et le début de la maladie demeure impossible à préciser en raison de son caractère évolutif. S’il est nécessaire de préciser une date, celle à laquelle le travailleur a droit aux prestations apparaît plus en lien avec le litige à trancher que celle où est survenue la lésion. Dans plusieurs décisions, le dispositif ne précise pas la date de la maladie professionnelle. Dans d’autres décisions, la date choisie est celle de la première consultation médicale ou celle de l’attestation médicale ou de l’arrêt de travail. La décision qui reconnaît au travailleur le droit aux prestations à compter de la date de l’attestation médicale de son médecin, parce qu’il est porteur, à cette date, d’une maladie professionnelle, ne constitue pas une erreur.

 

Suivi :

Requête en révision judiciaire continuée sine die, C.S. 500-17-024362-058, 15 juillet 2005. 

Bélanger et Ganotec inc., C.L.P. 221971-05-0312, 20 juin 2005, L. Boudreault.

Il faut situer la date de l'apparition de la maladie professionnelle au moment où les symptômes sont apparus, vers le 19 novembre 2001. Le travailleur a consulté dès le 23 novembre 2001 un médecin qui a recommandé qu'il cesse de travailler en raison de la symptomatologie présentée. Par conséquent, le travailleur a subi une maladie professionnelle pulmonaire le 19 novembre 2001 entraînant l'arrêt de travail du 23 novembre 2001 et ce, même si la confirmation du diagnostic exact n'a été faite que deux ans et demi plus tard par une deuxième série de tests.

 

Emballages Knowlton inc. et Bennett, C.L.P. 279334-62A-0512, 25 septembre 2007, N. Tremblay.

En matière de maladie professionnelle, il est souvent impossible de préciser la date à laquelle elle survient puisque, contrairement à une blessure, elle n’est pas reliée à un événement précis et est plutôt de nature évolutive. Le début de la maladie professionnelle sera alors la date d’apparition des premiers symptômes. La date de la maladie professionnelle correspond à la date de l’attestation médicale.

 

Grandbois et Centre dentaire Garon-Sauvé & Ass. (f), 2014 QCCLP 319.

En matière de maladie professionnelle, il est difficile de préciser la date de sa survenance puisqu'elle n'est pas reliée à un événement précis. Une maladie musculosquelettique causée par les risques particuliers du travail évolue sur une longue période d'exposition. Cela peut être sur quelques mois ou plusieurs années. Dans la plupart des cas, les symptômes apparaissent bien avant la première consultation médicale. La date de la maladie professionnelle est celle de l'apparition des premiers symptômes. En l'espèce, la travailleuse a reçu des traitements de chiropraxie le 25 octobre 2005 en raison des symptômes de cervicalgie qui l'affectait à ce moment. La date de la maladie professionnelle est donc le 25 octobre 2005.

 

Voir également : 

Location Gaétan Lévesque inc. et Therrien-Savard, 2016 QCTAT 7202.

Maladie d'étiologie multifactorielle

La jurisprudence établit que le fait qu’une maladie soit d’étiologie multifactorielle n’empêche pas sa reconnaissance à titre de maladie professionnelle.

On pourra qualifier une maladie d’étiologie multifactorielle de maladie professionnelle lorsque la preuve permet de conclure que le travail a contribué de façon significative et déterminante à l’apparition ou au développement de la maladie.

Roy et Komatsu International (Canada) inc., [2001] C.L.P. 244.

Légalement, on pourra qualifier une maladie d’étiologie multifactorielle de « maladie professionnelle » lorsque la preuve permet de conclure que le travail a contribué de façon significative et déterminante à l’apparition ou au développement de la maladie. C’est une preuve prépondérante qui permet de conclure en ce sens, sans l’exigence d’une preuve de niveau scientifique. C’est le cadre d’analyse de l’article 30.

 

Lucien Trembaly (Succession) et Alcan inc., [2007] C.L.P. 577 (formation de trois juges administratifs).

L’existence d’un risque professionnel doit être établie par une preuve prépondérante. Il n’a pas à être l’unique ni même la principale cause de la maladie du travailleur. Même lorsque certaines conditions sous-jacentes prédisposent à la maladie ou que d’autres causes agissent en parallèle, le caractère professionnel d’une maladie peut être reconnu dans la mesure où la contribution du risque particulier du travail est significative. Le fait qu’une pathologie soit multifactorielle n’empêche pas sa reconnaissance à titre de maladie professionnelle.

 

Tétrault et Sécurité publique, [2008] C.L.P. 420.

Par la notion de risques particuliers, le législateur a reconnu comme maladie professionnelle des maladies reliées à des facteurs de risques présents dans le milieu de travail. Même lorsqu’une maladie a une origine multifactorielle, si la preuve démontre que le travail a contribué de manière significative et déterminante au développement de la maladie, celle-ci pourra être qualifiée de maladie professionnelle. Le fait qu’il n’existe pas de preuves scientifiques n’empêche pas le tribunal d’en arriver à une conclusion favorable, car le standard est celui de la preuve prépondérante et non celui de la certitude scientifique, comme le rappelait la Cour suprême dans l’affaire Snell c. Farrell .

 

Rousseau et Matériaux Bomat inc., C.L.P. 310931-03B-0702, 4 juin 2008, G. Marquis.

Le législateur a reconnu comme maladie professionnelle, en vertu de l’article 30, non seulement les maladies causées par le travail mais aussi celles reliées à des facteurs de risque présents au travail. Dès lors, même si une maladie peut avoir une étiologie multifactorielle, elle est admissible à titre de maladie professionnelle lorsque la preuve permet de conclure que le travail a contribué de façon significative et déterminante à son apparition ou à son développement.

 

Composites VCI Matane inc. et Bouffard, C.L.P. 338222-01A-0801, 26 février 2010, R. Arseneau.

Selon la jurisprudence, le fait qu’une pathologie soit multifactorielle n’empêche pas sa reconnaissance à titre de maladie professionnelle. Même si le travailleur était porteur d’une importante condition personnelle avant de commencer à travailler pour l’employeur, la preuve prépondérante démontre que l’aggravation de son psoriasis est en relation avec les risques particuliers du travail qu’il exerçait à cette époque.

 

Voir également :

Abitibi Consolidated inc. et Marinoff, C.L.P. 189092-32-0208, 30 juillet 2004, M.-A. Jobidon.

Lalonde et Groupe Royal Technologie Québec inc., C.L.P. 248029-61-0411, 18 avril 2006, L. Nadeau.

Rajotte et 2428-8524 Québec inc., [2006] C.L.P. 1388.

Audet et Gestion GDG SNC, 2012 QCCLP 1467.

Lapierre et Hôtel Queen 2000, 2013 QCCLP 6848.

Connaissance d'office ou spécialisée du Tribunal

Voir :

Article 30 des Règles de preuve et de procédure du Tribunal administratif du travail.

 

Rôle du Tribunal devant les débats scientifiques

La jurisprudence établit que le rôle du tribunal n'est pas de trancher les débats scientifiques ni de proposer sa propre interprétation des données épidémiologiques. Il doit dégager la prépondérance de la preuve.

Falardeau et Bombardier inc. Centre de finition, C.L.P. 202492-71-0303, 20 septembre 2006, G. Robichaud.

Lorsque différentes études épidémiologiques sont présentées pour établir la relation entre le travail et une lésion et qu'on constate l'absence d'unanimité sur le caractère plausible, possible ou probable de cette relation, il faut éviter de se laisser prendre par l'examen de la validité ou de la valeur probante des études, sauf dans des cas flagrants. Ce n'est pas au tribunal de se prononcer sur la valeur de telle ou telle étude épidémiologique et cela, d'autant moins que ces études, au fil des années et de l'évolution de la recherche médicale, peuvent être modifiées, validées ou infirmées; d'autant moins, par surcroît, que pour décider de la valeur prépondérante d'une étude par rapport à une autre, le tribunal devrait s'engager dans l'évaluation de la validité des études, se questionner sur l'échantillonnage, sur la durée de l'étude, la qualité des chercheurs, la portée réelle et relative de leurs conclusions. À défaut de pouvoir conclure sur la valeur probante des études, il doit procéder à l'analyse de l'ensemble de la preuve testimoniale et documentaire concernant les volets factuel et médical de la preuve avant que de se prononcer, dans les limites de sa compétence, sur les questions qu'il est appelé à trancher. Il n'a pas à chercher la relation certaine, mais bien la relation probable avec le travail.

 

Levésque et 9041-8310 Québec inc., C.L.P. 274003-07-0510, 24 mars 2009, M. Langlois.

Il ne relève pas de la compétence de la CLP de se prononcer sur la valeur de telle ou telle étude épidémiologique, d'autant moins que, au fil des années, l'évolution de la recherche médicale permet de modifier, de valider ou d'infirmer les conclusions d'études qui, jusqu'alors, pouvaient encore servir d'autorité.

 

Alderick Morissette (succession) et Ville de Québec, [2009] C.L.P. 42.

Il est manifeste que le droit et la science ne parlent pas le même langage, que leurs réflexions se font à un niveau différent et à partir de concepts différents et qu'il existe une différence majeure au niveau de la force de conviction requise par chacune de ces disciplines. Il n'appartient pas à la CLP de trancher les débats scientifiques ni de proposer sa propre interprétation des données épidémiologiques qui lui ont été soumises. Son rôle est de dégager la prépondérance de la preuve, à partir de l'analyse et de l'interprétation faites par les experts en la matière, soit les experts entendus à l'audience et les auteurs des différentes études épidémiologiques et méta-analyses conduites depuis une trentaine d'années sur l'association entre le cancer et le travail de pompier.

 

Suivi :

Requête en révision judiciaire rejetée, 2010 QCCS 467.

Requête pour permission d'appeler rejetée, 2010 QCCA 1093.