Interprétation

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. 10. Pouvoirs et immunités

Processus de nature inquisitoire

La procédure devant le TAT est de nature hybride. Elle s’inspire de la procédure contradictoire du droit civil, mais ajoute un aspect inquisitoire.

Amyot et Derko ltée, C.L.P. 161539-32-0105, 27 janvier 2004, P. Simard.

Dans le cadre de cette démarche, le Tribunal peut interroger les témoins, apprécier la preuve écrite au dossier et celle produite ultérieurement et décider, par voie d'application de la prépondérance de la preuve, de l'issue du litige. Cette démarche doit se faire dans le respect des règles de justice naturelle et c'est la CLP qui est maîtresse de ses règles de preuve et de procédure. En conséquence, elle doit jouer un rôle de nature inquisitoire dans le contexte de l'application d'une loi d'ordre public. Le commissaire peut donc prendre l'initiative des débats, requérir des suppléments d'informations pertinentes, accorder des ajournements et disposer de toute requête en réouverture d'enquête pour permettre l'administration d'une preuve supplémentaire s'il le juge pertinent à la solution du litige.

 

Lavoie et Construction Hors-Pair inc., [2006] C.L.P. 953.

La CLP, dont la mission est de rechercher la vérité, ne peut se contenter, en pareil cas, d'une preuve limitée au bon plaisir des parties en cause. Elle n'entend pas adopter « l'attitude passive », mais se doit plutôt de « jouer un rôle de nature inquisitoire » dans sa recherche de la vérité incluant, entre autres, une juste appréciation de la crédibilité du travailleur, « ce qui constitue le but ultime d'une saine administration de la justice », le tout « afin de rendre une décision éclairée dans le cadre d'un processus de contestation de novo ».

 

Kacorri et Agence d’emploi El Rey, C.L.P. 373181-71-0903, 28 juin 2010, R. Goyette.

La loi confie des pouvoirs de nature inquisitoire à la CLP qui est un tribunal administratif de type contradictoire. Dans le but de prendre une décision éclairée, la CLP doit gérer les affaires dont elle est saisie de manière à faire ressortir les éléments de preuve pertinents, utiles et nécessaires à la découverte de la vérité dans le respect des règles de justice naturelle.

 

Suivi :

Révision rejetée, 2011 QCCLP 1126.

Révision judiciaire rejetée, 2012 QCCS 1074.

Lapierre et Hôtel Queen 2000, 2012 QCCLP 6303.

La procédure devant les tribunaux administratifs est davantage inquisitoire que devant les tribunaux de droit commun. En présence de représentants, de représentants qui ne sont pas avocats ou de personnes se représentant seules, les juges administratifs de la CLP peuvent très bien jouer un rôle actif dans le déroulement de l’audience. Il est de l’essence même d’un tribunal administratif d’avoir ce rôle actif dans la gestion des audiences. Il peut arriver qu’un juge administratif soit plus interventionniste et questionne davantage les parties ou les témoins dans sa recherche de la vérité.

 

Bossous et Aliments Spectra Québec, 2013 QCCLP 5212.

Les dispositions de la loi et de la LCE témoignent de l’intention du législateur de conférer à la CLP de larges pouvoirs afin qu’elle exerce sa compétence sous un mode d’enquête inquisitoire plutôt qu’un mode purement accusatoire. Dans le Dictionnaire de droit québécois et canadien, le terme inquisitoire est défini de la façon suivante : « Se dit d’un système de procédure en vertu duquel le juge dirige le procès et exerce un rôle prépondérant dans la recherche des faits et des éléments de preuve ».

 

Parent et CISSS de Laval, 2015 QCCLP 4806.

Les articles 378 LATMP et 6 de la LCE confère de larges pouvoirs à la CLP afin qu’elle exerce sa compétence sous un mode d’enquête inquisitoire plutôt qu’un mode purement accusatoire. C’est le juge qui dirige le procès et exerce un rôle prépondérant dans la recherche des faits et des éléments de preuve. Cette recherche de la vérité implique nécessairement une appréciation de la crédibilité des témoins.

 

Boulangerie Repentigny inc. et Goudime, 2016 QCTAT 792.

Les tribunaux judiciaires reconnaissent un rôle accru, impliquant une attitude davantage inquisitoire, aux juges administratifs, et plus particulièrement à ceux du Tribunal, du fait : 1) de sa mission, de même que du caractère d’ordre public et de la nature sociale et remédiatrice de la Loi, 2) des pouvoirs étendus dont les juges administratifs sont investis en vertu de la LCE, et 3) de l’obligation qui leur est faite par la LJA d’apporter, si nécessaire, un secours équitable et impartial à chacune des parties lors de l’audience, outre celles de s’assurer que les procédures menant à une décision soient conduits de manière à permettre un débat loyal et de mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit.

 

Pelletier et Centre de santé Orléans (CLSC), 2017 QCTAT 1562.

Le Tribunal doit agir avec souplesse dans la gestion de l’administration de la preuve, de manière à ce qu’il puisse rendre une décision éclairée relativement au litige dont il est saisi. Sa conduite est déterminée par l’obligation qu’il a de faire apparaître le droit. Ainsi, il n’agit pas dans un contexte traditionnel de débats contradictoires. La loi commande plutôt qu’il agisse dans un contexte inquisitoire puisqu’il est à la recherche de la vérité. Ainsi, le Tribunal ne doit pas se priver d’une preuve qui pourrait être pertinente.

 

Suivi :

Désistement de la requête en révision.

Kronos Canada inc. et Succession de Provost, 2020 QCTAT 1247.

Le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence est dévolu au Tribunal par l’article 9 de la LITAT, dont celui de mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction, de rendre toute décision qu’il juge appropriée de même que celui d’assigner toute personne dont le témoignage peut se rapporter au sujet de l’enquête, et contraindre toute personne à déposer devant lui les livres, papiers, documents et écrits qu’il juge nécessaires pour découvrir la vérité. Pour ce faire, l’article 10 de la LITAT confère au Tribunal les pouvoirs et l’immunité des commissaires nommés en vertu de la LCE, dont celui lui permettant de s’enquérir des choses que l’investigation lui a déférées par tous les moyens légaux qu'il juge les meilleurs afin de découvrir la vérité. Ces pouvoirs l’habilitent ainsi à jouer un rôle actif dans la gestion de la preuve et à prendre des initiatives pour requérir des suppléments d’information pertinente dans le respect des règles de justice naturelle. L’article 11 de la LJA s'inscrit dans ce même courant. Ces dispositions sont interprétées comme témoignant de l’intention du législateur de conférer aux juges administratifs de larges pouvoirs dans un système souple dont la nature de la procédure est mixte et comporte ainsi un processus autant contradictoire qu’inquisitoire.

 

Rôle actif dans la recherche de la vérité

En vertu de l’article 6 de la LCE, les membres peuvent, par tous les moyens légaux qu’ils jugent les meilleurs, s’enquérir des choses dont l’investigation leur a été déférée.

Ceci leur permet de jouer un rôle plus interventionniste, le tout afin de rechercher la vérité, sous réserve du respect des règles de justice naturelle.

Hydro-Québec et Gagné, [2002] C.L.P. 59.

Comme les commissaires de la CLP sont investis des pouvoirs d'enquête et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la LCE, ils peuvent jouer un rôle actif et prendre des initiatives pour requérir des suppléments d'information pertinente dans le respect des règles de justice naturelle. Le commissaire possédait donc le pouvoir d'accorder une réouverture d'enquête et disposait des pouvoirs pour requérir toute preuve supplémentaire qu'il jugeait pertinente à la solution du litige, et ce, même s'il ne s'agissait pas d'une preuve nouvelle.

 

Rivest c. Bombardier inc. (centre de finition), 2007 QCCA 622.

La LATMP est une loi remédiatrice qui a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires. Elle répond à l'objectif du législateur de mettre en place un régime d'indemnisation sans faute, complet, financé par les employeurs et comportant un processus décisionnel devant se terminer devant un tribunal administratif d'appel – la CLP – chargé de statuer sur les décisions des instances inférieures en interprétant sa loi constitutive. La CLP doit s'assurer, en matière de réparation, que les travailleurs obtiennent ce à quoi ils ont droit, ni plus ni moins. Cette mission, de même que le caractère d'ordre public et la nature remédiatrice de la LATMP, imposent aux commissaires, lorsque les circonstances l'exigent, un rôle actif dans la recherche de la vérité, d'où notamment le renvoi aux pouvoirs des commissaires nommés en vertu de la LCE. Le litige qui se déroule devant la CLP dépasse donc le cadre habituel du litige civil opposant deux parties.  L'employeur est interpellé mais ce n'est pas lui qui aura à défrayer, du moins pas de façon immédiate, les coûts de la réparation à laquelle le travailleur peut avoir droit.   La recherche de la vérité prend donc ici, inévitablement, une couleur particulière. Dans ce contexte, il est erroné d'affirmer que la CLP ne peut pas, peu importe les circonstances, s'immiscer dans la preuve des parties, et ce, que cette preuve soit insuffisante ou contradictoire. La mission d'ordre public de la CLP et les vastes pouvoirs dont ses commissaires disposent les amènent forcément à jouer un rôle plus ou moins actif, selon les circonstances propres à chaque affaire, dans la recherche de la vérité.

 

Basciano et Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2007] C.L.P. 1767.

L’article 6 de la LCE prévoit le pouvoir d’enquêter, lequel implique qu’afin de découvrir la vérité, les commissaires peuvent, par tous les moyens légaux qu’ils jugent les meilleurs, s’enquérir des choses dont l’investigation leur a été déférée.

 

Suivi :

Désistement d’action, 2 octobre 2008, 500-17-042485-089.

Proulx et Transport Urbain A.M. Wesbell, C.L.P. 305073-62B-0612, 19 mars 2009, A. Vaillancourt.

L'objectif prévu à la Loi impose au Tribunal, lorsque les circonstances l'exigent, un rôle actif dans la recherche de la vérité, d'où notamment le renvoi aux pouvoirs des commissaires qui sont nommés en vertu de la LCE. Ces pouvoirs s’inscrivent parfaitement dans le contexte de la mission d’ordre public du tribunal qui veut qu’un bénéficiaire visé par la Loi obtienne ce à quoi il a droit, ni plus ni moins. De plus, il va de soi qu’un commissaire qui agit comme commissaire-enquêteur sera et paraîtra parfois plus interventionniste que dans d’autres tribunaux, mais le législateur a voulu que la procédure devant le Tribunal puisse avoir un aspect inquisitoire. En vertu des articles 11 et 12 de la LJA, les commissaires doivent aussi s’assurer de mener les débats de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction et apporter à chacune des parties, lors de l’audience, un secours équitable et impartial.

 

Suivi :

Requête en irrecevabilité rejetée, 2009 QCCS 6519.

Requêtes en révision judiciaire rejetées, 2010 QCCS 6270. 

Bossous et Aliments Spectra Québec, 2013 QCCLP 5212.

La CLP considère qu’en matière d’administration de la preuve, les pouvoirs qui lui sont dévolus consacrent le rôle actif que doit jouer le Tribunal dans la recherche de l’exactitude des faits servant de fondement à l’exercice d’un droit. Le Tribunal possède donc les pouvoirs nécessaires pour exiger le dépôt en preuve d’éléments pertinents à trancher la question dont il est saisi.

 

Labrecque et René Matériaux Composites ltée, 2014 QCCLP 270.

La CLP possède les pouvoirs nécessaires pour procéder d'office à une réouverture d'enquête. Elle a de larges pouvoirs d'enquête dans l'exercice de sa compétence. On ne peut reprocher à un juge administratif de jouer un rôle actif dans la recherche de la vérité et d'exiger une preuve supplémentaire des parties.

 

Suivi :

Révision judiciaire rejetée, 2014 QCCS 3456.

Casavant et Rôtisseries Lanaudière, 2014 QCCLP 1271.

Le juge peut souligner à une partie les lacunes dans sa preuve et paraître insistant par moment. Cela ne fait pas en sorte qu’il déborde de son rôle de procéder à une enquête.

 

Packianather et CUSM-Pavillon Hôpital de Montréal pour enfants, 2016 QCTAT 6403.

Le Tribunal possède de larges pouvoirs en matière d’administration de la preuve qui lui permettent de jouer un rôle plus actif que les tribunaux de droit commun. Ces larges pouvoirs, qui résultent notamment des pouvoirs de commissaire enquêteur qui lui sont conférés, s’expliquent par la nature d’ordre public de la mission confiée au Tribunal et son devoir de s’assurer de la juste indemnisation des personnes qui réclament un droit en vertu de la LATMP. La Cour d’appel enseigne d’ailleurs que la mission du Tribunal, de même que le caractère d’ordre public et la nature remédiatrice de la Loi « imposent » aux juges administratifs un rôle actif dans la recherche de la vérité.

 

Dabdaba et Bell Canada, 2017 QCTAT 5183.

Il est reconnu que la mission du Tribunal, de même que le caractère d’ordre public et la nature réparatrice de la Loi imposent aux juges administratifs un rôle actif dans la recherche de la vérité. Il est établi que dans le cadre de l’administration de la preuve, les tribunaux administratifs peuvent être plus interventionnistes que les tribunaux de droit commun et qu’ils sont maîtres, dans le cadre de leur juridiction, de la procédure et de la preuve.

 

Suivi :

Révision rejetée, 2019 QCTAT 1158.

Voir également :

A et Agence du revenu du Canada, 2016 QCTAT 1129.

Bonneau et Reitmans Canada ltée, 2017 QCTAT 2149.

Lacunes au niveau de la preuve

Pour bon nombre de décideurs, le Tribunal n'est pas obligé de signaler aux parties ses interrogations sur la preuve, ni de les aviser des lacunes dans la preuve. En effet, ceux-ci considèrent que malgré leur rôle interventionniste, le fardeau de preuve appartient aux parties.

Deslandes et Plomberie Gaston Côté inc., C.A.L.P. 56088-62B-9401, 25 octobre 1996, S. Di Pasquale.

Un commissaire peut se servir des pouvoirs de commissaire-enquêteur afin de rechercher la vérité dans les cas où il l'estime nécessaire. En l'instance, le travailleur était représenté par procureur et celui-ci a choisi de ne pas le faire témoigner. Le premier commissaire n'avait pas l'obligation de faire témoigner le travailleur. C'est une faculté qu'il peut exercer s'il le juge opportun.

 

Suivi :

Révision judiciaire rejetée, 14 mars 1997, 500-05-026996-965. 

Veilleux et Fromage Côté, S.A., C.L.P. 218615-62-0310, 17 février 2008, C.-A. Ducharme.

Si la Loi confère au commissaire des pouvoirs d’enquête qui lui permettent d’intervenir au niveau de la preuve en posant des questions ou en requérant le dépôt de documents, l’exercice de ces pouvoirs demeure discrétionnaire et, de manière générale, le commissaire n’a pas l’obligation d’y recourir. De même, si un commissaire peut signaler à une partie qu’elle n’a pas soumis de preuve sur un des éléments de l’objet du litige, il n’a pas l’obligation de lui faire part, en cours d’audience, de l’appréciation qu’il fait de la preuve soumise. Comme l’indique la Cour d’appel dans l’arrêt Rivest et Bombardier inc. (Centre de finition), c’est dans la décision qu’il rend qu’il consigne les conclusions qu’il retient de son appréciation de la preuve et il n’a pas à les révéler à qui que ce soit auparavant parce que cela relève du délibéré. Par ailleurs, la connaissance spécialisée de la CLP en matière de lésions professionnelles n’a pas pour effet de dispenser le travailleur de son obligation de démontrer par une preuve prépondérante qu’il a subi une lésion professionnelle.

 

Tembec inc. (Usine bois jointé) et Therrien, C.L.P. 304210-08-0611, 7 mai 2008, L. Nadeau.

Un commissaire de la CLP possède de larges pouvoirs, dont ceux d'un commissaire-enquêteur. Les pouvoirs d'enquête n'obligent toutefois pas un commissaire à signaler aux parties ou à un témoin ses interrogations sur la preuve ou sur la crédibilité d'un témoin.

 

De Parada et Wal-Mart Canada, 2011 QCCLP 3303.

Le fait que la travailleuse se soit représentée elle-même lors de l'audience n'engendrait pas pour le tribunal l'obligation de réclamer l'administration d'une preuve que les parties n'offraient pas de leur propre initiative. Les règles de justice naturelle ne créent aucune garantie absolue de représentation ou d'assistance lorsque la partie renonce elle-même à être représentée. Dans un tel cas, le Tribunal doit plutôt moduler sa gestion de l'audience en vue d'assurer la justice, l'équité et l'impartialité du processus en adoptant les mesures qui lui semblent appropriées. Le premier juge administratif aurait largement dépassé les balises de son devoir de secours équitable et impartial s'il avait entrepris de faire la preuve requise, en lieu et place de la travailleuse.

 

Desruisseaux c. Tribunal administratif du travail, 2020 QCCS 43.

La travailleuse reproche au TAT de ne pas lui avoir souligné la « lacune dans sa preuve ». À ce titre, le juge qui, à l'issue d'un procès, conclut qu'une partie ne s'est pas déchargée de son fardeau de preuve et n'a pas réussi à établir, par prépondérance, les faits sous-jacents à sa demande, n'est pas obligé, avant de rendre jugement, de donner à la partie en question l'occasion de reprendre sa preuve intégralement ni même simplement de la bonifier jusqu’à ce que la balance penche de son côté. Aucun principe juridique ne permet d’avoir droit à un nouveau procès tant qu’on n’est pas victorieux.

 

Ville de Saint-Lambert c. Wade, 2020 QCCA 1322.

Quant au second élément de la présomption – l’exercice d’un travail impliquant une exposition à un bruit excessif –, l’intimé, tout comme le juge de première instance, reproche au TAT d’avoir écarté les données de deux études portant sur les niveaux de bruit causés par des armes à feu. Le juge considère que le TAT devait informer l’intimé avant d’écarter ces études afin qu’il puisse « combler les lacunes dans la preuve ». De l’avis de la Cour, cette question ne soulève aucun enjeu de justice naturelle, mais porte plutôt sur l’évaluation de la preuve par le TAT. Celle-ci étant au cœur de sa compétence, le juge devait donc analyser ce moyen selon la norme de la décision raisonnable. L’analyse du TAT sur le second volet de la présomption de l’article 29 Latmp est détaillée. Celui-ci explique les motifs pour lesquels il écarte ces deux études, notamment à la lumière du témoignage de l’intimé quant au niveau de bruit auquel il était exposé dans le cadre de son travail et à la fréquence d’une telle exposition. Il considère le témoignage de l’intimé et la preuve médicale qu’il a déposée pour conclure qu’il n’avait pas établi avoir exercé un travail impliquant une exposition à un bruit excessif. Il s’agit là d’une décision raisonnable par l’intelligibilité de sa motivation et sa conclusion fait partie des issues raisonnables à la lumière des faits et du droit.

 

Voir également :

Genest c. Bélisle, 2019 QCCA 896.

Malgré tout, quelques décideurs reconnaissent la nécessité de faire part des lacunes observées, lorsque la carence porte sur un élément essentiel qui entraîne une insuffisance de preuve qui s’avère déterminante sur le sort du litige.

Boulangerie Repentigny inc. et Goudime, 2016 QCTAT 792.

L’article 268 du Code de procédure civile prévoit que le juge d’un tribunal judiciaire civil « peut […] signaler aux parties les lacunes de la preuve ou la procédure, et leur permettre de la combler ». Ce pouvoir a été interprété par la doctrine ainsi que par les tribunaux judiciaires comme équivalant à un devoir lorsque les circonstances et la justice l’exigent. Une lacune dans la preuve consiste en une carence sur un élément essentiel entraînant une insuffisance de preuve déterminante sur le sort même du litige. Il n’est ainsi pas question pour le juge de devoir signaler à une partie que la preuve est généralement insuffisante, mais bien uniquement l’absence de preuve sur un élément essentiel et déterminant et dont la partie ignore peut-être l’importance. Un juge administratif n’a pas à suppléer à une telle carence dans la preuve, mais son devoir d’apporter à chaque partie, si nécessaire, un secours équitable et impartial à l’audience lui impose de la signaler à la partie concernée et de lui donner l’occasion d’y remédier.

 

Ganotec inc., 2016 QCTAT 1272.

S’il était insatisfait de la preuve par affidavit déposée par l’employeur, le premier juge administratif devait-il rouvrir l’enquête pour y faire entendre le travailleur? Le Tribunal siégeant en révision et révocation ne le croit pas. L’employeur a préféré soumettre une preuve par affidavit plutôt que de procéder dans le cadre d’une enquête et d’audition. C’est là un choix qu’il a assumé en toute connaissance de cause, prenant le risque que cette preuve soit déclarée insatisfaisante par le juge administratif appelé à la considérer. Dans ce cadre précis, il ne revenait donc pas au premier juge administratif de bonifier ou de parfaire cette preuve en rouvrant l’enquête pour recueillir le témoignage du travailleur. La réouverture d’enquête n’a pas pour but de constituer une seconde chance pour une partie de parfaire sa preuve. Le Tribunal siégeant en révision et révocation aurait probablement été plus sensible à l’argument de l’employeur si sa contestation avait été rejetée pour cause d’absence de preuve sur un élément de fait dont démonstration devait être établie et qui ne l’aurait pas été. En effet, le Tribunal siégeant en révision et révocation est d’avis qu’un juge doit signaler aux parties toute lacune qu’il constate dans la preuve ou dans la procédure et permettre qu’elle soit comblée aux conditions qu’il détermine. Si un élément qui doit être prouvé ne l’a pas été, il doit en aviser la partie. Libre ensuite à elle d’agir ou non. Ce n’est pas le cas en l’espèce. L’employeur a choisi un moyen de preuve, la production d’un affidavit, sur des éléments de faits qu’il devait démontrer, mais le premier juge administratif s’en est déclaré insatisfait.

 

Suivi :

Désistement du pourvoi en contrôle judiciaire, 14 septembre 2017, 760-17-004257-161.

Voir également :

Leprohon et Service sécurité incendie — Ville de Montréal, 2019 QCTAT 5752.

Requérir le témoignage de toute personne

En vertu de l’article 9 de la LCE, le Tribunal et ses membres peuvent requérir la comparution devant eux de toute personne dont le témoignage peut se rapporter au sujet de l’enquête.

Centre d'accueil Jean-Olivier Chénier et Attilo, [1986] C.A.L.P. 125.

L'article 9 de la LCE permet à un commissaire d'ordonner à toute personne de comparaître et de répondre à toute question qui fait l'objet de l'enquête. N'étant pas exempté de l'obligation de comparaître, le médecin ayant agi à titre d'arbitre médical est, en principe, un témoin compétent et contraignable devant la CALP.

 

Koyo Bearings Canada inc. et Viel, 2019 QCTAT 1040.

l’employeur a déposé ledit rapport à la suite d’une ordonnance du présent Tribunal. L’employeur n’a donc pas agi à l’encontre de ses obligations contractuelles à l’égard de Multiprévention et du syndicat. L’employeur n’a fait que se conformer à l’ordonnance du Tribunal en produisant le rapport de l’ergonome intervenu à la suite, notamment, de la lésion de la travailleuse. Il est donc faux de prétendre, comme le soulève Multiprévention, que la divulgation du rapport met en péril les efforts de prévention de nature paritaire de Multiprévention. Quant à l’argument de non-contraignabilité du témoin et du caractère confidentiel du rapport, le Tribunal tient à souligner qu’il dispose des pouvoirs pour contraindre un témoin, à moins d’une disposition de la Loi spécifiant le contraire. En effet, l’article 10 de la LITAT précise que le Tribunal est investi des pouvoirs et de l’immunité des commissaires suivant la LCE. Le Tribunal n’est pas lié à l’entente de service entre les parties. Le Tribunal dispose des pouvoirs prévus à la LITAT, incluant le pouvoir d’émettre une ordonnance à l’employeur pour qu’il produise tout élément de preuve pertinent au fond du litige.

 

Suivi :

Désistement de la requête en révision, 12 juin 2019.

Contraindre toute personne à déposer des documents

L’article 9 de la LCE permet aussi au Tribunal et ses membres de contraindre toute personne à déposer devant eux les livres, papiers, documents et écrits qu’ils jugent nécessaires pour découvrir la vérité.

Ordonnance pour avoir accès à des documents médicaux

Le Tribunal dispose du pouvoir d’ordonner la divulgation de documents médicaux.

Le Tribunal doit d’abord s’assurer du respect des droits fondamentaux des parties et de la pertinence des documents par rapport au litige dont il est saisi.

Basciano et Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2007] C.L.P. 1480.

L’employeur demande à la CLP d’ordonner la divulgation des notes cliniques de la psychologue de la travailleuse. Il ne fait aucun doute que la CLP dispose du pouvoir d’émettre une telle ordonnance en vertu des articles 378 et 429.20. La transmission des documents doit par contre s’effectuer dans le respect des droits fondamentaux prévus à la Charte. Les renseignements divulgués par un travailleur à un psychologue sont confidentiels. La confidentialité doit être analysée par rapport à un autre droit fondamental, soit celui du droit d'être entendu, et son corollaire, le droit à une défense pleine et entière. Lorsqu’une personne allègue, au soutien de ses procédures, des éléments se rattachant à son intégrité physique ou psychique, la protection de confidentialité n'est pas absolue. Le travailleur renonce de façon tacite au secret médical. Dans la mesure où la travailleuse a implicitement renoncé au bénéfice de la confidentialité et que la pertinence est démontrée, puisque les documents sont directement en lien avec la réclamation de la travailleuse, la production des documents demandés assurera à l'employeur une défense pleine et entière. Il est ordonné à la psychologue de transmettre une copie du dossier qu’elle détient sur la travailleuse.

 

Suivi :

Révision rejetée, 19 mars 2008.

Désistement d’action, 2 octobre 2008 (500-17-042485-089).

J.D. et Compagnie A, C.L.P. 328930-64-0709, 28 avril 2009, M. Montplaisir.

L’employeur demande à la CLP d’ordonner le dépôt des notes cliniques de la psychologue du travailleur. La CLP a le pouvoir d'ordonner la production de documents médicaux qu'elle juge utiles à la solution du litige. Le travailleur s’y oppose en raison de son droit à la vie privée et au secret professionnel. Ce sont des droits fondamentaux, mais qui ne sont pas absolus. La jurisprudence reconnaît le principe de la renonciation implicite en regard des dossiers médicaux dans le cas d'une personne qui invoque son état de santé pour obtenir un bénéfice de la loi. En déposant sa réclamation pour du harcèlement psychologique, le travailleur a renoncé implicitement à la confidentialité de son dossier chez son psychologue qu’il a consulté pour cette raison. Il reste à savoir si la règle fondamentale en matière de recevabilité d’un élément de preuve est rencontrée, soit la pertinence des éléments par rapport à la question ou à l’objet du litige. La divulgation des notes des psychologues que le travailleur a consultées en regard à son problème psychologique apparaît nécessaire, non seulement pour la défense pleine et entière de l'employeur, mais aussi pour le tribunal en vue de rendre une décision éclairée. Il est ordonné aux deux psychologues du travailleur de transmettre leurs notes cliniques de consultation.

 

M.T. et Compagnie A, 2011 QCCLP 4578.

Le tribunal dispose du pouvoir nécessaire pour décider d’une requête pour obtenir le dossier médical antérieur de la travailleuse. Les renseignements contenus dans un dossier médical sont hautement confidentiels. Les articles 5 et 9 de la Charte  prévoient que chaque personne a droit au respect de sa vie privée et au secret professionnel. L’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux prévoit que le dossier d'un usager est confidentiel et nul ne peut y avoir accès, si ce n'est avec le consentement de l'usager ou de la personne pouvant donner un consentement en son nom. Une exception s’applique qui ne nécessite pas le consentement de l’usager et c’est sur l’ordre d’un tribunal. La jurisprudence reconnaît que lorsqu’une personne invoque son état de santé au soutien de ses procédures, il peut y avoir renonciation implicite à la confidentialité. D’un point de vue légal, le dossier médical doit être divulgué à partir du moment où un tribunal l’ordonne selon l’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Il devient donc théorique de soupeser les intérêts en cause (droit à une défense pleine et entière et droit à la vie privée et au secret professionnel) pour décider de ce droit d’accès. La requête de l’employeur est sérieuse. Les éléments de preuve recherchés sont pertinents, eu égard à la question en litige. Une condition personnelle préexistante n’empêche pas la reconnaissance d’une lésion professionnelle s’il s’est produit un événement imprévu et soudain, mais les éléments recherchés peuvent avoir un impact sur la relation causale. Il est ordonné au médecin de fournir le dossier médical qu’il détient au nom de la travailleuse.

 

Castro Gastelu et Entretien Maya, 2012 QCCLP 5932.

Le principe qui s’applique est le principe de la renonciation implicite au secret professionnel par une personne qui invoque un droit sous réserve de la règle de la pertinence de l’information élaborée par la Cour suprême dans l’arrêt Glegg c. Smith & Nephew Inc. Ce principe est appliqué par la CLP qui reconnaît que le droit au secret professionnel n’est pas absolu et qu’un travailleur qui dépose une réclamation à la CSST renonce implicitement à la confidentialité de son dossier médical et au secret professionnel sous réserve du critère de la pertinence. À l’étape de la divulgation de la preuve (conférence de gestion), le premier juge n’est pas tenu de se prononcer sur la pertinence de la preuve qui est visée par une ordonnance de production de documents. À cette étape, la notion de pertinence est très large afin que l’autre partie puisse se préparer adéquatement. C’est au juge saisi du fond qu’appartient la tâche de déterminer la pertinence des éléments en preuve aux fins du litige.

 

M.D. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2012 QCCLP 2958.

C’est le juge administratif saisi du fond qui décidera, après avoir entendu les représentations des parties, de la pertinence des notes cliniques du docteur Vinet avec le litige et de leur recevabilité en preuve. S’il décide que certains extraits des notes de consultation du docteur Vinet sont non pertinents, ces notes seront écartées et ne seront pas considérées comme éléments de preuve à analyser pour rendre la décision.

 

Centre jeunesse A et D.G., 2016 QCTAT 3173.

Le Tribunal a le pouvoir de rendre toute ordonnance qu'il estime propre à sauvegarder les droits des parties, dont celui d’ordonner à une personne ou une partie de déposer les documents médicaux ou autres qu’il juge pertinents, à la solution du litige dont il est saisi. À ce titre, le Tribunal désire obtenir copie complète du dossier de l’adolescent impliqué dans le dossier de la travailleuse, des motifs de la Cour l’ayant confié au Centre Jeunesse A, incluant notamment tous les antécédents possibles pour lesquels des soins et traitements pertinents ont été prescrits ou administrés à l’adolescent, de même que les rapports ou évaluations de tous les intervenants, des psychothérapeutes ou autre thérapeutes qui auraient pu être dispensés pour l’adolescent impliqué. Ces documents devront être déposés au Tribunal sous pli scellé.

 

Côte-St-Luc (Ville de) et Stavrakakis, 2016 QCTAT 3255.

Le Tribunal dispose des pouvoirs de rendre une décision concernant l’accès au dossier médical du travailleur, et ce, en vertu des articles 9 et 43 de la LITAT. Dans le cadre du présent litige, puisque le travailleur a invoqué que sa lésion psychique était en lien avec les conséquences de sa lésion physique, le Tribunal considère que celui-ci a donc renoncé implicitement à la confidentialité de son dossier médical. Ceci étant dit, même s’il y a renonciation implicite à la confidentialité du dossier médical, le Tribunal doit se questionner sur la pertinence de la divulgation de l’information qui est demandée par l’employeur, et ce, en tenant compte des litiges qui sont soumis à l’attention du Tribunal. En effet, la renonciation implicite à la confidentialité de son dossier médical n’est pas totale et elle doit être limitée aux éléments qui apparaissent pertinents pour la solution du litige qui est soumis au Tribunal.

 

Ordonnance enjoignant une partie à déposer un document

Le Tribunal a les pouvoirs nécessaires pour ordonner à une partie de produire certains documents.

Le Tribunal doit d’abord s’assurer du respect des droits fondamentaux des parties et de la pertinence des documents par rapport au litige dont il est saisi.

Cie d’échantillons National ltée et Hébert, [2004] C.L.P. 501.

La travailleuse demande à la CLP d’émettre une ordonnance enjoignant à la CSST de produire une liste de tous les travailleurs ayant fait des réclamations chez l’employeur depuis les cinq dernières années concernant les membres supérieurs, les épaules et la colonne cervicale et, si possible, que cette liste soit accompagnée du diagnostic posé, du poste occupé et de la décision de la CSST quant à l'admissibilité de chaque réclamation. Une ordonnance de la nature qui lui est demandée peut être émise par la CLP en vertu des articles 378 et 429.20 LATMP. En matière d'administration de la preuve, les balises qui doivent être examinées sont la pertinence et l'intérêt de la justice. La CLP doit donc évaluer les intérêts qui s'opposent entre la travailleuse qui veut faire une preuve pleine et entière et le droit des autres travailleurs, qui sont des tiers au litige et qui jouissent du droit fondamental à la vie privée et à la confidentialité concernant les documents qu’ils ont fournis à la CSST. La CLP peut rendre l’ordonnance, mais la travailleuse doit d’abord démontrer la pertinence des éléments, ce qu’elle n’a pas fait. La demande relève plus de la partie de pêche.

 

Ébénisterie Multi-Laques inc. et Biello, 2012 QCCLP 2266.

L’employeur demande d’obtenir les dossiers CSST antérieurs du travailleur. La CLP doit analyser cette demande en deux volets. Tout d’abord, le tribunal doit s’assurer que la demande de l’employeur n’est pas une recherche à l’aveuglette. Elle doit prendre en considération les facteurs suivants : 1) la demande d'accès doit être bien circonscrite dans le temps; 2) elle doit viser un site lésionnel précis et 3) le dossier doit contenir des indices suffisants permettant de croire qu’une preuve pertinente se retrouvera dans les autres dossiers. Dans un deuxième temps, l’employeur doit prouver que les documents demandés ont un lien de connexité et se rattachent à la question en litige. La CLP a les pouvoirs en vertu des articles 377 et 378 pour ordonner le dépôt des dossiers antérieurs du travailleur en possession de la CSST, même s’ils sont confidentiels.

 

Bossous et Aliments Spectra Québec, 2013 QCCLP 5212.

En matière d’administration de la preuve, le tribunal possède les pouvoirs nécessaires en vertu de l’article 378 pour exiger le dépôt en preuve d’éléments pertinents à trancher l’objet du litige ou la question dont il est saisi. La CLP ordonne le dépôt en preuve de la bande vidéo du poste de travail occupé par le travailleur. Cette preuve est pertinente puisqu’elle apporte un éclairage sur les prétentions de l’employeur qui mentionne que le poste du travailleur a fait l’objet d’une analyse pour les risques concernant la main et le poignet. L’une des facettes du droit d’être entendu qui est une règle de justice naturelle devant être respectée par les tribunaux administratifs repose sur la possibilité pour une partie de répondre aux éléments de preuve présentés devant le tribunal. Il est ordonné à l’employeur de déposer la vidéo du poste de travail.

 

Bonneau et Reitmans Canada ltée, 2017 QCTAT 2149.

Le Tribunal considère qu’en matière d’administration de la preuve, les pouvoirs qui lui sont dévolus consacrent son rôle actif dans la recherche de l’exactitude des faits servant de fondement à l’exercice d’un droit. Cette recherche de la vérité implique une appréciation de la crédibilité des témoins. Le Tribunal possède donc les pouvoirs nécessaires pour admettre en preuve des déclarations qui dans un autre contexte pourraient être qualifiées de confidentielles. Le Tribunal déclare admissible en preuve le rapport d’enquête de l’employeur relatif à la plainte pour harcèlement déposée par la travailleuse, puisque le contenu de cette enquête, outre son utilité quant à l’appréciation de la crédibilité des témoins, s’avère pertinent et utile pour une meilleure compréhension du contexte dans lequel s’inscrivent les faits allégués.

 

Ordonnance enjoignant une partie à déposer une expertise médicale

Jusqu'en 2019, le Tribunal acceptait, de façon majoritaire, de rendre une ordonnance forçant une partie à déposer au dossier un rapport d’expertise. À ce titre le Tribunal considérait que les articles 9 et 10 de la LITAT, ainsi que les articles 6 et 9 de la LCE, lui octroyaient le pouvoir nécessaire pour rendre une telle ordonnance.

Silencieux Gosselin inc. et Michaud, 2018 QCTAT 5919.

Dans le présent dossier, le privilège qu’invoque la procureure du travailleur pour ne pas déposer le rapport d’expertise du docteur Garneau réalisé à la demande du travailleur pour soutenir sa contestation doit donc céder le pas aux pouvoirs d’enquête du Tribunal, lesquels lui permettent, dans sa recherche de la vérité, d’exiger le dépôt d’une preuve pertinente au litige qu’il doit trancher. Le Tribunal demande donc à la procureure du travailleur de produire l’expertise médicale du 23 mars 2018, réalisée par l’orthopédiste Garneau.

 

Morin et Emploi et Développement social Canada, 2019 QCTAT 5723.

Éventuellement, le Tribunal devra statuer sur l’existence ou non d’une lésion professionnelle et ainsi déterminer si la travailleuse a droit aux bénéfices de la Loi. Il est de son devoir d’obtenir l’ensemble de la preuve médicale disponible afin de rendre une décision juste et équitable, puisqu’il est à la recherche de la vérité. C’est pourquoi, le 29 octobre 2019, le Tribunal a permis à l’employeur de produire une preuve par expertise ultérieurement à l’audience du 16 décembre 2019, car cette demande d’expertise médicale avec le docteur Boivin est justifiée, pertinente et utile pour éclairer le Tribunal afin de lui permettre de rendre la décision la plus juste. Il est donc pertinent pour l’adjudicateur d’obtenir copie de cette opinion, même si elle est défavorable, à théorie de cause, à l’employeur.

 

St-Georges et Lauzon-Planchers de bois exclusifs, 2020 QCTAT 1904.

Comme le Tribunal doit statuer sur l’admissibilité d’une réclamation pour maladie professionnelle, qui implique l’analyse des mouvements faits au travail et de leur relation avec les lésions diagnostiquées, toute preuve médicale contemporaine est pertinente et doit donc être déposée. Ceci dit, la LJA exige que les procédures soient conduites de façon à favoriser le respect des droits fondamentaux, à permettre la tenue d’un débat loyal, en donnant l’occasion aux parties d’être entendues et en donnant aux parties « l’occasion de prouver les faits au soutien de leurs prétentions et d’en débattre ». De l’avis du Tribunal, ces principes commandent que le contenu de l’expertise médicale en cause soit divulgué le plus rapidement possible. Il y va du droit des parties à pouvoir répliquer et présenter tous leurs moyens de preuve et à leur droit à une audience juste et équitable. Dans ce contexte, les seules considérations stratégiques invoquées par l’employeur ne justifient pas d’y déroger. Ainsi, l’expertise médicale doit être déposée au Tribunal sans délai, afin que la travailleuse et son procureur en prennent connaissance et puissent y répliquer s’il y a lieu.

 

Voir également :

Kacorri c. Commission des lésions professionnelles, 2012 QCCS 1074.

Packianather et CUSM-Pavillon Hôpital de Montréal pour enfants, 2016 QCTAT 6403.

En 2019, la Cour d’appel, dans l’affaire Procureur général du Canada et De l’Étoile, retient au contraire que les articles 9 et 10 de la LITAT, et 6 et 9 de la LCE ne contiennent pas des termes suffisamment clairs, explicites et non équivoques pour écarter le privilège relatif au litige. La Cour d’appel ajoute que la règle de l’autonomie qui caractérise la justice administrative ne permet pas davantage d’écarter le privilège relatif au litige.

Procureur général du Canada c. De l'Étoile, 2019 QCCA 1178.

La travailleuse présente une demande au TAT pour forcer la divulgation et le dépôt du rapport d’expertise du docteur Beaudry. L’Employeur conteste cette demande, invoquant le privilège relatif au litige. La Cour d’appel estime déraisonnable la conclusion du TAT en vertu de laquelle les articles 9 et 10 de la LITAT et 6 et 9 de la LCE permettent d’écarter le privilège relatif au litige. Ces dispositions visent essentiellement à conférer au TAT et à ses membres un pouvoir de contrainte, notamment à l’égard « des livres, papiers, documents et écrits qu’ils jugent nécessaires pour découvrir la vérité ». Elles ne contiennent pas de termes suffisamment clairs, explicites et non équivoques pour écarter le privilège relatif au litige. La règle de l’autonomie qui caractérise la justice administrative ne permet pas davantage d’écarter le privilège relatif au litige. Il s’agit d’un privilège générique sujet à des exceptions clairement établies. Ainsi, bien que le TAT jouisse d’une grande autonomie en matière de preuve, il ne lui est pas loisible de trancher une revendication de privilège par une mise en balance au cas par cas. Il doit s’en tenir aux exceptions déjà reconnues ou à celles pouvant être reconnues, mais toujours sur la base de catégories restreintes qui s’appliqueront dans des circonstances précises. La Cour d’appel estime que le TAT semble passer à côté de la question, puisqu’il examine la question du privilège seulement sous l’angle de ses pouvoirs et de son autonomie en matière de preuve, sans considérer le régime d’indemnisation créé par la Loi. Le TAT ne se demande pas non plus si une nouvelle exception au privilège devrait viser un rapport obtenu à la suite de l’examen médical du travailleur, peu importe que l’examen ait été requis en application de la Loi ou à l’occasion d’une contestation devant le TAT.

 

En réponse à l’arrêt de la Cour d’appel, le Tribunal rend une nouvelle décision, où il se dit d’avis que la mission d’ordre public de la Loi et le devoir de juste indemnisation du Tribunal lorsqu’il l’applique dans sa nature remédiatrice, jumelés « à l’intention du législateur quant à la communication des expertises médicales lorsqu’un travailleur est concerné » énoncée à la section I du chapitre VI de la Loi, permettent de reconnaître une nouvelle exception au privilège relatif au litige, soit une exception fondée « sur l’objet et l’économie de la LATMP relativement à un rapport obtenu à la suite de l’examen médical d’un travailleur ».

Cette décision est néanmoins révisée à la suite d'une requête en révision ou en révocation.

Gendarmerie royale du Canada et De L'Étoile, 2020 QCTAT 1981.

Le législateur impose au Tribunal, lorsqu’il applique la Loi en tant que loi remédiatrice au sens où l’entend cette décision, un devoir de juste indemnisation. En effet, en appliquant la Loi, une loi qualifiée d’ordre public à son article 4 et que la jurisprudence érige en loi à vocation hautement sociale, le Tribunal se fait le gardien d’un régime mis en place pour permettre l’indemnisation des travailleurs victimes de lésion professionnelle, sans égard à la responsabilité de qui que ce soit, et cela, à partir de contributions obligatoires provenant de toutes « les entreprises exploitées au Québec, qu’elles relèvent du fédéral ou des provinces ». Pour cette raison, le Tribunal, comme la Commission par ailleurs, n’est pas lié par les demandes des parties ou leurs admissions. le Tribunal est d’avis que la mission d’ordre public de la Loi, une loi à vocation hautement sociale, et le devoir de juste indemnisation du Tribunal lorsqu’il l’applique dans sa nature remédiatrice telle qu’évoquée dans Rivest, jumelés « à l’intention du législateur quant à la communication des expertises médicales lorsqu’un travailleur est concerné » énoncée à la section I du chapitre VI de la Loi, permettent de reconnaître une nouvelle exception au privilège relatif au litige dans le cas d’un rapport obtenu à la suite de l’examen médical d’un travailleur. La Cour d’appel désigne cette nouvelle exception comme étant fondée « sur l’objet et l’économie de la LATMP ». Le Tribunal y ajoute « relativement à un rapport obtenu à la suite de l’examen médical d’un travailleur ». Le document demandé en l’espèce étant un rapport d’expertise fait à la suite d’un examen médical de la travailleuse, ici demandé par l’employeur, dans le cadre d’une contestation d’une lésion professionnelle fondée sur la Loi, cette exception s’applique. Considérant ce qui précède, le Tribunal ordonne à l’employeur de produire le document demandé par la travailleuse au plus tard dans les quinze (15) jours de la date de la présente décision.

 

 Suivi :

Requête en révision accueillie, 2021 QCTAT 3492.

 

Ordonnance enjoignant un travailleur à se soumettre à une expertise médicale

Expertise médicale demandée aux fins de l'application de la procédure d'évaluation médicale

La Loi prévoit, aux articles 209, 210 et 211, l'obligation pour le travailleur de se soumettre à l'examen demandé par l'employeur. La possibilité pour le Tribunal d'émettre une ordonnance obligeant le travailleur à se soumettre à un tel examen ne pose pas problème, puisqu'elle trouve son fondement dans le texte même de la Loi.

Lefebvre & Benoit et Kirk, 2017 QCTAT 595.

L’employeur veut obtenir une expertise médicale qui pourrait lui donner ouverture à la procédure d’évaluation médicale. Il revendique le respect de son droit à une défense pleine et entière. Il soumet que dans l’état actuel du dossier, sans cet avis médical, il est incapable de faire valoir ses droits, puisque le travailleur ne s’est pas présenté à son rendez-vous médical pour lequel il avait été convoqué. Afin d’assurer à l’employeur le respect à une défense pleine et entière et afin de rechercher la vérité pour reconnaître au travailleur une juste compensation, le Tribunal estime avoir le pouvoir d’émettre l’ordonnance recherchée.

 

Voir également :

Boulangerie Canada Bread ltée et Guarneri, 2020 QCTAT 3575.

GNR Corbus inc. et Brasseur, 2020 QCTAT 4869.

Expertise médicale demandée en dehors de la procédure d'évaluation médicale

Selon un premier courant jurisprudentiel, qui était autrefois majoritaire, le Tribunal ne peut exiger d'un travailleur qu'il se soumette à un examen médical requis par son employeur ou par la Commission, autrement qu'en application de la procédure d'évaluation médicale prévue aux articles 204 et suivants de la LATMP.

Juteau c. Commission des affaires sociales, [1987] R.J.Q. 1610 (C.S.).

En résumé, pour les motifs ci-haut exprimés, la Cour est d'avis que : 1) La C.A.S. est un organisme créé par statut, qui ne possède aucune compétence inhérente; 2) La loi n'accorde pas à la C.A.S. un pouvoir exprès d'ordonner un examen médical obligatoire; 3) Les pouvoirs de la C.A.S. qui empiètent sur les droits du citoyen concernant sa personne doivent faire l'objet d'une interprétation restrictive; 4) Le pouvoir d'ordonner un examen médical n'est pas compris dans le pouvoir qu'a la C.A.S. d'édicter des règles de preuve, de procédure et de pratique, et même s'il s'y trouve, ces règles ne le visent pas; 5) Ce pouvoir n'est pas compris dans le pouvoir de la C.A.S. de sauvegarder les droits des parties; 6) Ce pouvoir n'est pas compris dans le pouvoir de la C.A.S. de s'enquérir; 7) Ce pouvoir n'est pas nécessaire ou indispensable à l'exercice par la C.A.S. de sa juridiction; 8) Dans les faits de la présente cause, l'absence d'un tel pouvoir ne contrevient pas à la règle audi alteram partem; 9). La C.A.S. a commis une erreur juridictionnelle et a ainsi excédé sa juridiction en exerçant un pouvoir que la loi ne lui accorde pas. 

 

Provigo (Division Loblaws Québec) et Baillargeon, C.L.P. 326744-03B-0708, 5 juin 2008, A. Suicco.

La jurisprudence très majoritaire et la plus récente indique que le présent tribunal n’a pas la compétence d’émettre les ordonnances demandées par les employeurs pour forcer un travailleur à se soumettre à un examen médical. Ce courant majoritaire s’appuie sur la décision rendue par la Cour supérieure dans l’affaire Juteau. Cette jurisprudence indique que le Tribunal n’a aucune compétence inhérente et qu’il ne peut s’arroger des pouvoirs non expressément prévus par la Loi. De plus, la CLP est un tribunal statutaire et ne dispose que des pouvoirs qui lui sont octroyés par la Loi. En outre, les dispositions législatives qui indiquent qu’un tribunal dispose de tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de ses fonctions ainsi que celui de rendre toutes ordonnances qu’il estime propre à sauvegarder les droits des parties, ne sont pas attributives de compétence. Enfin, le droit à l’intégrité et à l’inviolabilité de la personne, incluant le droit de refuser tout examen de sa personne, est protégé par la Charte, par le CCQ de même que par la CCDL.

 

Voir également :

Tenuta et Centre de l’auto boul. Industriel, C.L.P. 271039-61-0509, 20 juin 2006, M. Langlois 

Suivi :

Révision rejetée.

Désistement de la requête en révision judiciaire (500-17-038920-073).

Napan et Tricots Cameo, C.L.P. 255115-71-0502, 14 novembre 2007, M-H. Côté.

Laliberté & Associés inc. (Cafétéria) et Gagnon, C.L.P. 394660-02-0911, 12 mars 2010, R. Bernard. 

Leblanc et CHUS — Hôpital Fleurimont, C.L.P. 379124-05-0905, 10 août 2010, F. Ranger.

A.G. et Compagnie A, C.L.P. 388180-63-0909, 18 octobre 2010, J-P. Arsenault.

Suivi :

Désistement de la requête en révision, 3 juin 2011.

Gibouleau et Résidence Angelica inc., C.L.P. 296204-63-0608, 15 novembre 2010, M. Gauthier.

Les tenants d’un second courant jurisprudentiel reconnaissent au contraire le pouvoir du TAT d’ordonner à un travailleur de subir un examen médical. Cette deuxième tendance semble désormais être celle adoptée de façon majoritaire par le Tribunal, et plus particulièrement depuis l’affaire Paradis, rendue par la Cour supérieure en 2012. Le droit d’obtenir l’ordonnance demandée n’est cependant pas absolu. Il convient d’analyser la pertinence d’une telle preuve ainsi que son utilité pour le Tribunal.

Guillemette et Collège Lionel-Groulx, 2011 QCCLP 5931.

Le Tribunal considère que le droit du travailleur à l’intégrité et à l’inviolabilité de sa personne n’est pas absolu et qu’il doit être apprécié en fonction de son comportement et des droits de l’employeur. En l’espèce, la CLP juge que le travailleur a renoncé implicitement à l’intégrité et à l’inviolabilité de sa personne en soumettant une réclamation à la Commission. Il renonce une seconde fois en déposant à la CLP une expertise médicale sur son état psychique. La CLP est d’avis que le refus du travailleur de se soumettre à l’examen médical demandé par l’employeur porte atteinte au droit d’être entendu de ce dernier, puisqu’Il ne pourrait pas répondre aux éléments de preuve soumis par le travailleur. Les pouvoirs généraux du Tribunal conjugués à la large autonomie dont il bénéficie en matière de preuve et procédure lui permettent d’ordonner au travailleur de se soumettre à l’examen médical. L’expertise en découlant favorisera une solution complète du litige dans le respect des principes de justice naturelle.

 

Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles, 2012 QCCS 3007.

Saisi de la demande de la CSST de rendre une ordonnance afin que le travailleur se soumette à un examen médical en vue d'une contre-expertise, la CLP reconnaît d’abord son pouvoir d'émettre une telle ordonnance, mais décide par la suite que l’examen réclamé par la CSST n'est pas pertinent au litige. Cette décision ne peut tenir la route. L'affirmation selon laquelle l'examen médical souhaité n'est d'aucune pertinence pour le litige est prématurée, dans la mesure où la CLP a accepté le dépôt par le travailleur d’un rapport d’expertise. Le refus de la CLP d'émettre l’ordonnance prive la CSST de son droit fondamental de contredire un élément de preuve essentiel, inédit et déterminant pour l'issue du litige. La règle audi alteram partem exige que la CSST ait l'occasion de riposter à cette preuve d'expert par la preuve qu'elle juge la meilleure. Il en va également de l'équité du processus.  La décision du Tribunal de refuser d'ordonner au travailleur de se soumettre à un examen médical en vue d'une contre-expertise ne sera pas susceptible de correction efficace par la décision de la CLP au fond.  Il faut conclure que telle violation porte manifestement atteinte à la compétence de la CLP.

 

Suivi :

Permission d’appeler rejetée, 2012 QCCA 2088.

Roy et Hydro-Québec (SALC) (QC1), 2014 QCCLP 3600.

La question concernant la possibilité pour le Tribunal de faire des ordonnances médicales faisait l’objet d’une controverse jurisprudentielle. Le premier courant prévoyait que le Tribunal n’avait pas le pouvoir d’émettre ce type ordonnance. Le second courant, à l’effet contraire, ajoute que ce pouvoir doit être utilisé de manière judicieuse, lorsque c’est pertinent pour l’issue du litige. La Cour supérieure et ensuite la Cour d’appel ont confirmé ce deuxième courant.

 

Peintres Multicouleurs inc. et Caprio, 2014 QCCLP 5859.

Le second courant reconnaît avoir le pouvoir d’émettre une telle ordonnance. À l’origine, ce courant était basé sur le devoir pour le Tribunal de veiller au respect des règles de justice naturelle, dont celui du respect du droit à une défense pleine et entière pour la partie qui demande l’ordonnance. Ce courant était aussi basé sur l’énoncé qu’en déposant une demande d’indemnisation, le travailleur renonce implicitement à son droit à la confidentialité de son dossier médical et à l’inviolabilité de sa personne. Plus récemment, ce courant ajoute que l’exercice de ce pouvoir d’ordonner un examen médical doit être fait judicieusement, intégrant les critères de pertinence et d’utilité retenus par les tribunaux supérieurs en matière civile. De plus, reconnaissant avoir le pouvoir d’émettre l’ordonnance de subir un examen médical sans pour autant avoir le pouvoir de contraindre la personne, ce courant tente de rétablir l’équilibre de l’équité procédurale notamment de la façon suivante : lorsque le travailleur qui a lui-même déposé un rapport d’expertise médicale refuse de se soumettre à un examen demandé par l’employeur ou par la CSST, la CLP l’informe qu’à défaut de s’y soumettre, son rapport d’expertise médicale ne sera pas recevable en preuve et sera retiré du dossier.

 

Suivi :

Révision rejetée, 2015 QCCLP 608.

Marceau et Cuisines gaspésiennes de Matane, 2016 QCTAT 3165.

Jusqu'en 2012, la jurisprudence était partagée quant à savoir si l'on pouvait exiger d'un travailleur qu'il se soumette à un examen médical, requis par son employeur ou par la Commission, autrement qu'en application de la procédure d'évaluation médicale prévue aux articles 204 et suivants de la Loi. Par contre, il ne semble plus y avoir de controverse jurisprudentielle sur le sujet depuis la décision rendue en 2012 par la Cour supérieure dans l'affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles (décision plus connue comme étant l'affaire « Paradis », du nom du travailleur concerné). Lors de son argumentation, le représentant de la travailleuse reconnait lui aussi que l'affaire Paradis a mis fin à la controverse jurisprudentielle sur le sujet. Ainsi, il est maintenant établi qu'en principe, le Tribunal peut exiger qu'un travailleur se soumette à un examen médical, requis par son employeur ou par la Commission, autrement qu'en application de la procédure d'évaluation médicale prévue aux articles 204 et suivants de la LATMP.

 

Bouchard et Emploi et Développement social Canada, 2018 QCTAT 5721.

La Cour d’appel rappelle qu’un travailleur peut être contraint de se soumettre à un examen médical même en l’absence d’un processus d’évaluation médicale. En effet, en produisant une réclamation à la Commission, il recherche l’obtention du bénéfice et de la protection de la Loi, et ce, en lien avec son état de santé. De ce fait, il doit s’attendre à devoir se soumettre à un examen médical et ainsi renoncer à l’inviolabilité de sa personne, à son droit au respect de sa vie privée et de son intégrité physique et doit se soumettre à une évaluation de nature médicale si celle-ci est justifiée. Ce droit de faire valoir ses moyens implique la possibilité d’une partie de répliquer aux allégations de son adversaire et de lui permettre d’obtenir la meilleure preuve possible. À cet égard, la Cour d’appel énonce qu’en privant une partie d’obtenir un avis médical on risque de la priver « de son droit fondamental de contredire un élément essentiel, inédit et déterminant pour l’issue du litige. » Dans le présent dossier, l’exercice du pouvoir d’émettre une ordonnance est justifié notamment en s’appuyant sur la recherche de la vérité, mais également du devoir du Tribunal de protéger les règles de justice naturelle. Le Tribunal estime donc qu’il a le pouvoir d’émettre les ordonnances recherchées par les parties. Le droit d’obtenir l’ordonnance demandée par l’employeur n’est pas cependant absolu. Une telle preuve doit être pertinente et utile pour le Tribunal.

 

Voir également :

Boroday et Société canadienne des postes, C.L.P. 106039-62-9810, 1er février 2000, L. Vallières.

Mayville et Nordx/C.D.T. inc., [2002] C.L.P. 69.

Guinard et Centre de santé Vallée de l'Or, [2007] C.L.P. 628.

Roy et Acier Trimax inc., 2011 QCCLP 5113.

D.G. c. Caisse Desjardins Pierre-Le Gardeur, 2021 QCTAT 5209.

Demande en cassation d’une citation à comparaître

Le Tribunal ayant le pouvoir d’émettre une citation à comparaître, il a aussi le corollaire qui est de l’annuler. Le Tribunal analyse alors la pertinence de l’élément de preuve que le témoin apporterait au litige avant de décider s’il ordonne ou non l’annulation de la citation.

Manufacture Eurobex ltée et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 247020-64-0410, 27 juin 2005, R. Daniel.

La CSST demande à la CLP de casser l’assignation à comparaître parce que les documents demandés ne sont pas pertinents et sont de nature confidentielle. La jurisprudence reconnaît que la CLP possède le pouvoir de statuer sur la requête de la CSST. Ce qui doit gouverner le Tribunal dans sa décision demeure la pertinence de la preuve en fonction de l’objet des litiges qui sont présentés devant lui. Les documents ne sont d’aucune utilité alors la requête de la CSST est accueillie et l’assignation à comparaître est annulée.

 

M. P. et Ville A, C.L.P. 279423-64-0512, 22 décembre 2008, M. Montplaisir.

La CLP doit décider s'il y a lieu de permettre le dépôt du dossier que le Service de police de la Ville de Montréal possède relativement à l'enquête criminelle menée contre la travailleuse et de la lettre du substitut du Procureur général qui a mis fin à cette enquête. La CLP a le pouvoir de déterminer si la citation à comparaître envoyée par la travailleuse repose sur des éléments de preuve qui sont pertinents pour régler le présent litige. La pertinence d’un élément ne repose pas sur le fait qu’il serait intéressant d’avoir une telle preuve au dossier. Cet élément de preuve doit être utile et risquer d’influencer l’issue du litige. La demande de la travailleuse ressemble plus à une partie de pêche. L’effet traumatisant ou déstabilisant d’une enquête de police dans la vie d’un citoyen peut être démontré sans avoir les résultats de l’enquête ni la décision du substitut du Procureur général. L’assignation est annulée.

 

Gatineau (Ville de) et Scholtes, 2013 QCCLP 6854.

La LATMP prévoit que les juges administratifs ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. Ainsi, ils peuvent émettre des citations à comparaître. Ce pouvoir inclut aussi le corollaire qui est de s’assurer de la légalité d’une telle citation. La légalité s’apprécie en fonction de la pertinence des éléments de preuve recherchés. La preuve doit être susceptible d’influer sur le résultat du procès. La travailleuse a demandé des citations à comparaître pour la personne l’ayant blâmée publiquement et trois témoins de certains gestes en lien avec la problématique au travail. Cette preuve est pertinente et il reviendra au Tribunal d’évaluer la valeur probante de leur témoignage. La requête en cassation est rejetée.

 

Lahlou et Provigo Distribution inc., 2014 QCCLP 5061.

La travailleuse a assigné la directrice de la santé et de la sécurité de l’employeur à comparaître en apportant des rapports d’intervention ergonomiques ainsi que tous les formulaires de réclamation des autres travailleurs pour une tendinite à l’épaule depuis l’année 2000. L’employeur s’oppose à cette assignation à comparaître. Le tribunal a le pouvoir de rendre toute ordonnance propre à sauvegarder les droits des parties. Le tribunal a le pouvoir d’autoriser une citation à comparaître, alors cela inclut son corollaire qui permet au tribunal d’en contrôler la légalité et même de l’annuler. La règle en matière de recevabilité de la preuve est la pertinence. Rien n’indique que les documents demandés par la travailleuse puissent apporter des éléments pertinents au litige. Il est prématuré d’autoriser de tels documents. À première vue, ils ne se rapportent pas à l’objet du litige. La citation à comparaître est annulée.

 

Jones et Commission scolaire Eastern Shores, 2016 QCTAT 2196.

Le Tribunal possède les pouvoirs lui permettant d’exiger la communication d’éléments de preuve pertinents, tels des rapports d’enquête, afin de trancher le litige dont il est saisi. Il peut toutefois refuser de recevoir une preuve non pertinente, inutilement répétitive ou qui n’est pas de nature à servir les intérêts de la justice. Tenant compte des représentations des parties; considérant qu’à première vue, le rapport d’enquête de madame Gaudet-Chandler est pertinent au litige; tenant compte aussi du fait que les parties ne requièrent pas la présence de celle-ci à l’audience; en vue de favoriser une meilleure administration de la justice et afin de préserver les droits des parties, la soussignée annule les citations à comparaitre avec dépôt de document émises par le Tribunal. De plus, il y a lieu d’ordonner à madame Gaudet-Chandler de déposer le rapport d’enquête au greffe du Tribunal. Le Tribunal verra alors à faire suivre une copie à chacune des parties qui pourront faire des représentations quant à sa pertinence.

 

Voir également :

Teckn-O-Laser inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 151717-62-0012, 17 juillet 2001, M. Denis.

Rock Of Ages Carrières Canada et Repr. Travailleurs - Rock Of Ages Canada, C.L.P. 278862-05-0512, 31 mai 2006, L. Boudreault.

Foster et Commission de la santé et de la sécurité du travail - DASOM, C.L.P. 326340-71-0708, 9 juin 2008, A. Vaillancourt. 

Mandat d’amener

L’article 10 de la LCE, ainsi que l’article 274 du Code de procédure civile, permettent au Tribunal de décerner un mandat d’amener à l’endroit d’une personne qui fait défaut de comparaître pour rendre témoignage ou pour remettre les documents demandés dans le cadre d’une citation duces tecum.

Dubois et Transport Lyonnais inc. (faillite), C.L.P. 299739-71-0609, 22 août 2007, J.-D. Kushner.

La CLP a suspendu l’audience afin de permettre au travailleur d’assigner à comparaître son ancienne représentante, madame Carmela Gianfagna. Malgré la citation à comparaître émise par la CLP, madame Gianfagna ne s’est pas présentée à l’audience. Or, puisque le travailleur jugeait que sa présence était essentielle afin d’expliquer le délai de sa réclamation, la CLP a émis un mandat d’amener de sorte que madame Gianfagna est présente à l’audience tenue le 16 août 2007 puisque amenée au Tribunal par un huissier.

 

Voir cependant :

Presse (La) c. Commission des lésions professionnelles, [2001] C.L.P. 162 (C.S.).

Il est évident que l'attitude prétendument générale des médecins à l'égard des subpoenas ne peut constituer une justification de se soustraire à leurs obligations et que la personne qui s'engage dans une telle conduite le fait à ses risques et périls. Le procureur de La Presse ne pouvait donc pas, comme il a reconnu l'avoir fait, abdiquer devant une telle pratique. Par ailleurs, cela ne saurait évidemment signifier qu'il y aurait lieu d'émettre des mandats d'amener dans tous les cas où un témoin, médecin ou autre, fait défaut de se présenter. En effet le commissaire a une discrétion à cet égard en vertu de l'article 10 de la LCE, sans compter qu'il peut décider d'ajourner l'audition et d'émettre une nouvelle assignation à comparaître. À cet égard, il faut tenir compte de l'ensemble des circonstances, dont le délai préalable à l'assignation et les motifs qui justifient la personne de ne pas se présenter. Ainsi, l'émission d'un mandat d'amener ne serait certes pas une mesure appropriée dans le cas d'un cardiologue qui se serait vu signifier une assignation sans aucun préavis, pour venir rendre témoignage le jour où il doit procéder à une intervention chirurgicale à cœur ouvert. De même, le Commissaire doit décider si l'absence de droit au contre-interrogatoire de l'auteur d'un rapport écrit serait susceptible de violer les règles d'équité fondamentale. Enfin, on peut croire qu'avant de procéder à une mesure aussi drastique que l'émission d'un mandat d'amener, il fera formellement et explicitement savoir au médecin que sa présence est requise devant la CLP sous toutes peines que de droit.

 

 

Immunité

Immunité des membres dans l’exécution de leurs devoirs

L’immunité des commissaires nommés en vertu de la LCE est prévue par l’article 16 de cette loi. Il s’agit de la même immunité que les juges de la Cour supérieure, pour tout acte fait ou omis dans l’exécution de leurs devoirs. Ainsi, les juges ne peuvent être poursuivis en dommages-intérêts. La jurisprudence considère cette immunité comme étant absolue, c’est-à-dire qu’on ne doit pas prendre en compte si l’acte a été commis dans le cadre de la compétence ou plutôt sans compétence. Seulement la mauvaise foi ou la connaissance d’une absence de compétence pourront entraîner une exception à l’immunité.

Morier c. Rivard, [1985] 2 R.C.S. 716.

L'expression « dans l'exécution de leurs devoirs » de l'article 16 de la LCE signifie l'exécution des devoirs que cette loi impose aux commissaires et que ces devoirs sont celui de conduire l'enquête et celui de faire rapport. Contrairement à la législation qui s'applique dans d'autres juridictions, l'article 16 ne fait aucune distinction entre l'acte fait ou omis sans compétence ou en excès de compétence avec celui fait dans l’exercice de la compétence. Il ne faut pas confondre devoirs et compétence. La loi dit : « dans l'exécution de leurs devoirs ». Elle ne dit pas: « dans les limites de leur compétence ». La loi accorde aux juges cette immunité, non seulement pour leur propre avantage, mais pour celui de la société et pour l'avancement de la justice, parce que s'ils sont à l'abri des poursuites, ils peuvent être libres d'esprit et indépendants de pensée, comme devraient l'être tous ceux qui administrent la justice.

 

3101-1836 Québec inc. c. Québec (Procureur général), C.S. Montréal, 500-05-027084-969, 8 décembre 1998, j. Guérin.

En vertu de l’article 16 de la LCE, les régisseurs de la Régie des alcools, des courses et des jeux ainsi que le procureur général jouissent d’une immunité contre les poursuites en dommages-intérêts intentées contre eux.

 

116845 Canada inc. c. Régie des permis d’alcool du Québec, J.E. 99-1993 (C.A.).

La Cour d’appel mentionne que l’excès de compétence, la violation des règles de justice naturelle ou même la violation d’un droit protégé par la Charte et la CCDL sont des manquements susceptibles de conduire à la nullité des décisions, mais ils ne peuvent fonder un recours en dommages-intérêts contre les décideurs qui jouissent de la même immunité que les juges de la Cour supérieure.

 

Néron c. Comeau, C.S. Montréal, 2006 QCCS 2131.

Cette immunité couvre tous les actes où le juge agit en tant que juge, pose un acte judiciaire, ou se trouve dans l’exécution de ses devoirs de juge. Donc, l’immunité couvre plus que les actes accomplis dans les limites de la juridiction du décideur. Le principe de cette immunité absolue est très large et l‘exception visée est très limitée. Reprenant plusieurs arrêts, la Cour supérieure constate que les situations où un juge aura agi en sachant qu’il n’avait pas compétence seront très rares.

 

Voir également :

Naydenov c. Commission des relations du travail, 2016 QCCS 3213 (RT).

Suivi :

Permission d’appeler hors délai rejetée, 2016 QCCA 1851.

Non contraignable

Cette immunité empêche également qu’un juge administratif soit contraint de témoigner.

Mackeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796.

La jurisprudence et les principes généraux de l'indépendance judiciaire  établissent clairement qu'un juge de la Cour suprême qui entend une affaire civile n'a pas le pouvoir de contraindre un autre juge à témoigner quant à savoir comment et pourquoi il est arrivé à ses conclusions. Il s'agit d'une question de privilège qui touche à l'impartialité judiciaire dans la prise de décisions et au rôle du pouvoir judiciaire en tant qu'arbitre et protecteur de la Constitution. De même, un juge ne peut pas contraindre un autre juge à témoigner sur les raisons pour lesquelles un juge particulier a siégé dans une affaire donnée. Cette question touche l'aspect administratif ou institutionnel de l'indépendance judiciaire. Les tribunaux doivent contrôler les questions administratives relatives à la prise de décision sans intervention de la part des organes législatif ou exécutif. Accorder au pouvoir exécutif un rôle quant à savoir quels juges entendent quelles causes ou enquêter après coup constituerait une atteinte inacceptable à l'indépendance du pouvoir judiciaire.

 

Institution royale pour l’avancement des sciences, des gouverneurs de l’Université McGill (Université McGill) c. Commission de l’équité salariale, D.T.E. 2006T-276.

L’article 90 de la Loi sur l’équité salariale prévoit que les commissaires sont investis de l’immunité prévue par l’article 16 de la LCE. Ainsi, la présidente de la Commission de l'équité salariale n’est pas contraignable à témoigner quant à tous les actes qu’elle a effectués aux fins d’une enquête. Les procureurs de l’Université désirent savoir sur quelle base une telle enquête a été faite. Cela est, par contre, prohibé par l’immunité accordée selon la loi et la présidente ne peut être contrainte à venir s’expliquer.

 

Barnard c. Structures métropolitaines (SMI) inc., 2014 QCRDL 33457.

Il est clair qu’un juge de la Cour supérieure ne peut être contraint de témoigner selon les arrêts de la Cour suprême. Un régisseur de la Régie du logement possède l’immunité des commissaires nommés en vertu de la LCE qui eux, possèdent l’immunité des juges de la Cour supérieure. Ainsi, un régisseur de la Régie du logement, et plus particulièrement son président, ne sont pas contraignables et cela vise à protéger tant le caractère institutionnel que le caractère personnel de l’indépendance judiciaire nécessaire à l’exercice des fonctions.

 

Suivi :

Permission d’appeler rejetée, 2014 QCCQ 20935.