Interprétation

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. 25. Confidentialité

Le témoignage du conciliateur

Avant l’entrée en vigueur de la LITAT

La jurisprudence fortement majoritaire considérait que le conciliateur ne pouvait être contraint à témoigner et que la confidentialité du processus de conciliation était absolue.

Bombardier inc. Aéronautique et Mailloux, [2003] C.L.P. 1626.

Le Tribunal doit décider de l’existence ou non d’une entente entre les parties. Obliger la conciliatrice à témoigner compromettrait la nature même de son travail et la mission qu’elle est appelée à réaliser. La protection des renseignements qu’elle obtient et des faits qui sont portés à sa connaissance sont indispensables pour le maintien de la confiance de tous les intéressés dans le processus de conciliation.  Le Tribunal estime de la plus haute importance de préserver cette crédibilité.  Il en va de la confiance du public envers la CLP. Permettre au conciliateur de dévoiler des informations obtenues dans le cadre de ses fonctions aurait pour effet de créer une incertitude, chez les participants, quant au risque de se voir opposer leurs révélations, en plus de créer de l’insécurité quant au risque de se voir opposer certaines admissions faites dans le cadre informel de la conciliation. 

 

Desgagné et Centre de recouvrement, [2009] C.L.P. 187.

Le conciliateur ne peut être contraint devant la CLP pour révéler, divulguer ce qui a pu lui être révélé ou ce qu’il a pu avoir connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Il s’agit d’une prohibition absolue, d’un droit fondamental duquel découle tout le processus de conciliation.

 

St-Martin et Sivaco Québec, C.L.P. 366422-62A-0901, 4 mars 2010, E. Malo.

Le Tribunal retient que la confidentialité des échanges tenus lors d’une séance de conciliation est une question d’ordre public devant primer sur l’intérêt privé. De plus, la protection des renseignements obtenus par le conciliateur et des faits portés à sa connaissance permet de maintenir la confiance du public dans le processus de conciliation. Sans quoi, les parties hésiteraient à s’engager dans un tel processus, de crainte d’être pénalisées par les révélations livrées lors des séances de conciliation ou les admissions faites dans ce cadre. Le conciliateur ne peut donc être contraint de témoigner sur les échanges tenus lors de la séance de conciliation qui a mené à l’accord entériné par la CLP.

 

Nutreco Canada inc. et Bournival, 2011 QCCLP 5434.

Le Tribunal est d’avis que la protection de l’intégrité du processus de conciliation prévu par la loi fait en sorte qu’il n’est pas possible d’entendre le témoignage de la conciliatrice puisque cela équivaudrait à lui demander de témoigner sur des faits dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, ce qui est interdit. Même si son témoignage permettait au Tribunal de connaître de quelle façon les échanges ont eu lieu entre les parties et disposer plus facilement de la question préliminaire dont il est saisi, une telle façon de faire irait à l’encontre de la protection de l’intégrité du processus de conciliation prévu à la loi. 

 

Néanmoins, certains décideurs considéraient que le témoignage du conciliateur était permis, quant aux circonstances ayant entouré l’expression du consentement et quant aux éléments permettant d’apprécier la qualité de ce consentement.

Entretien Paramex inc. et Girard, [1999] C.L.P. 463.

Si la Loi prévoit que les échanges entre les parties au cours du processus de conciliation sont confidentiels, elle est silencieuse quant à la question de savoir si le principe de confidentialité s'étend à la preuve de l'existence même d'une entente, de son contenu ou de la qualité du consentement donné par les parties à l'entente. Il paraît a priori contraire à la justice élémentaire de refuser d’admettre la preuve d’un vice de consentement portant atteinte à la validité même d’un accord pour le seul motif que le processus de conciliation ayant précédé la conclusion de cet accord est confidentiel. Par exception, les communications faites dans le but de régler un litige sont confidentielles et ne peuvent être mises en preuve malgré leur pertinence. L’exception ne couvre pas cependant la preuve de l’existence du règlement ou des termes du règlement, ni la menace contenue dans une offre de règlement. De fait, les faits indépendants et distincts de l’offre de règlement sont admissibles en preuve. Le vice de consentement est un tel fait indépendant et distinct de la négociation d’une entente. La CLP  a donc entendu le témoignage de la conciliatrice quant aux circonstances ayant entouré l’expression du consentement du travailleur et quant aux éléments permettant d’apprécier la qualité de ce consentement.

 

Suivi :
Requête en révocation irrecevable, AZ-00300305.

Morin et Fils spécialisés Cavalier inc., [2001] C.L.P. 288.

La CLP est d’avis que le premier commissaire n’a pas erré en droit en rejetant l’objection formulée par la travailleuse et cette objection était prématurée. En effet, le conciliateur peut être appelé à témoigner en autant que son témoignage ne l’amène pas à communiquer les informations qui ne peuvent l’être aux termes de la Loi.

 

Services Matrec inc. et Ringuette,  [2005] C.L.P. 392.

Le Tribunal est d’avis qu’une partie peut demander qu’un conciliateur témoigne pour prouver l’existence d’un accord ou d’une transaction. L’utilisation du témoignage d’un conciliateur doit cependant être restreinte aux seuls cas où c’est absolument nécessaire pour trancher la question de savoir si un accord est ou non intervenu. Avant de permettre le témoignage d’un conciliateur, il faut s’assurer que la preuve d’un accord ne peut être faite autrement. Quand il y a un litige sur l’existence d’un accord, il est fort probable qu’une partie invoque l’existence d’un accord alors que l’autre la nie; même avec une telle preuve contradictoire, il est souvent possible de statuer en se référant à d’autres éléments de preuve. Le témoignage d’un conciliateur ne doit être permis qu’avec parcimonie, afin de protéger la crédibilité de tout ce qui entoure le processus de la conciliation.

 

Suivi :
Requête en révision accueillie pour d’autres motifs, CLPE 2005LP-264.

Depuis l’entrée en vigueur de la LITAT

Alors que l’article 429.48 de la LATMP prévoyait que le conciliateur ne pouvait divulguer ce qui lui avait été révélé ou ce dont il avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, l’article 25 de la LITAT qui le remplace ajoute que la personne désignée par le Tribunal pour tenter d’amener les parties à s’entendre ne peut «être contrainte de divulguer». 

Cet ajout mettrait fin à toute controverse, puisqu’il énonce clairement que le conciliateur ne peut être contraint de témoigner pour divulguer toute information qui lui a été communiquée lors de la séance de conciliation, ce qui comprend l'échange des consentements. 

Encans Baril inc. et Caumartin, 2016 QCTAT 4214.

À la lumière de la jurisprudence et de l’ajout législatif à l’article 25 de la LITAT, le Tribunal est d’avis que le législateur met fin à toute controverse en mentionnant clairement que le conciliateur ne peut être contraint à témoigner pour divulguer toute information qui lui a été communiquée lors de la séance de conciliation, ce qui inclut, selon le Tribunal, l’échange des consentements.

 

Voir également :

Ninoles et Delom Services inc., 2020 QCTAT 3531.

L'échange de courriels impliquant le conciliateur

Garda (division Montréal) et Ryan, 2023 QCTAT 1257.

L’article 25 de la LITAT prévoit qu’un conciliateur ne peut divulguer ses notes personnelles ou des documents faits ou obtenus dans le cadre d’une conciliation. Le Tribunal ne peut donc accepter la production des échanges de courriels entre les parties impliquant la conciliatrice. Il rappelle que les parties peuvent démontrer autrement l’existence d’un accord, notamment par le biais du témoignage des représentants ayant participé aux échanges. Le Tribunal permet toutefois la production du projet d’accord et de la transaction pour s’assurer des termes de l’entente invoquée et de sa conformité à la loi.