Inscription du revenu dans la masse salariale
Deux approches se dégagent de la jurisprudence.
Un premier courant juge que les dispositions législatives sont claires : pour être couverte par la Loi, la personne visée à l’article 18 doit souscrire par écrit à une protection personnelle auprès de la Commission. Le fait d’avoir inclus son salaire dans la masse salariale de l’entreprise n’équivaut pas à la souscription aux bénéfices de la Loi, telle que prévue aux articles 18 et suivants.
- Roy et Service électro marine GR inc.,C.L.P. 325719-31-0708, 7 avril 2008. C. Lessard.
Le requérant est dirigeant de son entreprise ainsi que le seul administrateur. Il effectue également des tâches manuelles de technicien en électronique et électricité sur des navires marchands. Son entreprise compte six employés, dont le requérant; son salaire a toujours été inclus dans la masse des salaires assurables.
Selon le Tribunal, le seul fait de déclarer un revenu, à titre de travailleur, dans la masse salariale ou de tout simplement inscrire un revenu à la ligne 5 de la déclaration de revenus ne peut équivaloir à une demande de protection personnelle. En effet, le législateur a spécifiquement prévu que la personne qui désire une protection personnelle doit souscrire aux formalités prévues à l’article 21 de la Loi, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Voir également :
Dumont et Déménagex inc., 2014 QCCLP 1212.
Suivi :
Révision rejetée, 2015 QCCLP 1419.
Hamel et Pur et Zen Coiffure inc., 2016 QCTAT 653.
Mahouni et 9342-7748 Québec inc., 2019 QCTAT 2923.
Un deuxième courant est plutôt d’avis que, dans les cas où l’employeur a payé à la Commission la cotisation et déclaré le salaire du travailleur, qui est également dirigeant de l’entreprise, les conditions donnant ouverture aux bénéfices de la Loi sont alors remplies.
- St-Pierre,2015 QCCLP 2325.
Le requérant est président et unique administrateur d’une compagnie de camionnage, non inscrit auprès de la Commission. Son salaire a toujours été inclus dans le calcul des salaires assurables. Considérant le caractère social de la Loi et le principe d’équité prévu à l’article 351 de la Loi, le Tribunal conclut que le requérant a tout de même contribué au financement du régime par la déclaration annuelle de son salaire. Le Tribunal le considère donc comme étant une personne inscrite à la Commission pouvant ainsi bénéficier des indemnités prévues par la Loi.
Voir également :
Turcotte et Entreprises Peintres BSR inc., 2015 QCCLP 6565.
Réal A. Gauvin inc. et Gauvin, 2018 QCTAT 1462.
Double statut
Depuis le 1er janvier 2007, la définition de travailleur exclut le dirigeant d’une personne morale, et ce, peu importe le travail qu’il y exécute.
L’effet de l’amendement législatif est d’écarter la jurisprudence qui prévalait à l’égard du double statut d’un dirigeant. Ce double statut lui permettait, dans certaines circonstances, de se qualifier de travailleur et d’ainsi pouvoir bénéficier des prestations prévues à la Loi, sans débourser quelque somme que ce soit.
- Mutuelle de Prévention ARQ et Duhaime,C.L.P. 263460-04-0505-2, 15 novembre 2007, J. F. Clément.
Le Tribunal rappelle que, lorsque la seule âme dirigeante de l’employeur et le travailleur sont la même personne, l’article 26 de la Loi reviendrait à permettre à un justiciable d’invoquer sa propre turpitude. Ainsi, une personne pourrait faire défaut de déclarer la masse salariale qu’il reçoit lorsqu’il rend des services à l’employeur et, mettant son chapeau d’employeur, il pourrait faire défaut de payer pour une protection personnelle en se disant que de toute façon, lors de la survenance d’un accident du travail, il n’aurait qu’à invoquer la théorie du double statut.
Une telle situation permettrait donc à une personne de bénéficier de la protection de la Loi sans débourser quelque somme que ce soit, ce qui est contraire à l’intention du législateur.
Ce dernier a d’ailleurs légiféré pour éviter de tels abus, en prévoyant dans une nouvelle version de la définition de « travailleur », entrée en vigueur le 1er janvier 2007, que cette notion exclut le dirigeant d’une personne morale, quel que soit le travail qu’il exécute pour cette personne morale.
- Roy et Service électro marine G.R. inc.,C.L.P. 325719-31-0708, 7 avril 2008, C. Lessard.
Étant donné que le requérant ne détenait pas de protection personnelle au moment de la survenance de l’événement, soit le 6 mars 2007, il ne peut bénéficier des avantages prévus à la Loi, et ce, même s'il s'est blessé en accomplissant des tâches de technicien et non pas des tâches de dirigeant ou d'administrateur. Les modifications législatives de janvier 2007 ne permettent plus de reconnaître un double statut chez une personne qui est à la fois administrateur et travailleur alors qu'elle n'a pas demandé de protection personnelle à la Commission.
Voir également :
Pagé et Patrice Sauvé & Associés inc., C.L.P. 362586-62-0811, 11 mai 2009, É. Ouellet.
Suivi :
Révision rejetée, C.L.P. 362586-62-0811-R, 25 février 2010, M. Langlois.
Lefèbvre (Succession de) et Mécanoli inc., C.L.P. 364410-31-0811, 30 juin 2009, G. Tardif.
Daigle et Entreprises JDM, 2012 QCCLP 6181.
- Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles,C.S. 200-17-011834-090, 18 juin 2010, M. Lesage.
Se référant aux débats parlementaires, la Cour supérieure souligne que les modifications à la Loi indiquent clairement que le législateur visait à mettre fin au « double statut », où l’administrateur de la personne morale ne payant pas de cotisation à la Commission profitait quand même d’indemnités en cas de blessures.
Suivi :
Requête pour permission d’appeler accueillie, C.A. 200-09-007101-105, 7 octobre 2010.
Appel rejeté, 2011 QCCA 2178.
Non-rétroactivité de la protection personnelle
- Bacon et Belforêt,C.L.P. 295138-04-0607, 10 juillet 2007, A. Gauthier.
Le travailleur n'a pas droit aux bénéfices de la Loi puisqu'au moment de sa lésion, soit en février 2006, il n’avait pas d'une protection personnelle. Bien qu'il ait demandé à son comptable de prendre une telle protection auprès de la Commission pour janvier 2006, cette demande n'a été reçue qu'après son accident. D'une part, une demande de protection personnelle ne peut entrer en vigueur rétroactivement, et d'autre part, la Loi ne prévoit aucun mécanisme permettant à la Commission ou au Tribunal de relever le travailleur autonome des conséquences de son défaut d’avoir souscrit une protection personnelle avant la survenance de son accident du travail.
- Riendeau et (PP) Bruno Riendeau,2012 QCCLP 6735.
Le travailleur, propriétaire de son entreprise, n’a jamais été inscrit à la Commission. Il allègue le manque d’information et la confusion générée par les nombreux formulaires de la Commission pour justifier son défaut de souscrire à la protection personnelle. Après l’accident ayant causé une hémiplégie gauche accompagnée de déficits cognitifs, le travailleur fait des démarches en vue de faire son inscription et ainsi pouvoir bénéficier de la Loi de façon rétroactive. Le Tribunal souligne que l’ignorance de la loi n’est pas un motif pour justifier l’inaction du travailleur ou son omission à remplir le formulaire prescrit par les articles 18 et suivants de la Loi.