Interprétation

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. 2. Conjoint

Interprétation

La notion de "conjoint" doit être interprétée de façon large en tenant compte du contexte et de l’objet de la loi.

René Grondin (Succession) et Distributions Marc Boivin inc, 2012 QCCLP 4823.

Depuis plusieurs années, la Cour suprême du Canada a clairement rejeté la méthode d’interprétation littérale d’une loi. À de nombreuses reprises, elle a indiqué que le contexte joue un rôle inestimable dans l’interprétation d’une disposition législative. Elle a par ailleurs fréquemment affirmé que la méthode moderne d’interprétation d’une disposition législative ne repose pas uniquement sur le libellé à analyser. Le texte de la disposition doit être considéré dans le contexte de la loi dans son ensemble.

 

Fortin-Fournaise et Tommy Martin (Succession), 2012 QCCLP 5286.

Il n'est pas raisonnable de conclure que la loi est construite de façon à priver la requérante du statut de « conjoint » au motif qu'elle ne résidait pas avec le travailleur depuis un an à la date du décès de ce dernier.  Pour déterminer le sens d'une disposition législative, il faut connaître l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. Or, il ressort des articles 98 et 101, que ces indemnités visent à permettre au conjoint « d'avoir une certaine sécurité de revenu dont il pourrait autrement être privé en raison du décès du travailleur, car sans indemnité réparatrice », l'événement pourrait entraîner une réduction brusque des revenus familiaux. C'est également « pour empêcher les subterfuges et ne permettre que le soutien des conjoints véritables » que la loi élabore les critères qui y sont énoncés.

 

Gosselin et Hardy, 2014 QCCLP 4356.

Le tribunal convient qu’il doit donner à l’exigence de trois ans de résidence une interprétation large qui tienne compte de son contexte et qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi, à savoir accorder au conjoint survivant d’un travailleur décédé une certaine sécurité financière à la suite de ce décès. S’il faut faire preuve de souplesse dans l’analyse de cette notion tout autant que dans l’analyse de la notion de cohabitation concernant les personnes mariées, encore faut-il que les faits permettent de conclure que les parties ont résidé ensemble pendant la durée de cette période. La méthode d’interprétation dite moderne n’exclut pas en effet de donner aux termes à interpréter, à savoir en l’espèce, l’exigence de résidence avec la travailleuse depuis trois ans, leur sens « ordinaire et grammatical », mais elle précise que cette interprétation doit se faire en harmonie avec l’esprit et l’objet de la loi.

 

Notions

Cohabitation

La « cohabitation » est une notion de faits.

Tremblay et Donohue inc., [1987] C.A.L.P. 163

La première condition pour être considéré comme un conjoint au sens du paragraphe 1 de la définition de conjoint est d'être marié au travailleur à la date de son décès. À cet égard, il importe de rappeler que, selon le C.c.Q., le jugement de séparation de corps ne rompt pas les liens du mariage. Quant à la cohabitation, la loi n'en donne aucune définition, de sorte qu'on doive s'en remettre au sens courant de ce terme, que le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française définit comme suit : situation de personnes qui vivent, habitent ensemble. Comme on peut le constater à la lecture de cette définition, la cohabitation est une question de faits, qui doit s'apprécier en fonction des habitudes particulières des personnes concernées.

 

Létourneau et 9105-7091 Québec inc., C.L.P. 254231-62C-0501, le 22 février 2006, J.-D. Kushner.

La cohabitation est une question de faits qui doit s'apprécier en fonction des habitudes particulières des personnes concernées. Il doit y avoir une cohabitation réelle. L'intention de cohabiter ne suffit pas en soi pour que deux personnes mariées soient considérées comme des conjoints. L'absence de déclaration de cohabitation aux organismes gouvernementaux ne fait pas automatiquement échec à la notion de cohabitation si les autres conditions d'admissibilité sont remplies.

 

Pauzé et Pavage Royal City inc., C.L.P. 295096-71-0607, 16 août 2007, R. Deraîche.

Le terme « cohabitation » englobe la notion d'habitude de vie des parties et la « situation de personnes qui vivent, habitent ensemble ». L'exigence de la preuve de cohabitation réside dans la recherche de la notion d'aide, qui sera plus ou moins importante selon le degré d'autonomie des parties et les habitudes de vie antérieures au décès.

 

Succession Mohamed Nerdjar et Agence de personnel Império inc. (Fermé), [2009] C.L.P. 104.

La notion de cohabitation doit être analysée selon les faits et appréciée suivant les habitudes particulières des époux. L’étude de la jurisprudence permet de constater que des indicateurs, tels que la véritable intention des époux dans le maintien de la relation conjugale, la notion d'aide entre les époux et la contribution d'un des époux à la subsistance, sont analysés pour déterminer s'il y a cohabitation. Le fait que les époux ont des domiciles distincts n'est pas un critère amenant à rejeter d'emblée l'existence de la cohabitation. Le caractère social de la loi s'accorde avec le fait que l'analyse de cette notion de cohabitation doit recevoir une interprétation large et libérale. Ainsi, deux personnes vivant à distance peuvent être qualifiés de conjoints selon la loi si leur éloignement est imputable aux contraintes découlant des lois en matière d'immigration et si leur intention est de faire vie commune.

 

Walker et Pépin, 2021 QCTAT 661.

La cohabitation est une question de fait qui s’interprète largement en fonction des circonstances particulières de l’affaire. Le fait pour des époux de vivre à des adresses différentes ne vient pas nécessairement éteindre leur droit à des indemnités en cas de décès, car il faut tenir compte de la réalité moderne des couples dans la détermination de l’intention de cohabiter. Le fait d’assurer une présence mutuelle à la fois physique et émotionnelle est un indicateur de l’intention des parties de vivre ensemble de manière durable et de cohabiter.

 

Résidence

Aux fins de l'application de la Loi, le Tribunal considère que la notion de "résider avec" dont il est fait mention à la définition de "conjoint" s'interprète selon la définition de résidence duCode civil du Québec.

Succession Gilles Beaudin et Québec Téléphone, C.L.P. 128759-09-9912, 22 novembre 2000, Y. Vigneault.

Les articles 75 et 77 du C.c.Q., définissent respectivement le domicile et la résidence d'une personne. Il existe donc une distinction entre le domicile et la résidence d'une personne; la résidence étant le lieu où elle demeure de façon habituelle. Le législateur ne formule pas une telle exigence puisque la résidence doit être habituelle, c'est-à-dire, qu'elle peut être interrompue pour divers motifs.

 

Gosselin et Hardy, 2014 QCCLP 4356.

La notion de « résidence » n'est pas définie dans la loi. Le tribunal retient cependant de la définition prévue à l'article 77 du C.c.Q. que la résidence est le lieu où une personne demeure de façon habituelle. Il ressort par ailleurs de cet article qu'une personne peut avoir plus d'une résidence. La détermination de la résidence est une question de fait. La jurisprudence concernant la notion de « cohabitation » utilisée dans la définition des conjoints mariés est utile, par analogie, afin de déterminer le ou les lieux de résidence d'une personne. Selon la jurisprudence, le seul fait d'avoir des domiciles distincts n'est pas un critère permettant de rejeter d'emblée l'existence de la cohabitation.

 

La pluralité de résidences ne fait pas nécessairement échec au statut de conjoint

Thiffault et Carborundum Canada inc. (fermé), C.L.P. 331219-04-0710, 13 mars 2009, J. A. Tremblay.

Ni la Loi, ni la jurisprudence ne font état d'une exigence selon laquelle deux personnes ne peuvent avoir plus d'une résidence afin de se voir reconnaître le statut de conjoints au sens de la Loi.

 

Duguay et Roger Cyr (succession), 2013 QCCLP 1403.

Le fait, surtout à notre époque, de conserver deux maisons, ne devrait pas empêcher de considérer qu'ils vivent maritalement et résident ensemble si les circonstances militent en ce sens.

 

Enfants

Lorsque deux personnes divorcent et refont vie commune par la suite, on ne doit pas regarder si un enfant est né de leur dernière union, mais bien de l'union de ces deux personnes.

René Grondin (Succession) et Distributions Marc Boivin inc., 2012 QCCLP 4823.

Le législateur s'est montré exigeant dans les conditions d'ouverture aux indemnités de décès. Toutefois, la définition de conjoint n'exige pas, pour des parties ayant connu deux périodes de cohabitation, que l'enfant qu'ils ont eu soit né dans la période précédant le décès du travailleur. Imposer une telle exigence serait contraire à l'un des objets de la Loi, qui est de compenser les victimes de lésions professionnelles et leur entourage, le cas échéant.

 

La notion "in loco parentis" n’est pas applicable pour la détermination de l"enfant né de l'union" prévu à la définition de conjoint.

Joël Boucher (Succession) et Division Kiena, [2003] C.L.P. 1472.

La CLP estime que le législateur a voulu, à l’article 92 de la loi, intégrer la notion moderne de in loco parentis à savoir qu’une personne peut tenir lieu de mère ou de père à un enfant, même s’il n’en est pas le parent biologique. Cependant, cette introduction à l’article 92 est clairement indiquée par le législateur comme s’appliquant à la section III du chapitre III et non ailleurs dans la loi. La CLP estime que lorsque le législateur exprime de façon claire son intention, il n’y a pas lieu d’aller chercher en dehors de la loi applicable des théories qui pourraient donner un sens différent à celui exprimé. Même si l’interprétation des lois et de ses termes doit se faire dans un contexte global qui s’harmonise avec l’esprit, l’objet de la loi et l’intention du législateur, le contexte global de la loi ne permet pas de conclure qu’un enfant « est né d’une union » parce qu’un conjoint qui n’est pas le parent biologique peut être considéré comme le père de cet enfant. Un enfant est « né d'une union » lorsqu'il a pour père et mère ceux qui l'ont conçu, dans le sens biologique du terme.

 

Suivi :

Requête en révision judiciaire rejetée, C. S. Abitibi, 615-17-000196-047, 5 janvier 2005, j. St-Julien.

Relation vécue publiquement

La relation ne doit pas seulement être connu des amis et de la famille. La relation doit être notoire aux yeux de tous.

Davrieux et CSST, [1998] C.L.P. 1031.

Le fait pour des parties qui cohabitent de déclarer frauduleusement deux adresses distinctes aux autorités gouvernementales ne fait pas échec à leur reconnaissance publique à titre de conjoints.

 

Gagnon et Service de personnel Riverain inc., [2003] C.L.P. 654.

La représentation publique doit être établie à l'extérieur du cercle de la famille et des amis, soit auprès des autorités publiques ou des diverses institutions ou sociétés, ou de la population et du public en général.

 

Suivi :

Révision rejetée, C.L.P. 192381-02-0210, 12 décembre 2003, J.-L. Rivard.

Succession Jules Provost/Chantal Morin et Transport R. Mondor ltée, [2004] C.L.P. 388.

Pour qu'une représentation soit qualifiée de publique, il faut déterminer si deux personnes sont, de façon notoire aux yeux de tous et au grand jour, représentées comme conjoints. Quant aux décisions rendues par la Régie des rentes du Québec et par la Sécurité du revenu, la définition de « conjoint » prévue dans ces lois respectives est différente de celle contenue à la LATMP.

 

Létourneau et 9105-7091 Québec inc., C.L.P. 254231-62C-0501, 22 février 2006, J.-D. Kushner.

La requérante doit aussi démontrer qu'elle était représentée publiquement comme la conjointe du travailleur décédé. Il faut déterminer si la requérante était de façon notoire, aux yeux de tous et au grand jour, représentée comme la conjointe du travailleur.

 

Gauthier et Fauteux, 2021 QCTAT 939.

Les conjoints de fait doivent être représentés en tant qu’époux au vu de tous, et non uniquement devant un petit cercle de parents et amis. Pour que le critère de représentation publique soit adéquatement rempli, il faut une notoriété élargie, notamment auprès d’organismes publics ou d’institutions financières ou religieuses.