Interprétation

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. 8. Accident hors Québec

Notion de domicile

Puisque la notion de domicile n'est pas définie à la LATMP, la jurisprudence considère qu'il y a lieu d'appliquer, à titre supplétif, la notion de domicile énoncée au Code civil du Québec  (C.c.Q.) aux fins d'appliquer l'article 8. 

Nicola et Allied Signal Aerospatiale Canada Inc., [1996] C.A.L.P. 1083.

Afin de déterminer si le travailleur est domicilié au Québec en vue de l’application de l’article 8, les articles 79, 80 et 81 du Code civil du Bas-Canada  régissent à titre supplétif la question du domicile.

Mahoon (succession) et Boutique Le Roch, C.L.P. 323942-71-0707, 20 juin 2008, Anne Vaillancourt. 

La détermination du domicile du travailleur est régie par les articles 75 à 83 du C.c.Q. Le domicile correspond souvent à la résidence, mais il peut en être autrement et il existe une différence entre la résidence et le domicile, qui a un caractère plus permanent. En l'espèce, le fait que le travailleur habitait au Québec est un élément à considérer pour établir le lieu de son domicile même s'il pouvait avoir une adresse de résidence en Inde, ce qui n'est pas incompatible. 

Laul et Transport Trans Xline inc., C.L.P. 326682-62-0708, 5 novembre 2009, D. Lévesque. 

En incluant uniquement la notion de domicile à l’article 8, le législateur indique clairement son intention de conceptualiser différemment les notions de résidence et de domicile. Le législateur n'ayant pas défini la notion de domicile, il y a lieu d'appliquer, à titre supplétif, les dispositions du C.c.Q. En droit, il est possible de posséder plusieurs résidences, mais qu’un seul domicile, puisqu'on ne peut avoir qu'un seul établissement principal. Un domicile consiste, pour une personne, à avoir établi, par son intention et ses gestes, un rattachement permanent à un lieu. Pour établir cette intention de rattachement permanent à un lieu de la part d’une personne, il faut regarder son historique. Lorsqu'il est possible d’établir le domicile avec la présence d’éléments intentionnels et factuels, il n’est pas nécessaire de faire appel à la présomption prévue à l’article 77 C.c.Q.

Zhang et Lock-Danseurs Inc., 2013 QCCLP 2157.

La jurisprudence considère que c'est en fonction des articles 75 et suivants du C.c.Q. que le tribunal interprète la notion de domicile prévue à l'article 8. L'article 8 exige que le travailleur soit domicilié au Québec, et ce, indépendamment du caractère permanent ou temporaire de ce domicile. Par ailleurs, selon la doctrine, le domicile d’une personne ne le restreint pas dans ses mouvements et peut être établi, qu’il s’y trouve physiquement ou non. 

Voir également :

Deng et Lock-Danseurs inc., 2013 QCCLP 6269.

Suivi :

Révision accueillie sur un autre point, 2015 QCCLP 71.

Aucun régime d'indemnisation distinct

L'article 8 ne crée pas un régime d'indemnisation distinct du fait que le travailleur a subi un accident ou une maladie hors du Québec alors qu'il est domicilié au Québec et que son employeur y a un établissement. Le travailleur doit faire la preuve, comme pour tous les travailleurs voulant se voir indemniser en vertu de la LATMP, qu'il a subi un accident du travail ou une maladie professionnelle.  

Bombardier Aéronautique inc. et Forbes, 2014 QCCLP 2512.

L'article 8 prévoit que le travailleur qui séjourne à l'étranger dans le contexte de son travail a droit aux bénéfices de la loi pourvu qu'il soit victime d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail survenu hors du Québec, qu'il soit domicilié au Québec et que son employeur y ait un établissement. Contrairement à ce qu'allègue le travailleur, cet article n'a pas pour effet de dispenser ce dernier de démontrer qu'il a été victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle hors du Québec ou d'autres éléments permettant l'application de la loi. En effet, le travailleur qui fait une réclamation pour un accident ou une maladie professionnelle survenus hors du Québec ne peut avoir plus de droits qu'un travailleur victime d'une lésion professionnelle exerçant son emploi au Québec. Ce n'est sûrement pas l'intention du législateur de créer deux régimes distincts d'indemnisation.

Biagioni et Le Présent importateurs ltée, 2014 QCCLP 6573.

Le libellé de l'article 8 indique qu'il ne s'agit pas d'une présomption, à l'opposé de l'article 28, mais plutôt d'une disposition qui vise à préciser la portée territoriale de la loi. En effet, la règle énoncée dans la doctrine veut qu'en « l'absence de disposition contraire, expresse ou implicite, on présumera que l'auteur d'un texte législatif entend qu'il s'applique aux personnes, aux biens, aux actes ou aux faits qui se situent à l'intérieur des limites du territoire soumis à sa compétence ».  D'ailleurs, le terme  « la présente loi s'applique » est immédiatement qualifié par les mots « au travailleur victime d'un accident du travail hors du Québec ». Ainsi, même si la loi s'applique à un travailleur, encore faut-il que celui-ci prouve qu'il a été victime, hors du Québec, d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, ce qui nous renvoie au point de départ. De plus, à l'instar de Bombardier Aéronautique inc. et Forbes, le tribunal estime qu'il serait absurde qu'un travailleur qui dépose une réclamation à la CSST pour un accident du travail ou une maladie professionnelle étant survenu hors du Québec puisse avoir plus de droits qu'un travailleur placé dans la même situation au Québec. Le législateur ne peut avoir l'intention de créer deux régimes distincts d'indemnisation.

Bombardier inc. (Aéronautique Usinage) et Gammieri, 2015 QCCLP 3353.

Se ralliant à l'affaire Bagioni et Le Présent importateurs ltée, le tribunal souligne que l'article 8 ne crée pas un régime d'exception ou une présomption pour le travailleur qui se blesse hors du Québec. Ainsi, que le travailleur soit à l'étranger ou au Québec il devra faire la preuve que sa lésion est survenue soit par le fait du travail, soit à l'occasion du travail.

Applicabilité de l'article 8 lors d'une RRA

La jurisprudence considère qu'un travailleur qui a été victime d'une lésion professionnelle en vertu de la LATMP peut se voir reconnaître une RRA alors que les conditions de l'article 8 ne seraient pas remplies. 

Nahimana et Groupe Datamark System inc., 2010 QCCLP 8028.

Pour favoriser l’accomplissement de l’objet de la loi et par souci de cohérence, les articles 7 et 8 LATMP, bien qu’ils soient silencieux à ce sujet, incluent les cas de RRA. La LATMP, de par son aspect social et réparateur, doit être interprétée de manière large, libérale et de façon à tenir compte de l’ensemble de la loi. Le tribunal considère la RRA comme l’accessoire de la lésion initiale et à condition que le travailleur soit assujetti à la LATMP lors de sa lésion initiale, il le demeure indépendamment du lieu où il se trouve pour une RRA

Applicabilité aux employés de l'État

Selon la jurisprudence, lorsque l'article 8 LATMP entre en conflit avec les dispositions de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État  (LIAÉ), du fait que l'agent de l'État n'est pas domicilié au Québec alors qu'il y exerce un emploi, l'article 8 doit céder le pas à la loi fédérale et devient alors  inopérant.  

Ainsi, un travailleur qui est assujetti à la LIAÉ pourra se voir reconnaître une lésion professionnelle et être indemnisé en vertu de la LATMP selon les conditions d'application de l'article 4 LIAÉ

Commission Emploi et Immigration Canada et Montaigue, [1990] C.A.L.P. 1336.

Le gouvernement fédéral a compétence exclusive sur ses employés. Or, la Loi sur l'indemnisation des employés de l'état  [LIÉÉ) prévoit que c'est la législation de la province où le travailleur est ordinairement occupé à exercer son emploi qui s'applique quant au régime d'indemnisation s'il subit une lésion professionnelle. En l'espèce, comme la travailleuse travaille ordinairement à Hull, en vertu de la loi fédérale, c'est la loi québécoise qui s'applique, soit la LATMP. Par ailleurs, bien que l'article 8 LATMP précise qu'un travailleur doit être domicilié au Québec pour être admissible aux bénéfices de la LATMP, cet article entre en conflit avec la loi fédérale et doit lui céder le pas. Il doit donc être déclaré inopérant dans le cas des employés fédéraux. De plus, l'entente conclue entre le gouvernement fédéral et la CSST en vertu de l'article 170 LSST, ne limite en rien l'admissibilité de l'employé de l'État fédéral aux bénéfices de la LATMP. Au contraire, l'entente vise à clarifier les responsabilités et obligations des parties et précise que c'est la LIÉÉ qui prévoit l'admissibilité aux bénéfices de la loi provinciale.

Vaillancourt et Agence canadienne de développement international, C.L.P. 150421-07-0011, 21 septembre 2001, M. Langlois. 

Appliquant mutatis mutandis les principes de l’affaire Montaigue aux dispositions de la nouvelle loi fédérale de 1985, soit la  LIAÉ, le tribunal retient que l’article 8 LATMP doit céder le pas aux dispositions de la loi fédérale sur l’applicabilité des cas où l’accident est survenu ou la maladie a été contractée à l’extérieur du Québec alors que l'employé exerce son emploi au Québec. Il faut donc se rapporter à l’article 4 LIAÉ pour déterminer si la maladie du travailleur peut être indemnisée par la CSST.

Gordon Hicks et Ressources humaines et développement des compétences Canada, 2013 QCCLP 5925. 

Se ralliant aux affaires Commission Emploi et Immigration Canada et Montaigue et Vaillancourt et Agence canadienne de développement international, le tribunal considère que l’article 8 LATMP est inapplicable aux employés fédéraux, car celui-ci doit céder le pas aux dispositions de la loi fédérale, la LIAÉ, et ce, dans les cas où l’accident est survenu ou la maladie a été contractée hors du Québec alors que l'employé exerce un emploi au Québec. Il faut donc se rapporter à l'article 4 LIAÉ pour déterminer si le travailleur peut se voir indemniser par la CSST.

Constitutionnalité de l'article 8

Selon la Cour d'appel, l'article 8 LATMP n'est pas inconstitutionnel et ne contrevient pas à l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés(Charte), car il n'empêche pas une personne de gagner sa vie dans toutes les provinces. L'article 8 est également conforme à l'article 15 de la Charte qui énonce des motifs de discrimination.  

Soucy c. Le Procureur général du Québec, [2007] C.L.P. 1369 (C.A.).

La Cour d’appel rejette l’argument du travailleur, un résident de l’Ontario victime d’un accident de travail aux États-Unis alors qu’il travaillait pour un employeur ayant un établissement au Québec, voulant que l’article 8 LATMP contrevienne à l’article 6 de la Charte. L’article 8 LATMP n'a pas pour effet d'empêcher une personne de gagner sa vie dans toute province. Cet article est également conforme avec l’article 15 de la Charte puisque le lieu de domicile n'est pas une caractéristique personnelle et ne peut être qualifié de motif analogue aux motifs de discrimination qui y sont énoncés. De plus, puisque le régime général de responsabilité demeure, il n'existe pas de vide juridique pour un travailleur qui n'est pas couvert par la LATMP puisqu'il peut poursuivre son employeur en dommages-intérêts. 

Suivi :

Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S.C. 32406, 24 avril 2008.

Notion d'employeur

Voir

Article 2, rubrique Interprétation - sous le titre Employeur.

Notion d'établissement au Québec

Voir :

Article 2, rubrique Interprétation - sous le titre Employeur.