Interprétation

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. 76. Détermination d'un revenu plus élevé

Circonstances particulières

La jurisprudence du tribunal considère que l’expression « circonstances particulières » de l’article 76 vise une circonstance étrangère à la lésion professionnelle. De plus, la jurisprudence retient que les circonstances particulières devaient exister au moment de la manifestation de la lésion professionnelle.

Soulières et Tawell Équipements inc.,C.L.P. 141331-63-0006, 2 avril 2001, D. Beauregard.

N'eût été une circonstance particulière, soit le report de la période de vacances du directeur du service des travaux publics de la Ville de Berthierville, le travailleur aurait occupé cet emploi plus rémunérateur au moment de la lésion professionnelle survenue chez un autre employeur. La preuve démontre qu’aux étés des deux années précédentes, le travailleur avait exercé cette fonction. De plus, la Ville avait adopté une résolution en vertu de laquelle le travailleur devait remplacer de manière imminente le directeur des travaux publics pendant les vacances de ce dernier. Le fait qu’il aurait occupé cet emploi pour une période de six à huit semaines au taux horaire de 17,35 $, 40 heures par semaine, permet l'application de l'article 76 puisque rien dans la loi n'oblige un travailleur à faire la démonstration qu'il aurait occupé l'emploi plus rémunérateur pour une durée indéterminée. De plus, après ce remplacement, il est plus que probable que le travailleur aurait occupé un poste permanent de journalier mieux rémunéré. Le fait qu’en 1997 (année de la survenance de la lésion professionnelle), il n'ait pas postulé pour ce poste n'est pas déterminant, car au cours des années précédentes, chaque fois, il a postulé et sa candidature était toujours retenue. Le fait que la Ville n’ait pu affirmer à 99,9 % que le travailleur aurait été embauché au poste de journalier n’est pas déterminant, car ce niveau de certitude n’est pas exigé par le tribunal. Une preuve probante est suffisante.

 

Bériault et Transport Jean-Louis Allaire et Fils inc.,C.L.P. 144182-08-0008, 17 janvier 2002, Monique Lamarre.

Le travailleur se voit offrir un emploi d’opérateur de machinerie lourde au taux horaire de 18 $ avec avantages (logement, camion fourni, etc.). Un contrat de travail intervient verbalement entre l'employeur et le travailleur. Ce dernier aurait commencé ce travail à l’automne 1997, n’eût été le bris de la machinerie qu’il devait opérer. L’employeur a convenu de rappeler le travailleur dès que la machinerie serait réparée. En attendant de pouvoir débuter cet emploi, le travailleur œuvre pour un autre employeur à un salaire moindre lorsqu'il subit un accident du travail. Par conséquent, à la fin de décembre 1997, lors de l’appel l’informant que la machinerie était réparée, le travailleur était dans l’incapacité d’œuvrer pour cet employeur. Le tribunal conclut que le travailleur remplit les conditions d’application de l’article 76, car la preuve démontre qu'il aurait pu occuper un autre emploi plus rémunérateur au moment de la survenance de la lésion professionnelle et qu’il ne s’agissait pas d’une situation purement hypothétique.

 

Chagnon et Aventure Électronique (faillite),C.L.P. 187312-71-0207, 6 février 2003, L. Couture.

La CSST devra déterminer un revenu brut plus élevé, car le travailleur a démontré que les deux conditions de l'article 76 sont remplies. Lors de sa demande de révision du calcul de l'IRR, il était incapable depuis plus de deux ans d'exercer son emploi et, n'eût été la tempête de verglas en janvier 1998, il aurait occupé, au moment de sa lésion professionnelle, un emploi plus rémunérateur de représentant commercial que celui de vendeur qu'il occupait à temps partiel.

 

Baril et Entreprise S. Mathieu,2015 QCCLP 2979.

En septembre 2010, sachant qu’à la suite d'une éventuelle condamnation au criminel pour conduite en état d'ébriété son permis de conduire sera révoqué et pour éviter d'entacher son dossier professionnel, le travailleur préfère démissionner de son poste de mécanicien industriel. À compter du mois d'octobre 2010, le travailleur occupe un nouvel emploi, dont le revenu annuel brut est moindre que celui de mécanicien industriel. Le travailleur allègue que n'eût été des circonstances particulières, il n'aurait pas démissionné de son emploi de mécanicien industriel. Il aurait ainsi pu exercer cet emploi mieux rémunéré lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle en janvier 2012. Le tribunal conclut qu’il ne peut appliquer l’article 76, puisque la deuxième condition n’est pas satisfaite. En effet, au moment où se manifeste sa lésion professionnelle, le travailleur n'a plus aucun lien d'emploi avec l'employeur chez lequel il a œuvré comme mécanicien industriel et n'a démontré aucun engagement ni aucune entente formelle avec cet ancien employeur, ni même avec un nouvel employeur, attestant qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur en janvier 2012. Or, la condition suivant laquelle le travailleur aurait pu exercer un emploi plus rémunérateur doit prévaloir au moment précis où survient sa lésion professionnelle. Il ne peut s'agir d'une situation hypothétique, voire de la spéculation, comme celle invoquée par le travailleur. En l’espèce, au moment où se manifeste la lésion professionnelle, il ne s’agit pas d’une réalité en voie de se concrétiser ou d’une situation n’ayant pu se réaliser en raison de circonstances particulières. Ces dernières doivent correspondre à la réalité qui prévaut au moment où se manifeste la lésion professionnelle.

 

Voir cependant :

Pépin et Gilles Leblanc - Dentiste,C.L.P. 273662-64-0510, 25 août 2006, H. Marchand.

La travailleuse était en incapacité de travail depuis plus de deux ans puisque son incapacité a débuté le 15 juin 2001 et que sa dernière lésion a été consolidée le 15 février 2006. Elle a donc satisfait à la première condition d'application de cet article. Le tribunal conclut que la travailleuse a également satisfait à la deuxième condition d’application de l’article 76 puisque, dans un premier temps, la preuve démontre qu’elle a refusé un premier emploi permanent auprès d'un médecin en novembre 1999 en raison des nombreux symptômes qu'elle ressentait déjà eu égard à son travail et pour lesquels elle a commencé une investigation médicale dès septembre 1999. Puis, dans un deuxième temps, qu’elle aurait pu commencer un emploi permanent à temps plein chez un autre médecin dès le 6 août 2001, n'eût été son arrêt de travail pour maladie professionnelle le 15 juin 2001.

 

Nowak et Island Bar (fermé),C.L.P. 368020-62A-0901, 10 février 2010, C. Burdett.

Le Tribunal conclut que les deux conditions d'application ont été satisfaites, notamment des « circonstances particulières » ont été prouvées, puisque le travailleur aurait pu occuper un autre emploi plus rémunérateur au moment de la survenance d’une RRA. En effet, le travailleur s’est présenté à une entrevue d'embauche et sa candidature a été retenue. Bien qu’il ne fut pas nécessaire que l’entreprise écrive une lettre, celle-ci confirme que le travailleur avait obtenu le poste et le salaire afférent, mais qu’il a dû refuser l'emploi en raison de son état de santé, plus particulièrement à cause de sa RRA. ll y a donc lieu de modifier le revenu brut annuel du travailleur aux fins du calcul de son IRR pour tenir compte d'un nouvel emploi plus rémunérateur qu'il aurait pu occuper, n'eût été une RRA.

 

Selon la jurisprudence, une circonstance particulière ne vise pas la situation d’un travailleur privé d’un revenu plus rémunérateur chez son employeur en raison de son incapacité à exercer son emploi à la suite de sa lésion professionnelle. 

Ainsi, le fait qu’un travailleur aurait eu une progression salariale en poursuivant l’exercice de son emploi ou aurait pu accéder à un autre poste plus rémunérateur ou encore aurait exercé son emploi un nombre d’heures plus élevé que lors de sa lésion professionnelle ne représente pas des circonstances particulières au sens de l’article 76, car ces circonstances découlent de la lésion professionnelle elle-même. 

Laroche et Entreprises Nortec inc. (fermé), C.L.P. 168349-03B-0109, 19 mars 2002, G. Marquis.

Cette disposition ne vise pas la situation d'un travailleur qui est privé d'un revenu plus rémunérateur en raison de l'incapacité qui résulte de sa lésion professionnelle. Le législateur n'a pas voulu inclure dans la notion de « circonstances particulières » le fait que le travailleur soit incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle. Dès lors, la démonstration de la progression salariale qu'aurait été susceptible de connaître le travailleur s'il avait poursuivi l'exercice de son emploi d'aide-foreur ou même s'il avait accédé au poste de foreur après la survenance de sa lésion professionnelle, n'est pas pertinente à l'application de l'article 76. Le législateur a prévu d'autres mécanismes spécifiques, bien que limités, qui permettent au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'être indemnisé en tenant compte du revenu qu'il tirait au moment de sa lésion professionnelle et aussi, dans une certaine mesure, de la perte de capacité de gain qui résulte de cette lésion. Il s'agit, dans tous les cas, de la revalorisation annuelle de la base salariale servant au calcul de l'IRR.

 

Sauvageau et Soutien à l’imputation, C.L.P. 175407-08-0112-R, 19 mai 2004, L. Nadeau (décision sur requête en révision).

La jurisprudence considère que l'expression « circonstances particulières » se trouvant à l'article 76 ne vise pas la situation où l'incapacité du travailleur privé d'un revenu plus rémunérateur découle de la lésion professionnelle elle-même.

 

Bédard et Hôpital Général de Québec, C.L.P. 264020-31-0506, 30 novembre 2005, J.-L. Rivard.

L'expression « circonstances particulières » ne vise pas la situation d'un travailleur privé d'un revenu plus rémunérateur dont l'incapacité découle de la lésion professionnelle elle-même. Or, en l'espèce, le travailleur n'a pas démontré de circonstances particulières autres que la lésion professionnelle elle-même. C'est en raison de cette lésion qu'il n’a pu obtenir un poste à temps plein avec majoration de son salaire horaire.

 

Suivi :

Révision rejetée, 30 mai 2007, G. Marquis.

Sukovic et Scores Sherbrooke,C.L.P. 328892-05-0709, 22 janvier 2008, L. Boudreault.

Au moment de la lésion professionnelle, le travailleur occupe un emploi sur appel selon son rang d'ancienneté. Le fait qu'avec le temps, son ancienneté augmentant, le travailleur aurait été appelé à faire plus d'heures et ainsi, obtenir une rémunération supérieure, ne constitue pas une circonstance particulière au sens de l'article 76. En effet, si le travailleur n'a pas pu faire plus d'heures de travail en 2004 (année où est survenue sa lésion professionnelle) et dans les années suivantes, c'est en raison de sa lésion professionnelle et non pas en raison de circonstances particulières. En fait, il se trouve dans la même situation que les travailleurs qui, en raison d’une lésion professionnelle, doivent cesser d’exercer leur emploi et ne peuvent tirer profit, pendant leur période d’incapacité, des différents changements aux conditions de travail et salaire ou rémunération qui se produisent pendant cette période d'incapacité. 

 

Turcotte et Aliments Lesters ltée,C.L.P. 412896-61-1006, 22 décembre 2010, C.-A. Ducharme.

Il n'y a pas lieu de modifier le revenu brut pour la détermination de l'IRR du travailleur, car ce dernier n'a pas pu prouver qu'une circonstance exceptionnelle l'a privé d'un emploi plus rémunérateur. Au moment de la survenance de sa lésion, le travailleur a alors un statut de salarié sur la liste de disponibilité, puisqu'il est en période de probation pour 60 jours pour le poste de préposé à l'assainissement. Ce n'est qu'ultérieurement, soit à la fin de cette période, qu'il aurait pu acquérir un tel statut, dont le salaire horaire aurait été de 14,75 $ au lieu de 9,90 $. Le tribunal ne retient pas l'argument selon lequel le salaire horaire de 14,75 $ faisait partie de la capacité de gain « acquise » du travailleur au moment de sa lésion professionnelle, puisqu’il demeurait toujours possible que l’employeur ne retienne pas ses services, tout comme des événements de nature personnelle pouvaient faire en sorte qu’il ne termine pas sa période de probation. Cependant, mis à part ces hypothèses, le tribunal mentionne que la seule raison ayant privé le travailleur d'avoir accès au statut de salarié sur la liste de disponibilité chez l'employeur et au salaire y correspondant est son incapacité résultant de sa lésion professionnelle. Or, selon la jurisprudence, cette situation n'est pas couverte par l'expression « circonstances particulières » édictée à l'article 76. 

 

Suivi :

Révision rejetée, 2011 QCCLP 6783.

Par ailleurs, à l’occasion, la jurisprudence a également interprété l’expression « circonstances particulières » comme étant une circonstance qui pouvait être personnelle au travailleur ou particulière à sa situation et qui affecte sa relation avec son employeur. 

Pilon et Restaurant Steak Cie, [2004] C.L.P. 803.

La travailleuse a droit à l'application de l'article 76 puisqu'elle a démontré qu'elle aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur, soit celui de serveuse cinq jours par semaine chez l’employeur, n’eût été de circonstances particulières, soit la maladie de son fils. L'expression « circonstances particulières » de cet article ne réfère pas exclusivement à une circonstance venant du milieu du travail, mais permet tout autant de référer à une circonstance venant du travailleur et affectant la relation employeur/travailleur. Le tribunal ne peut souscrire à l'allégation de la représentante de la CSST qui voudrait limiter les « circonstances particulières » aux seules circonstances « hors de contrôle pour les travailleurs ». Comme vu, la loi n'énonce pas une telle limitation.

 

Jolin et Pavillons St-Vincent, St- Joseph, Murray, C.L.P. 343951-05-0803, 10 février 2009, F. Ranger.

La travailleuse a un contrat de travail pour un poste de préposée aux bénéficiaires à temps plein, soit cinq jours par semaine, chez son employeur. À la demande de la travailleuse, son employeur lui permet, pour un temps limité, d'occuper son poste à raison de deux jours par semaine. Alors qu'elle travaille selon son horaire de deux jours par semaine, elle se blesse au travail. Le tribunal conclut que la travailleuse a le droit d’être indemnisée selon le revenu brut annuel que lui procure cet emploi exercé à temps plein, car elle aurait pu occuper cet emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières. Une circonstance est particulière lorsqu'elle concerne spécifiquement quelqu'un. Or, la situation de la travailleuse se distinguait de celle des autres préposés aux bénéficiaires titulaires d'un poste à temps complet, car elle bénéficiait d'une disposition de sa convention collective qui lui permettait de profiter, durant une période de temps limité, d'un congé sans solde partiel. 

 

Léonard et Vitrerie Bellefeuille enr. (faillite), C.L.P. 255544-64-0502, 13 octobre 2006, R. Daniel.

Il y a lieu d'appliquer l'article 76 puisque le travailleur a démontré qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières. En l’espèce, en raison de sa charge de travail, l'employeur n'a pu compléter les démarches auprès de la Commission de la construction du Québec afin que le travailleur puisse obtenir une carte de compétence pour exercer le métier de monteur mécanicien-vitrier, et ce, avant que ne survienne la lésion professionnelle. Néanmoins, des éléments de preuve démontrent que ces démarches ne constituent pas simplement une possibilité pour le travailleur d’occuper le métier de monteur mécanicien-vitrier, mais bien une réalité en voie de se concrétiser. En effet, si les démarches avaient abouti, le travailleur aurait bénéficié, à la date de son accident, d’un salaire de monteur mécanicien-vitrier première année. Ainsi, la base salariale à retenir aux fins du calcul de l’IRR doit être modifiée en conséquence et évaluée sur le taux horaire d’un monteur mécanicien-vitrier première année, soit 15,63 $ pour l’année 2002, et ce, rétroactivement à la date de l’incapacité du travailleur à exercer son emploi. 

 

Torchenaud et Service d'aide domestique enr., 2016 QCTAT 2440.

Le Tribunal rappelle que selon la jurisprudence, l’article 76 ne vise pas à pallier les conséquences d’une lésion professionnelle et que les circonstances particulières font référence à des circonstances qui sont particulières au travailleur concerné, c’est-à-dire qu’elles lui sont personnelles. Or, la travailleuse n’identifie pas de circonstances particulières qui lui sont propres et la concernent de façon particulière. Les modalités découlant de l’entente intervenue entre les parties à la suite de la décision de la Commission des relations du travail et permettant aux travailleurs une réintégration en emploi et une meilleure rémunération pour le même emploi, maintenant doté d’un nouveau titre d’emploi, s’appliquent à tous les travailleurs visés par cette entente. Ces circonstances ne constituent donc pas des conditions particulières au sens de l’article 76.