Invalidité et incapacité
Dans l’évaluation de l’invalidité grave et prolongée visée par l’application de l’article 116 de la Loi, soit la participation du travailleur au régime de retraite, deux approches se dégagent de la jurisprudence.
Pour certains décideurs, un travailleur incapable d’exercer un emploi convenable sera considéré comme étant atteint d’une invalidité grave et prolongée au sens des articles 116 et 93 de la Loi.
- Roberge et Marché Lafrance inc., C.L.P. 244533-05-0409, 28 juin 2007, L. Boudreault.
Dans une décision rendue en 2004, le Tribunal concluait que le travailleur était incapable d'exercer son emploi convenable en raison des effets secondaires des différents narcotiques qu'il prenait. Comme ceux-ci sont toujours prescrits, on ne peut conclure qu'il serait capable d'exercer l'emploi convenable. Le travailleur est donc atteint d'une invalidité visée à l'article 93.
- Pelletier et Pintendre Autos inc., 2013 QCCLP 4232.
Le travailleur, suite à une RRA, est suivi pour un trouble somatoforme et un trouble de conversion. La lésion est consolidée avec une atteinte permanente de 15% et une limitation fonctionnelle d’éviter de travailler selon un horaire de travail à demi-temps, sans pression au niveau de la production. La Commission déclare qu’il n’est pas possible de déterminer d’emploi convenable au travailleur. Dans le cadre d’un recours concernant la participation au régime de retraite prévue à l’article 116 de la Loi, le Tribunal conclut que la Commission a reconnu que le travailleur est atteint d’une invalidité grave et prolongée puisqu’elle a déclaré qu’il n’est pas possible de déterminer un emploi convenable au travailleur.
- Bellemare et Commission scolaire des Navigateurs, 2015 QCCLP 2420.
Quand un travailleur est incapable d'exercer un emploi convenable, il a droit aux bénéfices prévus à l'article 116 puisqu'il est considéré invalide, tel que défini à l'article 93.
D’autres décideurs sont plutôt d’avis que la décision de la Commission de ne pas déterminer d’emploi convenable à un travailleur ne fait pas automatiquement de lui une personne invalide au sens des articles 116 et 93 de la Loi.
- Barber et Peintre & décorateur HW inc., C.L.P. 254505-72-0502-C, 21 avril 2006, S. Arcand.
La décision de la Commission de ne pas déterminer d’emploi convenable au travailleur s’explique par une combinaison de facteurs dont son âge, son unilinguisme, le fait qu’il soit illettré, son expérience unique de travail et sa personnalité. L’incapacité du travailleur ne résulte donc pas d’une invalidité physique ou mentale grave au sens de l’article 93 de la Loi.
- Dumont et Cégep de Lévis-Lauzon, C.L.P. 329479-03B-0710, 31 mars 2009, R. Savard.
Le Tribunal souligne que l’application de l’article 47 de la Loi, qui vise l’inemployabilité d’un travailleur pour occuper un emploi à temps plein ailleurs sur le marché de travail, ne permet pas automatiquement de déclarer que ce même travailleur est dans un état d’invalidité physique grave et prolongé, tel que défini à l’article 93 de la Loi, article qui doit s’appliquer restrictivement.
- Dostie et Métallurgie Castech inc., 2014 QCCLP 2535.
La Commission poursuit le versement de l’IRR jusqu’à ce que le travailleur atteigne l’âge de 68 ans, considérant l’impossibilité de l’employeur de lui offrir un emploi convenable tel que prévu à l’article 53 de la Loi. Le Tribunal est d’avis qu’un travailleur visé par cette dernière disposition ne peut être reconnu comme présentant une invalidité grave et prolongée au sens de l’article 93 de la Loi.
- Blais et Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2018 QCTAT 472.
Il faut distinguer l’invalidité prévue à l’article 93 de la Loi et l’incapacité du travailleur d’occuper un emploi convenable au sens de l’article 47 de la Loi. En effet, pour reconnaître au travailleur une invalidité grave au sens de l’article 93 de la Loi, il doit être incapable de faire son travail pour des motifs strictement reliés à sa lésion professionnelle. Or, la Commission a déterminé que le travailleur était incapable d’occuper un emploi rémunérateur pour plusieurs motifs au-delà de ceux directement rattachés à sa lésion professionnelle. Notamment, son unilinguisme anglophone et sa faible scolarisation.
Suivi :
Révision rejetée, 2018 QCTAT 4597.
- Bah et Av-Tech inc., 2018 QCTAT 870.
Les limitations fonctionnelles accordées au travailleur ne le rendent pas incapable d’occuper tout emploi sur le marché du travail, et ce, de façon définitive. À ce titre, lorsque la Commission a décidé qu’il était actuellement impossible de lui déterminer un emploi convenable, elle ne s’est pas uniquement fiée aux conséquences de la lésion professionnelle mais a aussi considéré des aspects de sa personnalité et de sa motivation. Ainsi, le Tribunal est d’avis que le travailleur n’est pas atteint d’une invalidité physique et mentale grave et prolongée au sens de l’article 93 de la Loi.
- Arsenault et CHSLD Nord, 2022 QCTAT 2752.
Le Tribunal retient que l’invalidité grave et prolongée au sens des articles 93 et 116 de la Loi doit découler de la lésion professionnelle et non de conditions personnelles. Ainsi, la conclusion voulant qu’un travailleur soit atteint d’une telle invalidité dès qu'une décision en application de l’article 47 de la Loi est rendue ne respecte pas l’esprit de la Loi qui est d’indemniser les travailleurs pour les conséquences de leurs lésions professionnelles. En effet, d’autres motifs qu’une invalidité grave et prolongée poussent parfois la Commission à verser des indemnités aux travailleurs jusqu’à l’âge de 68 ans. En l'espèce, le Tribunal estime que la preuve démontre que la travailleuse est aux prises avec une invalidité physique et mentale grave et prolongée au sens de l’article 93 de la Loi.
Voir également :
Lepage et Entreprises Construction Québec ltée, 2019 QCTAT 1073.