Interprétation

Retour à l'article
 
. 2. Lésion professionnelle de nature psychologique

Inapplicabilité de la présomption de lésion professionnelle 

Selon la jurisprudence, la présomption de lésion professionnelle, édictée à l’article 28 LATMP, ne s’applique pas aux lésions de nature psychologique puisque les diagnostics qui y sont associés ne réfèrent pas à la notion de blessure, mais plutôt à celle de maladie.

Cormier et CTR Défi Intel Mauricie Centre Québec, C.L.P. 229704-04-0403, 19 avril 2005, J.-F. Clément.

Selon Le Nouveau Petit Robert, une « blessure » est une lésion faite aux tissus vivants par une cause extérieure comme une pression, un instrument tranchant ou contondant, une arme à feu ou de la chaleur, et ce, involontairement ou pour nuire. Même si ce dictionnaire réfère également à la notion d’atteinte morale, il s’agit plus d’une utilisation du terme « blessure » au sens figuré que dans le sens d’une pathologie psychiatrique quelconque. En l’espèce, le diagnostic de trouble de stress aigu ne correspond pas à la définition de « blessure » au sens courant et accepté du terme, soit une lésion physique provoquée par un agent vulnérant extérieur. Comme la notion de « blessure » réfère plutôt à l’intégrité physique d’une personne qu’à son intégrité psychique ou psychologique, la présomption prévue à l’article 28 ne peut donc trouver application.

 

D… R… et Centre A, C.L.P. 258167-09-0503, 2 décembre 2008, N. Michaud.

En l’espèce, en regard de l’admissibilité de la réclamation pour un trouble de l'adaptation avec humeur dépressive, la présomption de lésion professionnelle prévue à l'article 28 ne s'applique pas, car la notion de blessure comprend uniquement des lésions d'ordre physique.

 

Pichette et Bouteilles recyclées du Québec BRQ inc., 2012 QCCLP 1518.

Selon la jurisprudence, une lésion à caractère psychologique ne constitue pas une blessure, mais plutôt une maladie. Dans ce contexte, la présomption de lésion professionnelle ne peut s'appliquer puisqu'elle exige notamment la preuve d'une blessure.

 

M… D… et Compagnie A, 2013 QCCLP 1756.

La jurisprudence de la CLP a établi qu'une lésion psychologique ne peut être considérée comme étant une «  blessure  » au sens de l'article 28 puisque selon le sens usuel, le mot «blessure» se définit comme une « atteinte des tissus vivants par un agent vulnérant extérieur ». Or, une lésion psychologique ne comporte pas une telle atteinte. Par conséquent, la présomption de lésion professionnelle ne s'applique pas.

 

St-Pierre et Transport Matte ltée, 2015 QCCLP 6418.

Selon une jurisprudence constante et bien établie du tribunal, une lésion d’ordre psychologique ne saurait correspondre à la notion de « blessure ». Le travailleur ne peut donc pas bénéficier de l’application de cette présomption.

 

F… C… et Compagnie A, 2016 QCTAT 1268.

La définition et l’interprétation à donner à la notion de blessure est un exercice qui a déjà été fait depuis longtemps et qui est à l’origine d’une jurisprudence constante et bien établie depuis les tous débuts de la CALP et par la suite à la CLP et au TAT, suivant lequel une lésion d’ordre psychologique ne saurait correspondre à la notion de blessure au sens de l’article 28 LATMP. Il y a donc lieu de souscrire à cette interprétation solidement ancrée. Par conséquent, la présomption prévue à l’article 28 n’est pas applicable puisqu'un diagnostic de nature psychologique ne constitue pas une blessure au sens de la loi

 

Duperron et Société de transport de Montréal, 2023 QCTAT 476.

La jurisprudence établit que le diagnostic de nature psychologique ne s’apparente pas à une blessure, mais plutôt à une maladie. En l’absence du premier critère d’application de l’article 28 de la Loi, la présomption qui y est prévue ne peut trouver application.

 

Gendarmerie royale du Canada et De l’Étoile, 2023 QCTAT 592.

Dès lors qu’il est question d’une lésion psychologique, il est reconnu par la jurisprudence que le diagnostic qui y est associé ne peut constituer une blessure au sens de la présomption prévue à l’article 28 de la Loi. Le travailleur doit plutôt démontrer la survenance d’un événement imprévu et soudain, survenu par le fait ou à l’occasion du travail ainsi qu’un lien causal, comme le veut le fardeau de preuve en matière d’accident du travail en vertu de l’article 2 LATMP.

 

Voir également :

Émond et Ministère Agriculture Canada, C.L.P. 33472-62-9111, 7 juillet 1994, L. Boucher.

Cégep de Chicoutimi et Nagy, C.L.P. 256819-02-0503, 27 septembre 2007, J. Grégoire.

P... L... et Compagnie A, 2015 QCCLP 2757.

M… H… et Compagnie B, 2016 QCTAT 3846.

S.W. et Centre A, 2021 QCTAT 2247.

Accident du travail

Le travailleur qui veut se voir reconnaître une lésion professionnelle de nature psychologique en invoquant un accident du travail doit démontrer l’existence d’un événement imprévu et soudain qui est survenu par le fait ou à l’occasion du travail et le lien de causalité entre cet événement imprévu et soudain et la maladie diagnostiquée.

Fardeau de preuve

Selon la jurisprudence, la loi ne fait aucune distinction entre les lésions de nature physique et psychique. Les critères d’admissibilité sont les mêmes. Un travailleur qui invoque une lésion psychique ne peut donc se voir imposer un fardeau de preuve différent de celui d’un travailleur qui invoque une lésion physique pour se voir reconnaître un accident du travail. Il doit démontrer, par une preuve prépondérante, la survenance d'un événement imprévu et soudain survenue par le fait ou à l'occasion de son travail et l'existence d'un lien de causalité entre cet événement et la maladie psychique diagnostiquée.

Tremblay et Centre Jeunesse Gaspésie les Iles, [2003] C.L.P. 254.

Le tribunal retient qu’il est hors de question d’imposer un fardeau de preuve plus lourd à un travailleur invoquant une lésion psychique qu’à celui invoquant une lésion physique. En effet, il doit toujours n’être question que d’une preuve prépondérante, notamment de relation, soit ce qui semble le plus probable, le plus vraisemblable, et non d’une preuve scientifique ou hors de tout doute.

 

R… C… et Services forestiers R… C…, [2004] C.L.P. 1115.

Les critères d’admissibilité d’une lésion psychologique sont les mêmes que ceux d’une lésion physique. Ainsi, il faut éviter de créer des critères plus difficiles à rencontrer en matière de réclamation, pour une lésion psychologique que pour une lésion physique. D’un autre côté, il faut se rappeler que la lésion de nature psychologique est souvent plus difficile à cerner, à découvrir, à se manifester et à traiter qu’une lésion physique. Alors qu’une lésion physique entraîne habituellement les douleurs les plus importantes rapidement et amène généralement une consultation relativement contemporaine, la lésion psychologique peut évoluer sur de nombreux mois, voire même des années et le décideur doit tenir compte de cette réalité dans la décision qu’il doit rendre.

 

Dinello et Télébec ltée, [2008] C.L.P. 173.

La loi ne fait aucune distinction entre les lésions physiques et psychiques. La travailleuse a donc le même fardeau de preuve soit celui de démontrer, par une preuve prépondérante, la survenance d'un événement imprévu et soudain, par le fait ou à l'occasion de son travail, et l'existence d'un lien de causalité entre cet événement et la maladie diagnostiquée. 

 

A et Ministère de la Sécurité publique (Santé-Sécurité), 2011 QCCLP 7388.

La loi ne crée pas un régime ou des critères distincts pour une lésion professionnelle de nature psychique ou de nature physique. Ainsi, un travailleur doit démontrer qu'il s'est produit un événement imprévu et soudain, par le fait ou à l'occasion du travail, ainsi que l'existence d'une relation entre les événements allégués et l'apparition de la lésion.

 

Suivi :

Révision rejetée, 17 juillet 2012, J.-F. Martel.

D... M... et Compagnie A, 2015 QCCLP 3719.

En matière de lésion de nature psychologique, il faut éviter de créer des critères plus difficiles à rencontrer que pour une lésion de nature physique

 

Gendarmerie royale du Canada et De l’Étoile, 2023 QCTAT 592.

En matière de lésion professionnelle psychologique, le fardeau de preuve est identique à celui d’une lésion physique.

 

Voir également :

Langlois et Sécurité - Policiers,  2011 QCCLP 7468.

Pelletier et S.T.M. (Réseau des Autobus), 2013 QCCLP 2725.

G… G… et Compagnie A, 2016 QCTAT 3254.

Également, selon la jurisprudence, le concept d’événement imprévu et soudain a été conçu pour des lésions de nature physique et son interprétation en matière de lésion de nature psychologique n’est pas un exercice facile, étant donné notamment du caractère subjectif et multifactoriel de ce type de lésions. Qu'un événement survienne dans le cadre d’une lésion psychologique ou physique, la loi ne fait aucune différence et la notion d'événement imprévu et soudain doit recevoir un sens équivalent.

Emballages Mitchell Lincoln ltée et Fuoco, [2005] C.L.P. 1587.

Le concept d’événement imprévu et soudain ayant toutefois été conçu initialement pour des lésions physiques, son interprétation en matière de lésions psychiques n’est pas un exercice facile en raison notamment du caractère subjectif et du caractère multifactoriel de ce type de lésions. Cela laisse place à l’appréciation des faits et des circonstances propres à chaque réclamation.

 

M… C… et Centre A, 2012 QCCLP 77.

Manifestement, les dispositions de la loi ont été rédigées en ayant à l’esprit les lésions physiques, ce qui rend plus difficile leur interprétation et leur application aux lésions psychiques, d’autant que ces dernières sont généralement, par nature, plus subjectives et multifactorielles et qu’il est souvent difficile d’en identifier la ou les causes exactes. Il importe d’être prudent dans l’appréciation du caractère professionnel d’une lésion psychique et plus particulièrement dans l’appréciation de la survenance d’un accident du travail dans ce contexte, et ce, afin d’éviter de tomber totalement dans le subjectif et l’arbitraire, mais également d’imposer un fardeau de preuve qui excéderait celui qui est imposé aux travailleurs atteints d’une lésion physique. Comme pour une lésion physique, le caractère imprévu et soudain de l’événement doit ainsi être démontré pour que la nature professionnelle de la lésion soit reconnue.

 

Compagnie A et G… L…, 2016 QCTAT 2788.

La CLP a souvent rappelé que la loi n’établit pas de distinction entre les lésions physiques et les lésions de nature psychologique. Cependant, en raison de la nature des lésions psychiques, qui sont généralement plus subjectives et multifactorielles, la prudence est de mise dans l’analyse de la preuve portant sur leur caractère professionnel.

 

Gendarmerie royale du Canada et De l’Étoile, 2023 QCTAT 592.

Un diagnostic de nature psychologique ne pouvant constituer une blessure, c’est sous l’angle de l’accident du travail en vertu de l’article 2 de la Loi que les événements doivent être analysés. Le travailleur doit démontrer, par une preuve prépondérante, l’existence d’un événement imprévu et soudain, survenu par le fait ou à l’occasion du travail, ainsi qu’un lien causal entre l’événement et la lésion de nature psychologique diagnostiquée. Le fardeau de preuve est identique à celui d’une lésion physique.

 

Événement imprévu et soudain

Selon la jurisprudence du Tribunal, l’événement imprévu et soudain peut être le fait d’un seul événement ou de plusieurs événements.

Par ailleurs, pour reconnaître l’existence d’un événement imprévu et soudain, la jurisprudence retient que le ou les événements allégués doivent revêtir un caractère objectivement traumatisant et s’écarter ou déborder du cadre normal et habituel du travail.  

Événement unique ou cumul d’événements

La jurisprudence considère que l’événement imprévu et soudain peut être le fait d’un seul événement comme il peut relever de l’effet cumulatif de plusieurs événements.

Commission scolaire de Montréal et Fantinato, C.L.P. 279841-61-0601, 23 novembre 2006, G. Morin. 

Selon la  jurisprudence, une lésion psychique peut résulter d’un événement unique, bien décrit et circonscrit dans le temps. 

 

J... L... et Compagnie A, 2015 QCCLP 4278.

En matière de lésions psychologiques, la jurisprudence interprète de façon large la notion d’événement imprévu et soudain. Ainsi, des événements qui, à première vue, semblent banals ou anodins lorsque pris isolément, peuvent devenir significatifs et présenter le caractère imprévu et soudain requis par la loi par leur juxtaposition, leur succession, leur accumulation ou encore leur superposition dans le temps. Le tribunal doit donc décider si l’un des éléments factuels invoqués par le travailleur constitue, à lui seul, un événement imprévu et soudain ou si, par leur cumul ou leur juxtaposition, certains de ces éléments ou l’ensemble de ceux-ci sont assimilables à un événement imprévu et soudain.

 

Suivi :

Révision rejetée, 2016 QCTAT 2046. 

Roberson et Commission Scolaire Eastern Townships, 2015 QCCLP 6329.

Hormis des cas évidents, comme assister à une fusillade ou découvrir un pendu dans une cellule, une lésion d'ordre psychologique sera généralement associée à une succession d'événements qui se produisent sur une période plus ou moins longue et qui entraînent la maladie sans qu'on puisse déterminer clairement un seul fait accidentel ou un seul événement déclencheur, unique et précis. Pour cette raison, la jurisprudence a reconnu qu'une lésion de nature psychologique résultant d'une série d'événements, ou d'une série d'éléments faisant partie d'un événement, peut permettre d'accoler à cette situation le caractère imprévu et soudain requis par la loi pour constituer un accident du travail.

 

A et CISSS de la Montérégie-Est, 2022 QCTAT 1263.

Un événement imprévu et soudain peut résulter de la survenance d’un fait unique ou encore d’une série d’événements qui peuvent paraître anodins s’ils sont pris de façon isolée, mais qui deviennent significatifs de par leur cumul, leur superposition et leur juxtaposition.

 

Duperron et Société de transport de Montréal, 2023 QCTAT 476.

La lésion professionnelle de nature psychologique peut résulter d’un événement significatif ou de l’accumulation de plusieurs événements. La difficulté à établir le caractère soudain et imprévisible d’un événement peut venir du fait que la situation à l’origine d’une lésion psychologique est généralement plus subtile que celle d’une lésion de nature physique.

 

Voir également :

Lfarouk et CISSS de la Montérégie-Est, 2022 QCTAT 3596.

Gendarmerie royale du Canada et De l’Étoile, 2023 QCTAT 592.
 

Cumul d'événements

La jurisprudence du Tribunal retient que certains événements survenus par le fait ou à l’occasion du travail et qui, considérés isolément, paraissent bénins, peuvent toutefois, par leur juxtaposition, leur superposition ou leur conjonction, devenir significatifs lorsqu'ils sont considérés dans leur ensemble et ainsi présenter le caractère imprévu et soudain requis par la loi que l’on retrouve dans la définition d’accident du travail de l’article 2.

Côté et Domtar inc., [1998] C.L.P. 130.

La jurisprudence de la CALP reconnaît que certains événements survenus par le fait ou à l'occasion du travail et qui, considérés isolément, paraissent bénins ou banals, peuvent toutefois, par leur juxtaposition, leur superposition ou leur conjonction, devenir significatifs lorsqu'ils sont considérés dans leur ensemble et ainsi présenter le caractère d'imprévisibilité et de soudaineté requis par la loi.

 

Suivi :

Révision rejetée, 6 mai 1999, N. Lacroix.

Claveau et CSSS Chicoutimi - CHSLD Chicoutimi, [2008] C.L.P. 224.

Certains événements survenus par le fait ou à l'occasion du travail qui, considérés isolément, peuvent paraître bénins, peuvent quand même, par leur conjonction et leur superposition, devenir significatifs et ainsi présenter le caractère imprévu et soudain requis par la loi.

 

Zuchowski et Hôpital Charles-LeMoyne, 2011 QCCLP 5965.

La jurisprudence reconnait que des événements apparaissant, à première vue, bénins et banals lorsque pris isolément, peuvent toutefois devenir plus significatifs lorsque considérés dans leur ensemble par leur superposition et répondre ainsi au caractère imprévu et soudain que l'on retrouve à la définition d’un accident du travail.

 

Balov et CPE Le centre des petits, 2015 QCCLP 2880.

En matière de lésion psychologique, la jurisprudence du tribunal retient que certains événements survenus par le fait ou à l’occasion du travail et qui, considérés isolément, paraissent bénins, peuvent parfois, par leur juxtaposition, leur superposition ou leur conjonction, devenir significatifs lorsqu’ils sont considérés dans leur ensemble, et ainsi, présenter le caractère imprévu et soudain requis par la loi, rejoignant ainsi la définition d’accident du travail prévue à l’article 2.

 

Suivi :

Révision rejetée, 2018 QCTAT 2858. Contestation d’une décision relative à la recevabilité de la réclamation rejetée, 2018 QCTAT 4721. Révision rejetée, 2019 QCTAT 3940. Désistement du pourvoi en contrôle judiciaire.

 

Roberson et Commission Scolaire Eastern Townships, 2015 QCCLP 6329.

Une lésion d’ordre psychologique sera généralement associée à une succession d’événements qui se produisent sur une période de temps plus ou moins longue et qui entraînent la maladie sans que l’on puisse identifier clairement un seul fait accidentel, un seul événement déclencheur, unique et précis. C’est pourquoi, la jurisprudence a reconnu qu’une lésion de nature psychologique résultant d’une série d’événements, ou d’une série d’éléments faisant partie d’un événement, peut permettre de reconnaître à cette situation le caractère imprévu et soudain requis par la loi pour constituer un accident du travail. Il est ainsi reconnu par la jurisprudence que certains événements survenus par le fait ou à l’occasion du travail et qui, considérés isolément, paraissent bénins et banals, peuvent toutefois, par leur juxtaposition, leur superposition ou leur conjonction, devenir significatifs lorsqu'ils sont considérés dans leur ensemble et ainsi présenter le caractère d’imprévisibilité et de soudaineté requis par la loi. L’appréciation du caractère imprévu et soudain de l’événement, en prenant en considération cette accumulation et cette juxtaposition d’événements, doit être faite en tenant compte du contexte et de la nature du travail.

 

A et CISSS de la Montérégie-Est, 2022 QCTAT 1263.

Pour qu’un cumul d’événements soit reconnu à l’origine d’une lésion professionnelle psychologique, la série d’événements doit survenir dans des circonstances inhabituelles, qui sortent de l’ordinaire ou qui débordent du cadre normal du travail compte tenu de la réalité objective des faits plutôt que de la perception subjective du travailleur d’une situation donnée.

 

Voir également :

Dupéré et Ville de Montréal, [2003] C.L.P. 754.

Emballages Mitchell Lincoln ltée et Fuoco, [2005] C.L.P. 1587.

Caractère objectivement traumatisant

Il ressort de la jurisprudence que lorsque les faits comportent un caractère objectivement traumatisant, l’événement imprévu et soudain peut s’en trouver établi, alors que tel n’est pas le cas lorsque ces faits relèvent davantage de la perception subjective du travailleur.

Le Tribunal doit effectuer un exercice de pondération entre l’appréciation objective des faits du dossier et la perception subjective que peut en avoir le travailleur.

Certains décideurs retiennent les concepts de facteurs exogènes (caractère objectivement traumatisant) et de facteurs endogènes (propres au travailleur) pour analyser les événements et déterminer s’il y a présence ou non d’un événement imprévu et soudain.

Welch et Groupe pharmaceutique Bristol Myers, [1993] C.A.L.P. 1470.

En l’espèce, le tribunal estime que les événements allégués par le travailleur, même superposés l’un à l’autre, ne correspondent pas à la définition d’un accident du travail. La preuve ne permet pas de mettre en évidence des événements qui, objectivement, ont un caractère traumatique au plan psychique. Les sentiments du travailleur ne relèvent que de sa perception des événements et de l’esprit de vengeance qu’il attribue à son superviseur.

 

Suivi :

Requête en évocation rejetée, [1993] C.A.L.P. 1490 (C.S).

Appel rejeté, [1998] C.A.L.P. 553 (C.A.).

Sauro et Société de l'assurance automobile du Québec, C.L.P. 232020-61-0404, 11 novembre 2004, L. Nadeau.

En matière de lésion psychique, la jurisprudence retient le critère d'un événement qui, objectivement, a un caractère traumatique au plan psychique comme l'a énoncé la CALP dans l'affaire Welch et Groupe pharmaceutique Bristol Myers.

 

Cormier et CTR Défi Intel Mauricie Centre Québec, C.L.P. 229704-04-0403, 19 avril 2005, J.-F. Clément.

Selon la jurisprudence, un événement imprévu et soudain dans le cadre d’une lésion psychique est celui qui, objectivement, a un caractère traumatique au plan psychique.

 

Langlais et Centre hospitalier de Chandler, C.L.P. 210630-01B-0306, 1er septembre 2006, L. Desbois.

La preuve de l’événement imprévu et soudain implique celle de son caractère objectif. Il faut ainsi dépasser la perception, les attentes ou les exigences du travailleur (par définition subjectives) et retrouver une situation qui déborde véritablement du cadre normal, habituel ou prévisible de ce à quoi l’on peut s’attendre dans le monde du travail.

 

Franc et C.H. Saint-Eustache, C.L.P. 261776-64-0505, 23 octobre 2007, T. Demers.

Le tribunal doit se demander s’il y a des événements compatibles avec ce qu’une personne raisonnable pourrait objectivement percevoir comme traumatisants. Il y a lieu de vérifier si les faits qu’un travailleur qualifie de traumatisants relèvent plus de sa perception des choses (facteurs endogènes) que de leur réalité objective et intrinsèque (facteurs exogènes).

 

Centre jeunesse Québec et Jobin, [2010] C.L.P. 335. 

En l’espèce, la travailleuse a le fardeau de démontrer la survenance de faits objectivement traumatisants. En d’autres termes, il y a lieu de faire la distinction entre ce qui relève d’une réalité objective et ce qui relève de la seule perception subjective. Le tribunal doit apprécier si la réaction psychologique résulte de façon déterminante de l’exposition à des agents stresseurs externes à l’individu et qui sont associés au travail ou plutôt de facteurs stresseurs internes, propres à l’individu. Pour le tribunal, il y a lieu de s’attendre à ce qu’un travailleur tolère le niveau de stress normalement associé à l’emploi qu’il occupe. Il ne faut pas que la cause réelle de la maladie psychique réside dans la seule conviction subjective de la travailleuse.

 

M.C. et Centre A, 2012 QCCLP 77.

Il est généralement reconnu par le tribunal que lorsqu'un événement est objectivement traumatisant, qu’il ne relève pas de la seule perception subjective du travailleur et qu’il déborde du cadre normal ou habituel du travail, il peut alors être assimilé à un événement imprévu et soudain au sens de l’article 2 de la loi.

 

M... M... et Arrondissement A, 2012 QCCLP 5254.

Dans l'appréciation de la preuve, il ressort de la jurisprudence qu'il faut distinguer entre ce qui est de nature à être objectivement traumatisant pour une personne raisonnable (facteurs exogènes) de ce qui relève de la seule perception du travailleur (facteurs endogènes). De fait, il y a une différence importante entre se sentir harcelé et l'être véritablement.

 

Dallaire et Centre de réadaptation Gabrielle Major, 2013 QCCLP 187.

Même s’il n’y a pas de distinction entre une lésion de nature physique et une lésion de nature psychique, la preuve d’une lésion psychique doit reposer sur la survenance de faits, de circonstances ou d’un événement qui objectivement possèdent un caractère traumatisant. Le tribunal doit effectuer un exercice de pondération entre l’appréciation de ces circonstances et la perception subjective que peut en avoir le travailleur.

 

Arnold et Mission Old Brewery inc., 2015 QCCLP 6208.

En matière de lésion psychologique, la notion d’événement imprévu et soudain a été élargie par la jurisprudence pour y inclure des événements survenant sur une certaine période de temps qui, lorsque considérés isolément, peuvent paraître bénins, mais qui, lorsque superposés, deviennent significatifs et revêtent de ce fait le caractère imprévu et soudain exigé par la loi. Ces événements doivent présenter un cachet particulier. Ainsi, ils doivent avoir un caractère traumatisant. De plus, ils doivent être objectivement prouvés, en ce sens qu’ils ne doivent pas relever de la seule perception subjective du travailleur. Il ne suffit donc pas que le travailleur allègue que sa maladie découle de son travail.

 

Lahouaz et Société de transport de Montréal, 2016 QCTAT 623.

Le Tribunal retient des enseignements de la Cour supérieure, « l’adjectif « imprévu » indique ce qui arrive lorsqu'on ne s’y attend pas, ce qui est fortuit, inattendu, inopiné et accidentel. L’adjectif « soudain » indique qu’il se produit en très peu de temps, de façon brusque, instantanée, subite ». Lorsqu'un seul événement est allégué être à l’origine de la condition psychologique d’un travailleur, la preuve démontrant le caractère objectivement traumatisant de cet événement doit être davantage significative en l’absence d’effet cumulatif d’une série d'événements. Il faut distinguer la réalité objective des faits de la perception subjective d’une situation donnée. Par conséquent, les traits de personnalité d’un individu peuvent venir teinter sa perception de la réalité. Il faut donc déterminer « s’il y a des éléments compatibles avec ce qu’une personne raisonnable pourrait objectivement percevoir comme traumatisant ». Pour conclure à la survenance d’un événement imprévu et soudain, l’événement doit déborder du cadre normal et prévisible dans le milieu de travail. Une fois la démonstration faite de la survenance d’un événement imprévu et soudain, il reste alors au tribunal à apprécier le lien causal avec la maladie diagnostiquée.

 

Gagné et Centre d'hébergement Harricana, 2016 QCTAT 3698.

Le Tribunal doit effectuer un exercice de pondération entre l’appréciation des circonstances mises en preuve et la perception subjective que peut en avoir le travailleur. En l’espèce, ces faits et circonstances n’ont pas l’ampleur, l’importance et l’effet traumatisant que leur accorde la travailleuse à travers le prisme de ses perceptions. Ces incidents, tels que rapportés par la travailleuse dans son témoignage, ne constituent que l’illustration d’un conflit de personnalités entre elle et sa supérieure.

 

Racette et Centre de services scolaires des Portages-de-L’Outaouais, 2021 QCTAT 5713.

Afin de déterminer si les faits allégués par un travailleur constituent des événements objectivement traumatisants, le Tribunal doit établir si la réaction du travailleur se compare à celle d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, en gardant en tête les traits de personnalité du travailleur qui peuvent teinter sa perception de la réalité.

 

Gendarmerie royale du Canada et De l’Étoile, 2023 QCTAT 592.

Pour être qualifiés d’événements imprévus et soudains, les faits à l’origine du diagnostic d’ordre psychologique doivent comporter un caractère objectivement traumatisant, c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas relever de la seule perception subjective du travailleur. Il s’agira de rechercher des éléments compatibles avec ce qu’une personne raisonnable pourrait objectivement percevoir comme traumatisant.

 

Vigneault et Municipalité de Cantley, 2023 QCTAT 1788.

Selon le dictionnaire Le Robert, l’adjectif «traumatisant» renvoie à quelque chose de «choquant, bouleversant, perturbant», par opposition à la définition de «traumatisme», qui réfère quant à elle à quelque chose de violent. Ainsi, le recours au caractère objectivement traumatisant dans l’analyse du caractère imprévu et soudain d’un accident du travail ne dénature pas le fardeau de preuve qui incombe aux travailleurs.

 

Voir également :

J.R. et CSSS A, 2020 QCTAT 408.
F.S. et Compagnie A, 2020 QCTAT 1999.
Duperron et Société de transport de Montréal, 2023 QCTAT 476.
 

La jurisprudence considère que lorsqu'un seul événement est allégué être en lien avec la lésion psychologique diagnostiquée, le caractère objectivement traumatisant de cet événement doit être davantage significatif.

Sauro et Société de l'assurance automobile du Québec, C.L.P. 232020-61-0404, 11 novembre 2004, L. Nadeau.

Le caractère objectivement traumatisant d'un événement unique doit être davantage significatif, car on ne peut pas prendre en compte dans ce cas l’effet cumulatif d’une série d’incidents.

 

Compagnie A et C… P…, C.L.P. 367439-64-0901, 14 juin 2010, S. Moreau.

En l’espèce, la travailleuse ne décrit qu’un événement unique comme étant la cause de son état de stress post-traumatique. Dans un tel cas, le caractère objectivement traumatisant doit être davantage significatif.

 

P… L… et Compagnie A, 2012 QCCLP 7664.

Lorsqu'un seul événement est invoqué, la jurisprudence a déterminé que le caractère objectivement traumatisant de cet événement doit être davantage significatif puisque dans une telle situation, on ne peut considérer l’effet cumulatif de plusieurs événements. Ainsi, la gravité objective de l’événement allégué doit être établie.

 

Nguyen Thi et La Gendarmerie Royale du Canada, 2013 QCCLP 4501.

Comme la travailleuse invoque un seul événement à l’origine de sa lésion survenue en mars 2012, le caractère objectivement traumatisant d’un tel événement doit alors être davantage significatif, car on ne peut prendre en compte l’effet cumulatif d’une série d’incidents.

 

Singularité des événements

Un nouveau courant jurisprudentiel analyse le critère de la singularité ou de la particularité des événements allégués au soutien d’une lésion professionnelle psychologique, plutôt que le caractère objectivement traumatisant de ceux-ci.

 

Preure et Centre de services scolaire de Montréal, 2022 QCTAT 253.

La preuve du caractère objectivement traumatisant d’un événement entraîne un fardeau supplémentaire pour le travailleur victime d’une lésion professionnelle psychologique, qui ne doit démontrer que la survenance d’un événement imprévu et soudain au sens de la Loi, au même titre qu’une lésion professionnelle physique. L’analyse de l’événement imprévu et soudain consiste plutôt à déceler la singularité des situations vécues par le travailleur, en tenant compte notamment de la nature du milieu de travail et ses particularités, des changements de comportements ou de nouveaux comportements touchant le travailleur, des modifications de tâches ou des nouvelles exigences professionnelles, comportementales ou disciplinaires.

 

Hénault et Institut de cardiologie de Montréal, 2022 QCTAT 5193.

La définition de traumatisme, telle qu’on la retrouve au dictionnaire Larousse, réfère à une action violente. Afin d’éviter un fardeau de preuve plus lourd en exigeant que l’événement à l’origine d’une lésion professionnelle psychologique soit «objectivement traumatisant», il y lieu d’utiliser les termes «particulier», «anormal», «inhabituel» ou «singulier» pour analyser l’événement imprévu et soudain.

 

Annab et Société canadienne des postes, 2022 QCTAT 5562.

Pour conclure à la survenance d’un événement imprévu et soudain, l’événement n’a pas à être traumatisant. Il doit s'agir d'un événement particulier, anormal, inhabituel ou singulier.

 

Patenaude et Centre de services scolaires des Hautes-Rivières, 2023 QCTAT 2384.

L’exigence voulant qu’un événement soit objectivement traumatisant pour être considéré « imprévu et soudain » en matière de lésions psychiques n’a pas lieu d’être. Le caractère traumatisant ou non de l’événement, comme toute autre considération relative à sa gravité, relève de l’analyse relative à l’existence ou non d’un lien de causalité entre un événement et une lésion. Ceux-ci sont sans incidence dans l’exercice visant à déterminer si un événement est effectivement « imprévu et soudain » ou non.

 

Suivi :
Requête en révision demandée.

Voir également:
Charron et CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Centre hospitalier de Verdun, 2022 QCTAT 4663.

Voir cependant :

Vigneault et Municipalité de Cantley, 2023 QCTAT 1788.

Selon le dictionnaire Le Robert, l’adjectif «traumatisant» renvoie à quelque chose de «choquant, bouleversant, perturbant», par opposition à la définition de «traumatisme», qui réfère quant à elle à quelque chose de violent. Ainsi, le recours au caractère objectivement traumatisant dans l’analyse du caractère imprévu et soudain d’un accident du travail ne dénature pas le fardeau de preuve qui incombe aux travailleurs.

 

Voir également :
Vallerand et Conseil des Atikamekw de Manawan, 2023 QCTAT 2409.

S’écarte ou déborde du cadre normal et habituel du travail - Droit de gérance et relations de travail

Selon la jurisprudence, l’exercice du droit de gérance de l’employeur relève des relations de travail et ne peut constituer en soi un événement imprévu et soudain. Cependant, lorsque l’exercice de ce droit est abusif, il peut constituer un événement imprévu et soudain, car il déborde alors du cadre normal et habituel du travail.

La jurisprudence retient également que les problèmes normaux de relations de travail, comme des conflits interpersonnels ou encore des mesures disciplinaires imposées par l’employeur, ne répondent pas à la notion d’événement imprévu et soudain puisqu'ils font partie du cadre normal du travail.

Tremblay et Hydro-Québec, C.L.P. 101447-32-9806, 11 juin 1999, J.-G. Roy.

Il faut généralement exclure du champ d’une lésion professionnelle les problèmes normaux de relations de travail ou administratifs auxquels doit faire face tout travailleur. Le statut de salarié implique nécessairement certaines contraintes et il est quelque peu abusif d’assimiler à une lésion professionnelle la non-adaptation d’un travailleur à celles-ci. Également, certains gestes posés par l’employeur dans le cours normal de sa gestion sauraient difficilement être invoqués comme pouvant avoir des effets négatifs sur l’état psychique d’un travailleur au point qu’il faille l’associer à une lésion professionnelle, si tels gestes ne revêtent qu’un caractère administratif. Ainsi, il apparaît difficile de reconnaître à titre de lésion professionnelle la réaction négative d’un travailleur à l’annonce de la faillite de son employeur et, par conséquent, à la perte de son emploi.

 

Roussel et Sûreté du Québec, [2003] C.L.P. 1294.

Selon la jurisprudence, lorsqu'une lésion de nature psychologique se développe autour de la relation existant entre un travailleur et son supérieur, la jurisprudence exige la preuve que l’employeur s’est comporté de façon à déborder le sain exercice de son droit de gérance.

 

Hallée et RRSSS Montérégie, [2006] C.L.P. 378.

Le tribunal considère que lorsqu'une personne se présente sur le marché du travail, elle doit s’attendre à ce que l’employeur qui l’embauche exerce sur elle un droit de gérance qui comprend des exigences d’efficacité, de rendement, de discipline et d’encadrement. Le non-respect devient alors susceptible de mesures qui peuvent être appliquées à l’égard du travailleur, sans que celui-ci puisse s’en surprendre, si elles sont prises dans le respect des droits du travailleur et des lois et conventions en vigueur dans le milieu de travail concerné.

 

Franc et C.H. Saint-Eustache, C.L.P. 261776-64-0505, 23 octobre 2007, T. Demers.

Il ressort de la jurisprudence que le fait pour un employeur d’exercer un encadrement plus strict ou une supervision plus soutenue à l’endroit d’un travailleur qui ne fournit pas une prestation de travail « normale » fait partie de l’exercice de son droit de gérance. Ainsi, si un travailleur développe une lésion psychologique à la suite de l’imposition de mesures disciplinaires ou d’un congédiement qui ont leur raison d’être, il ne peut pas être indemnisé en vertu de la loi. De plus, la jurisprudence retient également que les relations conflictuelles avec des collègues de travail ou un membre de la direction ne peuvent justifier l’indemnisation d’un travailleur subséquemment atteint d’une lésion psychologique que s’il est établi que les situations qui ont donné naissance à ces relations conflictuelles dépassent le cadre normal du travail.

 

A... B... et Compagnie A, C.L.P. 353617-61-0807, 6 janvier 2010, S. Di Pasquale.

La jurisprudence retient qu’une série d’événements qui, considérés individuellement peuvent paraître bénins ou anodins, peuvent, par leur superposition, revêtir le caractère imprévu et soudain requis par la loi. Cependant, ces événements doivent présenter un caractère particulier puisqu'ils doivent déborder du cadre habituel, normal ou prévisible de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail. Ils ne peuvent s’inscrire dans l’usage normal du pouvoir de gestion de l’employeur à l’égard d’un employé ni résulter d’un conflit de personnalités. Finalement, les faits doivent être de nature objective et non issus de la simple perception du travailleur. Ainsi, les situations qui relèvent de l’exercice du droit de gérance de l’employeur ne peuvent être assimilées à un événement imprévu et soudain, sauf si la preuve démontre qu’il y a eu un exercice abusif de cette autorité.

 

Suivi :

Révision rejetée, 28 septembre 2010, J.-F. Martel.

Théroux et Sécurité des incendies de Montréal, 2011 QCCLP 540.

Dans un contexte d'allégation de harcèlement exercé par l'employeur, la jurisprudence considère que si les gestes de l'employeur s'inscrivent dans l'exercice raisonnable de son droit de direction, ils relèvent des relations de travail et ne constituent pas un événement imprévu et soudain au sens de l'article 2. Ainsi, lorsque le tribunal est saisi de faits, de gestes ou d'actes accomplis par l'employeur à l'égard d'un travailleur, il doit déterminer si l'employeur a abusé de ses droits en adoptant un tel comportement. Il n'est pas nécessaire de démontrer la faute ou l'intention de nuire puisque le seul exercice déraisonnable d'un droit constitue un abus de droit. Le travailleur a le droit d'être traité équitablement par son employeur, et l'obligation de celui-ci d'exercer raisonnablement son droit de direction à l'égard de ses employés prend sa source, notamment, dans les articles 6 et 7 du Code civil du Québec.

Selon la doctrine et la jurisprudence, l'exercice de ce droit confère un pouvoir discrétionnaire assez large à l'employeur, dans la mesure où il n'est ni abusif, ni déraisonnable. Afin de déterminer si c'est le cas, la CLP doit apprécier si les gestes ou actes en cause sont justifiés par le fonctionnement de l'entreprise, s'ils sont justes et équitables, étant donné les circonstances, et si un employeur raisonnable et compétent aurait agi de la même façon. Il faut aussi prendre en considération le comportement du travailleur, même si l'article 25 prévoit que la loi s'applique sans égard à la responsabilité. Enfin, lorsqu'un événement imprévu ou soudain est reconnu, le travailleur doit démontrer le lien avec la lésion psychique qui l'afflige.

 

Sukara et Station Mont-Tremblant (Hôtel), 2011 QCCLP 6514.

Le droit de gérance confère un pouvoir discrétionnaire à l’employeur dans la direction et le contrôle des activités de son entreprise, ce qui lui permet une liberté d’action assez large. Cette liberté inclut le droit à l’erreur tant que celle-ci n’est pas abusive ou déraisonnable. Elle implique également une discrétion dans l’imposition de règles, de procédures de travail, et l’évaluation du rendement des employés et le contrôle de la qualité du travail qu’ils accomplissent.

 

Province du Québec Union Canadienne des Moniales Sainte-Ursule et Magny, 2015 QCCLP 1277.

En matière de lésion psychologique, un ensemble d’événements juxtaposés et superposés, même bénins, peut constituer un événement imprévu et soudain. Cependant, pour être considérés traumatiques et à l’origine de la lésion du travailleur, ces événements doivent déborder du cadre normal, habituel et prévisible de son travail et aller au-delà de sa simple perception par rapport aux attentes ou aux exigences de son travail. De plus, l'exercice raisonnable des droits de la direction ne peut constituer un événement imprévu et soudain. Ces droits relèvent des relations de travail et confèrent à l'employeur un pouvoir discrétionnaire assez large. Comme le souligne le tribunal dans Théroux et Sécurité des incendies de Montréal, l’employeur peut exercer ce droit « avec fermeté » et même commettre des erreurs dans la mesure où cet exercice n’est ni abusif ni déraisonnable. Ainsi, ne seront pas considérés comme des événements imprévus et soudains : 1) les problèmes normaux de relations de travail ou administratifs auxquels tout travailleur est appelé à faire face; 2) les contraintes inhérentes au statut d'employé; et 3) les gestes de l'employeur dans le cours normal de sa gestion.

 

Balov et CPE Le centre des petits, 2015 QCCLP 2880.

Les événements allégués doivent déborder du cadre normal et habituel des relations de travail. Ainsi, ils ne doivent pas s’inscrire dans le cadre de l’usage normal du pouvoir de gestion de l’employeur ou résulter seulement d’un conflit interpersonnel avec les supérieurs ou les collègues. De plus, ils ne doivent pas être de nature purement subjective issue simplement de la perception du travailleur et ils doivent présenter un caractère réel, objectif et identifiable.

 

Suivi:
Révision rejetée, 2018 QCTAT 2858. Contestation d’une décision relative à la recevabilité de la réclamation rejetée, 2018 QCTAT 4721. Révision rejetée, 2019 QCTAT 3940. Désistement du pourvoi en contrôle judiciaire.

M... B... et Société canadienne des postes, 2015 QCCLP 5530.

Le tribunal considère qu’une série d’événements qui surviennent dans des circonstances inhabituelles, sortant de l’ordinaire ou qui débordent du cadre normal de travail, seront considérés comme des événements imprévus et soudains au sens de la loi. L’appréciation de ces événements doit se faire objectivement et le caractère anormal ne doit pas seulement résulter de la perception subjective de la travailleuse. Ainsi, selon la jurisprudence, les conflits de travail et les problèmes habituels de relation de travail ne sont généralement pas reconnus à titre d’événements imprévus et soudains, à moins que la preuve ne démontre un abus de pouvoir ou d’autorité ou encore des gestes vexatoires de la part de l’employeur. Ce qui est aussi le cas des difficultés relationnelles avec des collègues qui ne présentent pas un certain caractère traumatisant ou qui ne génèrent pas de comportements inhabituels, inacceptables, agressifs ou dangereux de la part des principaux protagonistes.

 

Brodeur et Société Québécoise des infrastructures, 2016 QCTAT 194.

Le Tribunal n’a pas à déterminer si les décisions prises par l’employeur l’ont été dans le respect de la convention collective. Son rôle est plutôt d’évaluer si le droit de gérance de l’employeur a été exercé de manière raisonnable, adéquate et non abusive.

 

A… B… et Compagnie A, 2016 QCTAT 3549.

Le Tribunal considère que de manière générale, les conflits de travail ou les problèmes normaux de relations de travail ne sont pas reconnus à titre de lésion professionnelle, à moins qu’il n’y ait, par exemple, répétition incessante de paroles ou d’actes importuns ou répétition de gestes vexatoires ou d’abus de pouvoir ou d’autorité. Également, l’organisation du travail constitue une prérogative de l’employeur. De ce fait, la réorganisation du travail, la répartition des tâches ainsi que la charge de travail sont des éléments indissociables du droit de gérance normal de l’employeur. Cependant, un travailleur peut démontrer que les incidents invoqués débordent du cadre habituel des relations du travail, comme une réorganisation et une surcharge de travail et le manque de soutien ou de formation.

 

Blouin-Sirois et Ambulance Sacré-Cœur, 2018 QCTAT 255.

Un processus disciplinaire, qu'il relève ou non d'une erreur de la part de l'employeur, ne peut constituer un événement imprévu et soudain, dans la mesure où il s’exerce sans abus du droit de gérance. Ainsi, même si l'avis disciplinaire constituait une mesure de représailles au sens du Code du travail, il ne peut correspondre à un événement imprévu et soudain au sens de la LATMP.

 

Suivi:
Pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, 2019 QCCS 322. Appel rejeté, 2021 QCCA 151.

Morin et Société de transport de Montréal, 2019 QCTAT 976.

Il est reconnu par la jurisprudence que de manière générale, une lésion professionnelle apparaissant en réaction à l’exercice du droit de gérance par l’employeur ne peut être assimilée à un événement imprévu et soudain. Cependant, le droit de gérance n’est pas absolu et comporte des limites, qui peut représenter un événement imprévu et soudain s’il est fait de manière discriminatoire, abusive ou déraisonnable.

 

Gibeault Noël et Château Valleyfield, 2021 QCTAT 1479.

Le congédiement d’un travailleur relève du droit de gérance de l’employeur et le Tribunal, dans le cadre de l’admissibilité d’une lésion professionnelle, n’a pas à analyser les motifs qui ont conduit au congédiement, mais plutôt si les circonstances dans lesquelles survient la fin d’emploi dépassent le cadre normal des relations de travail.

 

Dupras-Tessier et Productions Moonfall Québec inc., 2023 QCTAT 267.

L’imposition légitime de mesures administratives ou disciplinaires, de simples difficultés relationnelles avec des collègues ou encore un conflit de personnalités ne seront donc pas considérés comme un événement imprévu et soudain.  De même, les conséquences de l’exercice raisonnable du droit de gérance ne sont pas assimilables à un événement imprévu et soudain, dans la mesure où l’employeur exerce ses pouvoirs de manière rationnelle et raisonnable, de bonne foi et sans abus.

 

Duperron et Société de transport de Montréal, 2023 QCTAT 476.

L’employeur possède une large discrétion pour lui permettre d’assurer la bonne gouvernance de l’entreprise. Tant et aussi longtemps qu’il n’exerce pas ses prérogatives de façon abusive ou déraisonnable, l’exercice par l’employeur de son droit de gérance ne constitue pas un événement imprévu et soudain.

 

 Voir également :

A.M. et Commission scolaire A, 2017 QCTAT 962.
S.B. et Compagnie A, 2019 QCTAT 2444.
Haché et Conseillers en Gestion SHF inc., 2021 QCTAT 2028.
Bélisle et Société québécoise du cannabis, 2022 QCTAT 1894.
Annab et Société canadienne des postes, 2022 QCTAT 5562.
 

Surcharge de travail

La jurisprudence reconnaît que dans certaines circonstances, il est possible de conclure à l’existence d’un événement imprévu et soudain en raison d’une surcharge de travail se traduisant notamment par une augmentation de la charge de travail, des responsabilités et des heures de travail.  

Barakett et L’Orient Express,C.L.P. 254035-63-0501, 27 juin 2005, R. Brassard.

De l’avis du tribunal, une surcharge de travail doit normalement se traduire soit par une augmentation des heures de travail, soit par des pressions exercées par l’employeur pour respecter des délais de production.

 

Argiro et Services Immobiliers Bond inc.,2012 QCCLP 8003.

Pour qu’une surcharge de travail soit reconnue comme inhabituelle et pouvant entraîner une lésion professionnelle, on doit retrouver un ensemble de facteurs, par exemple, que la travailleuse a effectué des tâches qui diffèrent significativement de ses tâches habituelles au niveau quantitatif, comme des heures supplémentaires, et qualitatif, comme des nouvelles responsabilités, s’est trouvée dans une situation de travail où elle a eu peu ou pas de contrôle et où elle a eu peu de soutien de la part de son employeur, et que cette situation a été présente sur une certaine période de temps.

 

Généreux et CSSS Antoine-Labelle,2013 QCCLP 1335.

La preuve d’une surcharge de travail se traduit par une augmentation des heures de travail ou encore par des pressions exercées par un employeur afin de respecter des délais ou autres attentes de ce dernier, tel que le souligne le tribunal dans l'affaire Barakett et L'Orien Express.

 

F… B… et Compagnie A,2014 QCCLP 2230.

Le surplus de travail accompli pour respecter les échéanciers, la surcharge de travail en raison de l'absence de personnel tout en n'ayant pu bénéficier d'une formation appropriée ou la surcharge de travail attribuable à la modification des conditions de travail ont été reconnus par la jurisprudence comme étant des causes de lésions psychologiques diagnostiquées chez des travailleurs. Le manque de ressources qui engendre une augmentation des responsabilités avec cumul des tâches ainsi que les changements des conditions de travail sont considérés comme des événements qui débordent du contexte habituel et normal du milieu de travail. Par conséquent, lorsqu'un tel contexte de modifications de la charge de travail s'associe à d'autres stresseurs qui entretiennent une tension accrue, le surmenage qui en résulte est susceptible d'engendrer une lésion psychologique. La preuve doit établir que le travailleur a été surchargé au point d'être dépassé par les événements ou qu'il a été incapable de satisfaire à la tâche ou, enfin, qu'il a vu sa tâche modifiée de manière importante. Également, lorsque la formation est insuffisante pour exécuter convenablement les tâches confiées et qu'il y a d'autres facteurs de stress, la situation, dans son ensemble, peut être reconnue comme pouvant entraîner une lésion psychologique.

 

J... D... et Compagnie A,2016 QCTAT 4912.

Afin qu'une surcharge de travail soit reconnue comme inhabituelle et pouvant entraîner une lésion professionnelle, le Tribunal considère qu'un ensemble de facteurs doit être retrouvé. Il en est ainsi lorsqu'un travailleur a effectué des tâches qui diffèrent significativement de ses tâches habituelles au niveau quantitatif, comme des heures supplémentaires, et qualitatif, comme des nouvelles responsabilités ou qu'il s'est trouvé dans une situation de travail où il a peu ou pas de contrôle et où il n’a eu que peu de soutien de la part de son employeur, et que cette situation est présente sur une certaine période de temps.

 

Saumure et Centre intégré de santé et des services sociaux (CISSS) de l’Outaouais, 2018 QCTAT 4977.

La jurisprudence prend notamment en considération dans la détermination d’un événement imprévu et soudain en lien avec une surcharge de travail :

 

1) le fait d'effectuer des tâches qui diffèrent significativement des tâches habituelles sur le plan quantitatif, telle une augmentation des heures de travail, des heures supplémentaires, des pressions indues exercées par l'employeur pour respecter des délais de production ou un surplus de travail marqué pour respecter les échéanciers et, sur le plan qualitatif, l'ajout de nouvelles responsabilités sans une formation suffisante, en l'absence de soutien de l'employeur et dans une situation de travail où le travailleur a peu ou pas de contrôle; cette situation doit cependant être présente sur une certaine période de temps; et

 

2) un manque de soutien ou de formation dans le contexte d'une réorganisation du travail résultant en une surcharge de travail. Par ailleurs, le Tribunal exclut les problèmes administratifs auxquels tout travailleur est appelé à faire face ainsi que les gestes faits par l'employeur dans le cours normal de sa gestion. L'organisation du travail constitue une prérogative de l'employeur. Ainsi, la réorganisation du travail, la répartition des tâches ainsi que la charge de travail sont des éléments indissociables des droits de la direction. 

 

J.R. et CSSS A, 2020 QCTAT 408.

Il y a une surcharge inhabituelle de travail lorsque le travailleur démontre qu’il effectue des tâches qui diffèrent de manière substantielle de ses tâches habituelles. La surcharge de travail peut également être prouvée par l’exercice de nouvelles responsabilités, un contrôle insuffisant sur le travail ou encore par le manque de soutien de la part de l’employeur, situations qui doivent se prolonger sur une certaine période.

 

Lalongé et Service correctionnel du Canada, 2021 QCTAT 2067.

L’organisation du travail est indissociable au droit de gérance de l’employeur. Le fait qu’un travailleur accepte volontairement une surcharge de travail ou que l’employeur n’abuse pas de ses droits de gérance n’empêche toutefois pas la reconnaissance d’une lésion psychologique en vertu de l’article 2 de la Loi, dans la mesure où les faits à l’origine de la lésion professionnelle ne découlent pas de la seule perception du travailleur.

 

Voir également :
F.S. et Compagnie A, 2020 QCTAT 1999.

Prévisibilité vs événement imprévu et soudain

Selon la jurisprudence, en matière de lésion psychologique, la prévisibilité d’un événement n’empêche pas de le qualifier d’événement imprévu et soudain. Le Tribunal doit analyser les circonstances d’un événement en tenant compte de la nature du travail et de son contexte d’exécution afin de déterminer la survenance d’un événement imprévu et soudain, tel que requis pour la reconnaissance d’un accident du travail et non pas d’un événement imprévisible et soudain.

Boileau et Urgences Santé, [2000] C.L.P. 798.

L’article 2 de la loi qualifie l’événement par deux critères : son caractère imprévu et son caractère soudain. Il faut se garder d’utiliser des expressions référant à un « caractère suffisamment exceptionnel » ou à un « événement extraordinaire ». Il s’agit de critères plus exigeants que ceux qui sont retenus par le législateur. Le fait qu’un événement soit prévisible dans un milieu donné n’empêche pas d’emblée la survenance d’un événement imprévu et soudain. Il faut analyser les circonstances particulières de l’événement.

 

Transport scolaire Rouyn-Noranda et Bourgoin, C.L.P. 197848-08-0301, 11 juillet 2003, Monique Lamarre.

Contrairement à ce que prétend l'employeur, ce n'est pas parce qu'un événement n'entraîne pas de conséquence pour certaines personnes qu'il n'est pas susceptible d'en entraîner pour une autre. En l'espèce, l'employeur a invoqué que l'événement n'était pas suffisamment grave pour être qualifié d'imprévu et soudain et pour entraîner un état de stress post-traumatique. À cet égard, la jurisprudence, dont l'affaire Boileau et Urgences Santé, nous enseigne que l'appréciation du caractère imprévu et soudain doit tenir compte de la nature du travail effectué et du contexte dans lequel il s'effectue et que tenir compte du type de travail et du milieu dans lequel il est exercé renvoie à un critère de situation courante ou usuelle en opposition à une situation inhabituelle. Il faut se garder d'utiliser l'expression suffisamment « grave » et plutôt analyser les circonstances particulières du cas. D'ailleurs, la Cour supérieure dans l'affaire Communauté urbaine de Montréal c.CALP, a précisé que l'adjectif « imprévu » indiquait ce qui arrive lorsqu'on ne s'y attend pas, ce qui est fortuit, inattendu, inopiné et accidentel, et que l'adjectif « soudain » indiquait ce qui se produit en très peu de temps, de façon brusque, instantanée ou subite. 

 

R... C... et Services forestiers R... C..., [2004] C.L.P. 1115.

La notion d’accident du travail réfère à un événement imprévu et soudain et non pas à un événement imprévisible et soudain. Ce qui est important, c’est que l’événement lui-même soit imprévu quant à sa survenance et non pas qu’il soit imprévisible. Ainsi, ce n’est pas parce qu’un événement est susceptible de se produire qu’il ne s’agit pas d’un événement imprévu et soudain.

 

Claveau et CSSS Chicoutimi - CHSLD Chicoutimi, [2008] C.L.P. 224.

Ce n’est pas parce qu’un événement est susceptible de se produire qu’on ne peut le qualifier d’événement imprévu et soudain. Retenir les critères de la prévisibilité ou la possibilité de survenance d’un événement ferait non seulement en sorte de modifier la loi pour y ajouter des conditions non prévues, mais cela aurait aussi pour effet de la stériliser puisqu'à peu près tout ce qui survient au travail est prévisible d’une façon ou d’une autre et certainement possible. Un événement significatif et objectif survenu au travail, malgré qu’il soit prévisible, peut demeurer néanmoins imprévu dans sa réalisation et tout aussi soudain dans sa survenance. Selon la jurisprudence, il faut se garder d’utiliser des expressions plus exigeantes et non retenues par le législateur et la CLP préfère s’en tenir au fait qu’un événement survient dans des circonstances inhabituelles, sortant de l’ordinaire ou anormales, pour vérifier la survenance d’un événement imprévu et soudain, et non à sa prévisibilité.

 

Arpino et Commission scolaire de Montréal, C.L.P. 311923-71-0703, 22 juin 2010, S. Arcand.

S’il est prévisible que les adolescents aient des comportements inappropriés, cette prévisibilité n’empêche pas la reconnaissance d’un événement imprévu et soudain lorsque les circonstances dépassent le cadre habituel du travail.

 

Théroux et Sécurité des incendies de Montréal, 2011 QCCLP 540.

Le tribunal, dans son analyse de la preuve, doit apprécier les faits et les circonstances mis en preuve en fonction de leur caractère anormal ou inhabituel et non à travers le prisme de leur prévisibilité.

 

M… C… et Centre A, 2012 QCCLP 77.

Que ce soit dans le contexte d’une lésion psychique ou dans celui d’une lésion physique, le travailleur doit faire la preuve d’un événement imprévu et soudain, et non celle d’un événement imprévisible. En effet, il serait inacceptable que du fait qu’un travailleur exerce son travail dans des conditions particulièrement difficiles, tout événement, même objectivement traumatisant, soit considéré banal et ne satisfaisant pas aux critères de l’événement imprévu et soudain. Un événement objectivement traumatisant ne devient pas banal du fait qu’il survient dans un milieu de travail difficile ou dans lequel il est plus prévisible. 

 

Grimard et Société de transport de Montréal, 2016 QCTAT 3234.

Considérer qu’une lésion ne peut être qualifiée de professionnelle sur la seule base que l’événement imprévu et soudain invoqué au soutien d’une réclamation constitue un risque relié à l’emploi exercé a pour effet d’évacuer la réalité vécue par de nombreux travailleurs, particulièrement lorsque ceux-ci exercent leur emploi dans un contexte difficile. Cette façon de faire ne respecte manifestement pas l’objectif de la loi. En l’espèce, ce n’est pas parce que les comportements violents ou agressifs de la clientèle font malheureusement partie de la réalité qui est vécue par les chauffeurs d’autobus, qu’il nous faut au surplus banaliser ces situations en refusant la reconnaissance d’une lésion professionnelle sur la base de la prévisibilité de tels comportements.

 

Moulins et Coopérative des ambulanciers de la Mauricie, 2021 QCTAT 2962.

La prévisibilité qu’un événement survienne dans un milieu de travail n’est pas un obstacle à la reconnaissance d’un événement imprévu et soudain. Un incident peut tout de même être objectivement traumatisant, surtout s’il ne survient que très rarement.

 

Patenaude et Centre de services scolaire des Hautes-Rivières, 2023 QCTAT 2384.

L’article 2 de la Loi réfère à un événement «imprévu et soudain», c’est-à-dire un incident qu’un travailleur ne peut s’attendre à ce qu’il se produise, et non à événement «imprévisible», qui renvoie pour sa part à une situation qu’on ne peut prévoir. La distinction est importante, puisque la notion d’imprévisibilité entraine un fardeau différent de celui requis pour la démonstration d’un accident du travail au sens de la Loi.

 

Suivi:
Requête en révision demandée.

Risques reliés à l'emploi

La jurisprudence du Tribunal considère qu’il n’y a pas lieu d’écarter d’emblée l’existence d’un événement imprévu et soudain lorsque l’événement mis en cause est susceptible de survenir, car faisant partie des risques reliés à l’emploi.

Cité de la Santé de Laval et Lemieux, C.L.P. 210133-61-0306, 29 janvier 2004, L. Nadeau.

Le fait qu’un risque fasse partie des conditions de travail n’a pas pour effet de nier d’emblée le caractère imprévu et soudain d’un événement. Il s’agit d’une question d’appréciation des circonstances. Conclure autrement aurait pour conséquence que plus un travail comporte de risques, moins on pourrait être indemnisé pour les accidents du travail attribuables à ces risques. Cela n'atteint pas l’objectif de la loi qui assure une protection contre les risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs par le fait ou à l’occasion de leur travail.

 

Cormier et CTR Défi Intel Mauricie Centre Québec, C.L.P. 229704-04-0403, 19 avril 2005, J.-F. Clément.

Bien qu’un risque fasse partie des conditions de travail normales d’un travailleur, cela n’a pas pour effet de nier le caractère imprévu et soudain d’un événement qui peut survenir. Le tribunal retient que les circonstances particulières de l’événement doivent être analysées en tenant compte de la nature du travail effectué et du contexte dans lequel il s’effectue. De plus, ce n’est pas parce qu’un intervenant est susceptible de rencontrer des gens violents dans le cadre de son travail qu’on ne pourra pas qualifier d’événement imprévu et soudain les insultes prononcées lors d’une telle rencontre. Afin qu’un événement soit prévu, il ne faut pas seulement qu’il soit prévisible, mais il faut en connaître toutes les données. Il ne suffit pas de savoir qu’il peut se produire, mais il faut savoir au moins quand et comment, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Les notions « imprévisible » et « imprévu » sont très différentes.

 

Langlois et Sécurité - Policiers, 2011 QCCLP 7468.

Le tribunal considère que ce n’est pas parce qu’un événement est susceptible de survenir dans le cadre d’un emploi, et que par conséquent, il revêt un certain caractère de prévisibilité, qu’il ne peut constituer un événement imprévu et soudain lorsqu'il survient. La théorie qualifiée par certains de risques inhérents au travail doit être appliquée avec beaucoup de circonspection. Le fait de considérer qu’une lésion ne peut être qualifiée de professionnelle sur la seule base que l’événement imprévu et soudain invoqué au soutien d’une réclamation constitue un risque relié à l’emploi exercé, a pour conséquence d’évacuer la réalité vécue par de nombreux travailleurs, particulièrement lorsqu'ils exercent leur emploi dans un contexte difficile. Cette approche ne respecte manifestement pas l’objectif de la loi.

 

Girard et Centres Jeunesse de Montréal, 2015 QCCLP 6057.

En l’espèce, la travailleuse fait valoir que sa maladie résulte d'une violence dirigée par une adolescente dont le comportement se distingue au sein même de la clientèle déjà difficile du centre de réadaptation et d’hébergement pour adolescentes aux prises avec des problèmes relationnels, de santé mentale ou de dépendance. L'employeur allègue que cet événement n'est pas exceptionnel dans le milieu de travail, car les adolescentes sont susceptibles de défier l'autorité par des paroles ou des gestes dont le degré de violence peut varier. Ainsi, l'événement ne peut être considéré comme un événement imprévu et soudain, d'autant plus que la travailleuse a reçu la formation nécessaire pour faire face à ce genre de situation et qu'elle a mis au point des stratégies d'intervention.

Selon le tribunal, il est normal de s'attendre, de la part d'adolescentes placées dans le type d'établissement géré par l'employeur, à de la violence ou à de l'agressivité « généralisée ». Il en va autrement si l'un de ses travailleurs est particulièrement ciblé, comme ce fut le cas de la travailleuse, par une adolescente apparemment habile à le faire et décrite comme un « cas d'exception ». Même si l'employeur n'a probablement rien à se reprocher dans la gestion de la situation, car tous se sont sentis dépassés par celle-ci, la situation particulière vécue par la travailleuse déborde le contexte normal et habituel du travail. Ce contexte factuel de violence dirigée constitue dans son ensemble un événement imprévu et soudain à l’origine de la maladie de la travailleuse.

 

Grimard et Société de transport de Montréal, 2016 QCTAT 3234.

Le Tribunal considère que ce n’est pas parce qu’un événement est susceptible de survenir dans le cadre d’un emploi et que, par conséquent, il revêt un certain caractère de prévisibilité, qu’il ne peut constituer un événement imprévu et soudain lorsqu'il survient. Ce constat qui apparaît s’imposer de soi lorsqu'on est en présence d’une lésion physique semble parfois être occulté lorsqu'on se retrouve face à une lésion psychologique. De fait, qui oserait prétendre que le chauffeur d’autobus victime d’un accident de la circulation lui causant une fracture n’a pas été victime d’un événement imprévu et soudain, survenu par le fait de son travail, parce qu’un tel accident est prévisible dans le cadre de ses fonctions. Ce même raisonnement doit s’appliquer dans le cas d’une lésion psychique et en conséquence, la théorie qualifiée par certains de « risques inhérents au travail » doit être appliquée avec beaucoup de circonspection.

 

Formation et expérience de travail

Pour la jurisprudence, le fait d’avoir été formé ou d’être expérimenté dans son travail n’exclut pas la possibilité que se produise un événement imprévu et soudain, même s’il était prévisible qu’un tel événement puisse survenir.

Côté et Bande indienne des Montagnais du Lac Saint-Jean, C.L.P. 382962-02-0907, 20 janvier 2010, M. Sansfaçon.

Il y a donc eu un événement imprévu et soudain au sens de l'article 2 LATMP, même pour un policier ayant reçu une formation spécialisée. Malgré les risques inhérents à ce travail, tous les événements dangereux susceptibles de se produire ne sont pas normaux. De plus, la définition d'accident du travail réfère à des événements imprévus et soudains et non imprévisibles et soudains.

 

Centre jeunesse Québec et Jobin, C.L.P. 390009-31-0909, 22 juin 2010, C. Lessard.

Ce n’est pas parce que la travailleuse est susceptible d’être confrontée à des jeunes agressifs depuis qu’elle est en poste et qu’elle détient une formation d’éducatrice spécialisée, que sa réclamation doit être rejetée. Les circonstances en cause s’apparentent à une situation anormale plutôt qu’à un niveau de stress normalement associé à son emploi et pour lequel elle a été formée.

 

Dallaire et Centre de réadaptation Gabrielle Major, 2013 QCCLP 187.

Selon la procureure de l’employeur, l’épisode du 5 juillet doit s’analyser en fonction de la formation et de l’expérience de la travailleuse. L’intervention auprès d’un résident cette journée-là est une situation prévisible dans le genre de travail exercé par la travailleuse et qui survient quotidiennement. Elle soumet que ce genre de confrontation fait partie des risques inhérents à la tâche de la travailleuse, une éducatrice spécialisée, et qu’il n’y avait rien qui allait au-delà de ce qui est prévisible dans ce type de milieu de travail. Elle ajoute que la travailleuse a de l’expérience et qu’elle avait déjà vécu des situations de crise. La notion d’événement imprévu et soudain ne doit pas s’apprécier à travers le prisme de la prévisibilité ou encore des risques inhérents au travail. En effet, ce n’est pas parce que des circonstances ou une situation s’avèrent prévisibles dans l’exercice d’un travail que celles-ci ne peuvent constituer un événement imprévu et soudain. 

 

Lien de causalité

La jurisprudence reconnaît qu’une fois l’événement imprévu et soudain démontré, il revient au travailleur de faire la preuve que cet événement imprévu et soudain est la cause de la lésion diagnostiquée.

La relation entre un diagnostic et un événement est une question d’ordre juridique qui peut comprendre une preuve à caractère médical. Il appartient au Tribunal d’évaluer le caractère probant de l’ensemble des éléments de preuve aux fins de déterminer si les événements reliés au travail reconnus comme étant l’événement imprévu et soudain sont la cause de la lésion psychologique du travailleur.

Aux fins d’établir la relation, le Tribunal considère notamment, la preuve médicale, la connexité temporelle entre les symptômes et les événements ainsi que tout autre élément permettant de relier la lésion psychologique au travail ou à une cause extérieure.

La jurisprudence reconnaît que certains éléments extérieurs au travail peuvent être la cause de la lésion psychologique. Il en est ainsi de problèmes personnels, d’événements dramatiques ou traumatiques dans la vie personnelle du travailleur ou de condition personnelle psychologique déjà présente au moment des faits et qui peut expliquer à elle seule la lésion psychologique.

M… M… et B… inc., C.L.P. 242672-04-0408, 14 juin 2007, D. Lajoie.

En matière de réorganisation des tâches due à un départ, il est normal qu'une adaptation soit nécessaire et que le stress augmente. Toutefois, la situation décrite en l'espèce n'est pas anormale ni exceptionnelle au point où elle puisse constituer un événement imprévu et soudain. Le tribunal considère que même en admettant qu'il s'agit d'un événement imprévu et soudain, cette situation ne constitue pas un accident du travail puisque le lien causal entre cet événement et la lésion n'est pas démontré. La réaction de la travailleuse apparaît davantage liée à sa perception des choses, à des facteurs qui lui sont personnels, à une problématique qui lui est propre qu'à des éléments objectivables à ce point inhabituels ou d'une gravité telle qu'ils ont pu entraîner une lésion psychologique. D’ailleurs, selon la preuve médicale, le passé difficile de la travailleuse et ses conséquences constituent des éléments déterminants dans la survenance de la lésion psychologique. Bien qu'une condition personnelle ne doive pas automatiquement faire obstacle à la reconnaissance d'une lésion professionnelle, la situation est tout autre lorsque cette condition personnelle apparaît être le facteur déterminant dans la survenance de la lésion, comme c'est le cas en l'espèce.

 

Claveau et CSSS Chicoutimi - CHSLD Chicoutimi, [2008] C.L.P. 224.

En l’espèce, la présence d’un événement imprévu et soudain est établie. Quant à la relation entre cet événement et le diagnostic de trouble anxieux, elle est affirmée de façon non contredite par un médecin. Le tribunal retient également la connexité temporelle entre les symptômes de la travailleuse et les événements vécus au travail, l’absence de toute cause personnelle à l’automne 2006 pouvant expliquer la lésion de la travailleuse, ainsi que l’absence de trouble de la personnalité. Les événements subis par la travailleuse sont objectivement significatifs et de nature à affecter une personne au niveau psychologique. La relation entre un diagnostic et un événement demeure une question avant tout d’ordre légal et juridique et le tribunal retient que les événements survenus entre juin et octobre 2006 sont suffisamment sérieux pour expliquer la lésion psychologique diagnostiquée chez la travailleuse. Enfin, selon la théorie du crâne fragile, le fait qu’elle possède des antécédents d’ordre psychologique ne peut constituer un empêchement à l’indemnisation de la travailleuse.

 

R… O… et Ville A, C.L.P. 327077-63-0709, 24 mars 2009, J.-P. Arsenault.

Pour le tribunal, que l’analyse de la réclamation du travailleur soit faite sous l'angle de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle, le travailleur doit établir un lien entre l'événement traumatique allégué et la réaction psychique que cet événement a provoquée chez lui. Ainsi, la recherche du lien de causalité constitue un élément de preuve distinct qui s'ajoute à la preuve de l'événement imprévu et soudain ou à celle des risques particuliers. Par ailleurs, comme en matière de lésion physique, la preuve médicale est un élément pris en considération pour établir la relation.

 

Théroux et Sécurité des incendies de Montréal, 2011 QCCLP 540.

Dans la mesure où le tribunal reconnaît la survenance d’un événement imprévu ou soudain, le travailleur doit démontrer le lien entre cet événement ou cette série de faits et la lésion psychique qui l’afflige, et ce, de façon prépondérante.

 

Lahouaz et Société de transport de Montréal, 2016 QCTAT 623.

Pour le Tribunal, une fois la démonstration faite de la survenance d’un événement imprévu et soudain, il reste à apprécier le lien causal avec la maladie diagnostiquée.

 

Lessard et CISSS de la Gaspésie - réseau local de la Côte-de-Gaspé, 2016 QCTAT 3718. 

La preuve de la relation causale entre l’événement ou la suite d’événements et la lésion psychique implique la prise en compte de la preuve médicale, de la concomitance entre les faits traumatiques et les symptômes, de la présence ou non d’une condition personnelle, du caractère plus ou moins traumatique de l’événement ainsi que des facteurs de risque personnels. En conséquence, si la principale cause des difficultés psychologiques du travailleur relève de sa personnalité, de son attitude ou de son approche du travail, il ne peut alors raisonnablement être établi de lien de causalité entre les faits en preuve et la lésion psychique.

 

R… L… et Compagnie A, 2016 QCTAT 4274.

Selon la jurisprudence, la présence d'une condition personnelle préexistante n'est pas un obstacle à la reconnaissance d'une lésion professionnelle. Comme l'a rappelé la Cour d'appel dans PPG Canada inc. c Commission d'appel en matière de lésions professionnelles « pour conclure qu'une aggravation d'une condition personnelle préexistante constitue une lésion professionnelle, il faut que soit survenu un accident du travail ou une aggravation causée par les risques particuliers du travail ». En fait, cette position est une application de la théorie de la « thin skull rule » en matière de lésion professionnelle. Ce principe est applicable aux faits en l'espèce. Par conséquent, la travailleuse a subi une lésion professionnelle. 

 

Annab et Société canadienne des postes, 2022 QCTAT 5562.

Une fois la démonstration de la survenance d’un événement imprévu et soudain faite, le Tribunal doit apprécier le lien de causalité avec la maladie diagnostiquée. Le fardeau appartient au travailleur de prouver que les événements décrits sont la cause de la lésion psychologique alléguée. Un tel lien de causalité s’apprécie de manière globale, en fonction d’une preuve scientifique autant que profane. L’analyse doit reposer sur différents critères, tel la nature de l’événement, la nature de la lésion, la relation temporelle entre l’apparition de la maladie et les circonstances alléguées, l’évolution de la maladie et la présence, si c’est le cas, d’une condition personnelle préexistante.

 

Voir également :
Lalongé et Service correctionnel du Canada, 2021 QCTAT 2067.

Par le fait ou à l'occasion du travail

En matière de lésion psychologique comme en matière de lésion physique, le travailleur doit démontrer que l’événement imprévu et soudain est survenu par le fait ou à l’occasion de son travail.

Par le fait du travail

Cardella et Ville de Montréal (arrondissement Mont-Royal), C.L.P. 263152-71-0505, 22 mars 2006, C. Racine.

Pour que la travailleuse puisse invoquer avec succès avoir été victime d’un accident du travail, l’article 2 LATMP énonce que celle-ci doit faire la preuve d’un événement imprévu et soudain, survenu par le fait ou à l’occasion du travail, et de l’existence d’un lien entre cet événement et la lésion diagnostiquée. En l'espèce, de nombreux comportements inacceptables d’une collègue de travail et qui n’ont pas leur place dans un milieu de travail ont eu lieu. Ces événements surviennent par le fait du travail de la travailleuse et le trouble d’adaptation avec humeur anxieuse dont elle souffre découle de ceux-ci.

 

Dessureault et Centre jeunesse de l’Abitibi-Témiscamingue, 2014 QCCLP 6723.

Pour qu’un accident du travail soit considéré comme tel au sens de la loi, il faut que la travailleuse fasse la démonstration d’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant par le fait ou à l’occasion du travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle.

 

À l'occasion du travail 

Lfarouk et CISSS de la Montérégie-Est, 2022 QCTAT 3596.

Un travailleur libéré à temps plein par l’employeur, rémunéré par ce dernier, afin d’exercer des fonctions syndicales pourra être considéré être à l’occasion du travail et faire la démonstration d’un événement imprévu et soudain. Ce ne sera toutefois pas le cas de certaines activités syndicales spécifiques comme celles reliées aux moyens de pression ou la grève, comme ces activités s’éloignent des conditions de travail et de la sphère professionnelle du travailleur.

 

Voir :

Accident du travail, rubrique Interprétation - sous le titre de Survenu à l'occasion du travail. 

Théorie du crâne fragile (Thin skull rule) et condition personnelle

En matière de lésions psychologiques comme en matière de lésions physiques, la jurisprudence reconnait qu’il faut prendre le travailleur dans l'état où il se trouve au moment de la survenance de l’événement allégué être en relation avec la lésion diagnostiquée. La théorie du crâne fragile trouve donc application. 

Par ailleurs, l'existence d'une condition personnelle psychologique ne permet la reconnaissance d'une lésion professionnelle que dans la mesure où la preuve démontre la survenance objective d'un événement imprévu et soudain par le fait du travail qui est en relation avec la lésion diagnostiquée ou que les risques particuliers du travail sont responsables de cette lésion. 

Ainsi, la jurisprudence peut reconnaître une lésion professionnelle de nature psychologique en présence d’une condition personnelle lorsque le travail a eu un effet déterminant dans la survenance de cette lésion.

Chaput c. Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal, [1992] C.A.L.P. 1253 (C.A.).

À moins de circonstances particulières, il faut prendre la personne humaine comme elle est, avec son âge, ses faiblesses et ses vicissitudes. Autrement, il faudrait juger suivant une norme de la personne en parfaite santé et condition physique, ce qui ne correspondrait sûrement pas aux objectifs de la loi.

 

Suivi :

Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 4 mars 1993 (23265).

PPG Canada inc. c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, [2000] C.L.P. 1213 (C.A.).

Pour conclure qu'une aggravation d'une condition personnelle préexistante peut constituer une lésion professionnelle, il faut que soit survenu un accident du travail ou une aggravation causée par les risques particuliers du travail. Le législateur ne peut avoir voulu couvrir les situations autres que celles reliées à un accident du travail ou à une maladie reliée aux risques particuliers du travail.

 

Suivi :

Contestation d'une décision du Bureau de révision accueillie, 18 juin 2007, M. Sauvé.

Ramos et Commission scolaire Portages-Outaouais, C.L.P. 85373-07-9701, 5 janvier 2001, Y. Lemire.

Pour le tribunal, les traits de personnalité ne doivent pas constituer un obstacle à la reconnaissance du caractère professionnel de la dépression du travailleur. Cependant, il est nécessaire que des événements traumatisants puissent être identifiés, et leur importance et leur accumulation causent la lésion diagnostiquée, ce qui est le cas en l’espèce.

 

Simoneau et R. Boulanger et cie ltée (Moulures), C.L.P. 162120-04B-0105, 15 octobre 2002, D. Lajoie.

En l’espèce, les événements relatés par le travailleur sont bien réels et ne sont pas le fruit d’une perception faussée ou teintée de subjectivité. La superposition de tous ces événements constitue un événement imprévu et soudain survenu à l’occasion du travail. En matière de lésion psychologique, la théorie du « crâne fragile » trouve application. Ce principe veut que l'on prenne la personne dans l'état où elle se trouve au moment de l'événement. Ainsi, la réaction du travailleur en fonction de sa personnalité ne peut pas être un obstacle à sa réclamation. On ne peut lui reprocher d’être perfectionniste, ni sa volonté du travail bien fait. Comme le travail a été déterminant dans la survenance de la lésion, il a subi une lésion professionnelle.

 

Martin Lamer (Succession) et Snc-Lavallin Profac inc., [2005] C.L.P. 1122.

Selon la jurisprudence, on doit prendre la personne dans l'état où elle est, avec ses forces, ses faiblesses et ses vicissitudes. Que les sentiments du travailleur aient dégénéré et qu'il ait eu une grosse réaction, qu'il ait développé une dépression majeure avec anxiété, qu'il ait posé un geste disproportionné par rapport aux événements, que les événements aient eu un impact aussi important sur sa santé psychologique en comparaison avec un autre travailleur placé dans les mêmes circonstances, s'inscrit dans l'application même de la théorie du « crâne fragile ». La preuve démontre une situation objectivement traumatisante au plan psychologique du fait notamment de l'annonce de la disparition du poste, de l'obligation pour le travailleur de former ses remplaçants, de l'insécurité en regard de la date de sa fin réelle d'emploi le tout sur un fond de fatigue accumulée par la surcharge de travail et le manque de ressources.

 

Suivi :

Révision rejetée, 22 mars 2006, C.-A. Ducharme.

Dépanneur Paquette et St-Gelais, [2005] C.L.P. 1541.

En ce qui concerne la théorie du crâne fragile, l'existence d'une condition personnelle ne fait pas échec à la reconnaissance d'une lésion professionnelle, dans la mesure où la preuve de la survenance d'un accident du travail est fournie. Les perceptions subjectives des événements, opinions ou impressions ne satisfont pas à cette exigence, pas plus que les traits de caractère, la structure de la personnalité ainsi que l'histoire personnelle ou tout autre élément susceptible d'influencer la perception de la réalité qu'entretient le sujet, ce que la jurisprudence appelle les « facteurs endogènes » par opposition aux « facteurs exogènes ». Ainsi, selon la jurisprudence du tribunal, la théorie du crâne fragile ne peut trouver application pour déterminer le lien de causalité ni pour décider de la question de la survenance ou de l'existence même d'une lésion professionnelle, la preuve prépondérante de la cause déterminante de la lésion invoquée demeurant l'élément incontournable.

 

Violette et Biorex inc., C.L.P. 263568-01B-0505, 15 décembre 2006, J.-F. Clément.

Pour le tribunal, même si le travailleur a eu une certaine prédisposition à subir des problèmes psychologiques, cela ne constitue pas une fin de non-recevoir en présence d’un événement imprévu et soudain qui a provoqué le réveil d’une condition psychologique. En conséquence, la théorie du crâne fragile s’applique et le travailleur doit être indemnisé, bien qu’il ait pu avoir une certaine prédisposition. Bien qu’un autre travailleur aurait pu passer à travers la situation vécue par le travailleur sans difficulté, on doit prendre la personne dans l’état où elle est, avec ses faiblesses.

 

M... M... et B... inc., C.L.P. 242672-04-0408, 14 juin 2007, D. Lajoie.

Il est vrai qu’une condition personnelle ne doit pas automatiquement faire obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle. Cette condition personnelle ne doit pas être le facteur déterminant dans la survenance de la lésion. Bien plus que ce qui a pu se passer au travail, c’est la condition personnelle de la travailleuse qui est ici responsable de son état dépressif.

 

H… B… et Compagnie A, 2013 QCCLP 960.

Le fait que la travailleuse ait déjà subi des sévices de nature sexuelle lorsqu'elle était plus jeune et qu'elle a fait une dépression peu de temps avant le harcèlement évoqué aux présentes ne constitue pas une fin de non-recevoir en présence d'un événement imprévu et soudain qui a provoqué le réveil d'une condition psychologique, la théorie du crâne fragile étant applicable.

 

A… C… et Commission scolaire A, 2015 QCCLP 4863.

En l’espèce, la travailleuse n'a pas démontré la survenance d'un accident du travail dans le contexte d'une lésion de nature psychologique. Par ailleurs, la fragilité de la travailleuse n'a pas eu pour effet de transformer pour autant l'événement en un accident du travail, selon la théorie du crâne fragile. En effet, la Cour d'appel a rappelé dans PPG Canada inc. c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles que l'aggravation d'une condition personnelle ne constituait pas une catégorie de lésion professionnelle qui s'ajoutait à celles déjà mentionnées par le législateur à l'article 2 LATMP et que la théorie du crâne fragile n'était pas une règle d'admissibilité permettant d'établir l'existence d'un lien de causalité ou d'une blessure pour une réclamation, mais bien une règle d'indemnisation, une fois qu'un accident du travail était prouvé. Par conséquent, la travailleuse n'a pas subi de lésion professionnelle.

 

P... D... et Compagnie A, 2016 QCTAT 4205.

La présence d’une condition préexistante ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle. Ainsi, lorsque la preuve factuelle permet de conclure à la survenance d’un événement imprévu et soudain au travail, un tel événement peut aussi être à l’origine de la manifestation de nouveaux symptômes psychologiques entraînant un arrêt de travail, un nouveau suivi médical et un ajustement de la médication. Bien qu’en l’espèce, les événements subis par le travailleur ont eu un impact chez lui alors que ce ne serait pas nécessairement le cas chez d’autres travailleurs, cela ne fait pas échec à la reconnaissance d’une lésion professionnelle.

 

F.S. et Compagnie A, 2020 QCTAT 1999.

La présence d’une condition personnelle psychologique ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle résultant d’un accident du travail. Il faut toutefois qu’il y ait présence d’un accident du travail au sens de l’article 2 de la Loi, qui soit l’élément déterminant dans l’évolution de la condition du travailleur.

 

Bolanos et VV Taverna, 2023 QCTAT 76.

En présence de plusieurs facteurs contributifs, la travailleuse doit démontrer que les conséquences de sa lésion initiale sont la cause déterminante du développement de sa lésion psychologique. De plus, bien qu’une condition personnelle préexistante rendant la travailleuse plus fragile psychologiquement ne soit pas, en soi, un obstacle à la reconnaissance d’une lésion psychologique, on ne peut ignorer la présence de plusieurs facteurs de stress personnels qui peuvent aussi être la source du développement du trouble de l’adaptation. La travailleuse n’a pas fait la preuve que la lésion professionnelle ou ses conséquences sont la cause déterminante du développement du trouble de l’adaptation.

 

Voir également :

St-Pierre et Institut universitaire de santé mentale de Québec, 2021 QCTAT 5877.
Gendarmerie royale du Canada et De L’Étoile, 2023 QCTAT 592.

Maladie professionnelle

Preuve requise

Lorsque le Tribunal analyse une réclamation pour une lésion psychologique en regard d’une maladie professionnelle, la preuve est appréciée sous l’angle de la maladie reliée aux risques particuliers du travail.

Selon la jurisprudence, la maladie est reliée aux risques particuliers si elle découle de l’exposition à des agents stresseurs généralement présents dans le milieu de travail.

Le Tribunal retient également que la preuve des risques particuliers doit revêtir un caractère objectif. Il faut dépasser la perception, les attentes ou les exigences du travailleur et retrouver une situation qui déborde véritablement du cadre normal ou habituel de ce à quoi on peut s’attendre dans le monde du travail.

Plouffe Leblanc et C.H.U.S. – Hôpital Fleurimont,C.L.P. 182629-05-0204, 20 juin 2003, M. Allard.

Le tribunal partage les principes tirés de la jurisprudence élaborée sous l'article 30 en matière de lésion psychologique qui indiquent que la réorganisation du milieu de travail ou le changement d'assignation relève du droit de gérance de l'employeur et ne peut donner ouverture à la reconnaissance d'une maladie professionnelle dans la mesure où il s'inscrit dans un cadre habituel de ce qui est susceptible de se produire au travail. Les difficultés d'adaptation d'un travailleur à des problèmes normaux au niveau administratif ou des relations du travail ne peuvent être assimilées à des risques particuliers et la réaction d'un travailleur doit s'évaluer à partir de la situation concrète et non pas de ses perceptions subjectives de ses conditions de travail.

 

Viger et Magasin Laura PV inc.,[2003] C.L.P 1158.

La jurisprudence indique que pour qu'une lésion psychique soit attribuable aux risques particuliers prévus à l'article 30, il faut tenir compte du contexte dans lequel le travailleur est amené à exercer ses tâches, soit la surcharge de travail, le surmenage, des conditions négatives de travail ou encore des facteurs de stress importants.

 

Roussel et Sûreté du Québec,[2003] C.L.P. 1294.

Afin de déterminer si une lésion psychologique résulte d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, le tribunal doit apprécier si la réaction psychologique résulte de façon déterminante de l’exposition à des agents stresseurs externes à l’individu qui en souffre et qui sont associés au travail, plutôt qu’à des facteurs stresseurs internes, propres à l’individu. En matière de maladie professionnelle, il faut évaluer la participation de l’agent stresseur habituel dans le développement de la pathologie psychologique et mesurer le risque pour la santé mentale auquel cet agent peut exposer le travailleur.

 

R… C… et Services forestiers R… C…,[2004] C.L.P. 1115.

Pour le tribunal, lorsqu’une lésion survient dans le cadre de l’exercice normal et habituel du travail, l’angle de la maladie professionnelle peut être abordé. Cependant, dès qu’on s’écarte du contexte normal et qu’on allègue la survenance d’événements particuliers et inhabituels, la notion de maladie professionnelle ne peut recevoir application et c’est plutôt celle d’accident du travail qui s’applique. Tel que mentionné dans l’affaire Roussel et Sûreté du Québec, la notion d’accident du travail s’applique à des circonstances inhabituelles, ponctuelles et limitées dans le temps, alors que la notion de maladie professionnelle s’applique lorsqu’une maladie se développe à la suite de l’exposition à des agents stresseurs généralement présents dans le milieu de travail.

 

Langlais et Centre hospitalier de Chandler,C.L.P. 210630-01B-0306, 1er septembre 2006, L. Desbois.

Dans le cas d’une maladie professionnelle psychologique en vertu de l’article 30, la preuve des risques particuliers doit revêtir un caractère objectif. Il faut dépasser la perception, les attentes ou les exigences du travailleur et retrouver une situation qui déborde véritablement du cadre normal ou habituel de ce à quoi l’on peut s’attendre dans le monde du travail. La preuve de la relation causale entre les risques particuliers et la lésion psychique implique la prise en compte de la preuve médicale, la concomitance entre les faits traumatiques et les symptômes, la présence ou non d’une condition personnelle prédisposante et du caractère plus ou moins traumatique des risques allégués.

 

Violette et Biorex inc.,C.L.P. 263568-01B-0505, 15 décembre 2006, J.-F. Clément.

La jurisprudence établit qu’il y a lieu de parler de risques particuliers du travail lorsque l’exercice d’un travail fait encourir, en raison de sa nature ou de ses conditions habituelles d’exercice, un risque particulier de développer une maladie précise. Les risques particuliers du travail ne doivent pas être évalués uniquement en fonction de critères objectifs, qui doivent cependant être bel et bien présents, mais aussi en fonction de la personne même qui exerce ce travail.

 

Commission scolaire A et H… M...,C.L.P. 294084-31-0607, 22 juillet 2010, P. Simard.

La jurisprudence rappelle qu’une lésion qui survient dans le cadre normal et habituel du travail peut être étudiée sous l’angle de la maladie professionnelle, dans le cadre de la notion de risques particuliers inhérents au milieu de travail. Dès que l’on s’écarte du comportement normal et qu’on allègue la survenance d’événement particulier et inhabituel, la notion de maladie professionnelle ne peut alors recevoir application. On doit plutôt analyser le tout sous la notion d’accident du travail. Dans certains milieux de travail, on retrouve des conditions particulières au type de fonction et travail effectués. Par exemple, dans le milieu carcéral ou policier, les travailleurs sont soumis à des pressions, des stress inhérents aux fonctions qu’ils occupent, à la nature de leur travail. Lorsque la prépondérance de preuve révèle que ces conditions particulières sont la source de la lésion, sans corrélation avec des conditions endogènes, on reconnaît qu’il existe un lien de causalité entre la lésion et les risques particuliers du travail. À l’inverse, lorsque la preuve révèle que dans le cadre du travail, il s’est produit différents événements imprévus qui vont au-delà des conditions habituelles, normales et inhérentes au travail, on invoque plutôt la notion d’accident.

 

Ville de Gatineau et Lacasse,2012 QCCLP 1517.

Comme le souligne la jurisprudence, l’angle de la maladie professionnelle peut être abordé lorsqu’une lésion se produit dans le cadre de l’exercice normal et habituel du travail, mais quand la lésion alléguée s’appuie sur la survenance d’événements particuliers et inhabituels, on doit plutôt étudier la demande sous l’aspect de la notion d’accident du travail.

 

Larouche et Day & Ross inc.,2014 QCCLP 7066.

Dans le cas d’une maladie professionnelle en raison des risques particuliers du travail au sens de l'article 30, l'utilisation du terme « risque », par opposition à « danger », indique que le législateur n'exige pas une preuve d'un degré aussi fort qu'en cette dernière matière. La maladie liée directement aux risques particuliers du travail vise les pathologies causées par l'emploi exercé par le travailleur et les risques particuliers qu'il a connus dans son contexte de travail habituel. Il existe des risques particuliers lorsque l’exercice d’un travail fait courir au travailleur, en raison de sa nature ou de ses conditions habituelles d’exercice, un risque particulier de développer une certaine maladie psychologique. 

 

Hénault et Institut de cardiologie de Montréal, 2022 QCTAT 5193.

Dans le cadre de l’analyse de la lésion psychologique sous l’angle de la maladie professionnelle, il faut analyser si les agents stresseurs requis pour causer le diagnostic retenu sont présents dans le milieu de travail. Le travailleur doit ainsi démontrer des risques particuliers liés au travail d’un point de vue objectif, qui dépassent la simple perception.

 

Castonguay et Service correctionnel Canada, 2022 QCTAT 1937.

Une maladie professionnelle, plus particulièrement un diagnostic de nature psychologique, peut être reconnu comme une lésion professionnelle quand il est démontré qu’il est relié aux risques particuliers du travail en vertu de l’article 30 de la Loi, c’est-à-dire une maladie causée par l’emploi exercé dans son contexte d’emploi habituel.

 

Voir également :
Rivard et Fromagerie Lemaire ltée, 2022 QCTAT 1377.

Harcèlement psychologique

Chose jugée

Le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique lorsqu’il y a identité de parties, d’objet et de cause et peut être soulevé en matière de droit administratif.

Le Tribunal retient qu’il n’y a pas chose jugée entre un recours issu de la LNT de celui introduit en vertu de la LATMP, puisque l’objet des deux recours n’est pas le même. Dans un cas, on décidera de l’existence ou non de harcèlement psychologique au sens de l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail, alors que dans l’autre, on décidera de l’existence ou non d’une lésion professionnelle au sens de l’article 2 LATMP.

Dinello et Télébec ltée,[2008] C.L.P. 173.

Il n’y a pas identité de cause puisque la qualification juridique des faits allégués entre un recours devant l’arbitre de griefs et la CLP est différente. En effet, le tribunal doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle, il doit apprécier la preuve pour déterminer si des événements survenus au travail, pouvant être qualifiés d’événements imprévus et soudains, ont entraîné une maladie. C’est dans cette qualification du caractère imprévu et soudain des événements allégués qu’il doit apprécier si les agissements reprochés à l’employeur s’inscrivent dans le cadre normal du travail. Or, l’arbitre de grief qui a déposé des griefs de la travailleuse et rendu une sentence arbritale, n’a pas à se prononcer sur cette question. Certes, il a analysé la preuve et qualifié le comportement de l’employeur de malhabile et, à certains égards, d’abusif, mais n'a pas déterminé si ces événements constituent un événement imprévu et soudain. Il n’y a pas non plus identité d’objets entre les deux recours, puisque la reconnaissance d’une lésion professionnelle donne droit aux différentes indemnités prévues à la loi alors que l’arbitre a ordonné la réintégration au poste de travail avec compensation pour les pertes monétaires.

 

Équipement Fédéral inc. et Turgeon, [2008] C.L.P. 413.

Essentiellement, l'objet de la plainte en harcèlement psychologique est d'obtenir la réintégration en emploi, des mesures pour cesser le harcèlement et une compensation financière pour atténuer les conséquences du harcèlement. L'objet du dépôt d'une réclamation à la CSST va bien au-delà de celui prévu à la Loi sur les normes du travail. Il y a identité de parties et identité de cause puisqu'il s'agit de circonstances assimilables à du harcèlement allégué que tente de faire reconnaître un travailleur et qui conduisent à une lésion de nature psychologique. Par contre, il n'y a pas identité d'objet.

 

Champoux et Municipalité de St-Zénon, 2013 QCCLP 3987.

L'issue d'une plainte déposée à la Commission des normes du travail ou l'exercice d'un recours devant la Commission des relations du travail ne lie pas la CLP. En effet, ces organismes ne décident pas des mêmes notions. Ainsi, le principe de la chose jugée ne s'applique pas, vu l'absence d'identité d'objet. Devant le tribunal, il s'agit plutôt de déterminer si la travailleuse a dû faire face à des conditions de travail anormales en raison de différentes situations ou de différents événements suffisamment précis comportant un caractère méprisant, importun ou offensant, permettant de les qualifier d'événements traumatisants. Le tribunal devra donc déterminer s'il y a eu un événement imprévu et soudain survenu par le fait où à l'occasion du travail et, le cas échéant, déterminer si la travailleuse a démontré, de manière prépondérante, le lien entre cet événement et sa maladie psychologique.

 

Pigeon et Sears Canada inc., 2014 QCCLP 1983.

L'objet de la demande de la travailleuse auprès de la CSST est différent de celui recherché auprès de la CRT. Bien que l'identité des parties ne fait pas de doute et que la cause du recours concerne les mêmes faits, leur qualification juridique ne sera pas la même : dans un cas, on décidera de l'existence ou non de harcèlement psychologique au sens de l'article 81.18 de la Loi sur les normes du travail et, dans l'autre, on décidera de l'existence ou non d'une lésion professionnelle au sens de l'article 2 LATMP. Les remèdes prévus à la Loi sur les normes du travail ne sont pas les mêmes que ceux énoncés à la LATMP pour la réparation des lésions professionnelles. Par conséquent, il n'y a pas chose jugée en ce qui a trait à l'existence d'une lésion professionnelle.

 

Durocher c. Commission des relations du travail, 2015 QCCA 1384.

La Cour d’appel conclut qu’il n'y a pas de litispendance ou de chose jugée à l'égard de l'un ou de l'autre des recours de la CLP ou de la CRT lorsqu'ils déterminent l'existence de harcèlement psychologique au travail. Les deux recours n'ont ni le même objet ni la même cause. Le bénéfice juridique recherché par le recours devant la CRT est de faire reconnaître le droit du salarié à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique et de faire constater que l'employeur a violé son obligation de prévenir le harcèlement. La réclamation du travailleur auprès de la CSST vise plutôt à faire reconnaître qu'il a été victime d'une lésion professionnelle. Cette décision doit être prise sans égard à la responsabilité de quiconque. Il n'y a donc pas de chose jugée au sens strict, car il appartient à la CRT de déterminer si la conduite des employés et de l'employeur constituait du harcèlement psychologique. 

 

Préclusion

Le principe de la préclusion est un volet du principe de l'autorité de la chose jugée qui interdit de soumettre aux tribunaux des questions déjà tranchées dans une instance antérieure.

La préclusion s’applique lorsque :
1) la question est la même que celle qui a été tranchée dans la décision antérieure;
2) la décision judiciaire antérieure est finale; et
3) les parties ou leurs ayants droit sont les mêmes dans les deux instances. 

Pigeon et Sears Canada inc., 2014 QCCLP 1983.

Le tribunal, pour la première fois, applique le principe de la préclusion. La préclusion découlant d'une question déjà tranchée est un volet du principe de l'autorité de la chose jugée qui interdit de soumettre aux tribunaux des questions déjà tranchées dans une instance antérieure. Ses trois conditions d'application sont : 1) la question doit être la même que celle qui a été tranchée dans la décision antérieure; 2) la décision judiciaire antérieure doit avoir été une décision finale; et 3) les parties ou leurs ayants droit doivent être les mêmes dans les deux instances. Il s’agit d’une doctrine d’intérêt public qui tend à favoriser les intérêts de la justice. Toutefois, la préclusion ne trouvera pas application si le tribunal de juridiction inférieure a commis une erreur de principe en omettant d’exercer pleinement sa compétence. À titre de facteurs pertinents, le tribunal doit notamment prendre en considération le libellé du texte de loi accordant le pouvoir de rendre la décision quasi judiciaire, l'objet de la loi, l'existence d'un droit d'appel, les garanties offertes aux parties dans le cours de l'instance administrative, l'expertise du décideur administratif, les circonstances ayant donné naissance à l'instance administrative initiale et, le facteur le plus important, le risque d'injustice. En tenant compte de ces critères, le tribunal pourra refuser d'appliquer la préclusion. 

 

Durocher c. Commission des relations du travail, 2015 QCCA 1384.

La Cour d’appel conclut que la CRT aurait dû apprécier la question sur la base de la responsabilité que lui a confiée le législateur, soit celle de décider, de façon exclusive, de l’existence d’une situation de harcèlement au travail. En conséquence, elle aurait dû refuser de conclure à la chose jugée implicite ou à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. En effet, il n’appartenait pas à la CLP de décider si l’appelante a subi du harcèlement au travail, cela relève de la CRT. 

 

Incidence LNT

Lorsqu'un travailleur allègue être victime de harcèlement au travail, le Tribunal doit déterminer si celui-ci a subi une lésion professionnelle et non pas s’il y a eu ou non harcèlement psychologique en vertu de la définition à l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail. Toutefois, la jurisprudence mentionne que le Tribunal peut s’inspirer de cette définition dans l’analyse de la notion d’événement imprévu et soudain afin de décider si le travailleur a été victime d’un accident du travail au sens de la LATMP.

Perron et Conseil montagnais Sept-Îles, C.L.P. 240936-09-0408, 28 octobre 2004, Y. Vigneault.

La LATMP ne définit pas le harcèlement psychologique. La jurisprudence détermine toutefois qu'un cumul d'incidents, soit des gestes, des actions ou des paroles non désirés par le fait du travail pouvant être assimilés à un événement imprévu et soudain par le fait du travail, constitue un accident du travail tel que défini à l'article 2 LATMP. Le tribunal s'inspire aussi de la définition de harcèlement psychologique à l'article 81.18 de la Loi sur les normes du travail. Il faut donc examiner si un supérieur, un ou des collègues de travail ou un tiers ont eu des comportements, posé des gestes ou prononcé des paroles ayant un caractère méprisant, importun ou offensant à l'égard du travailleur.

 

Létourneau-L'Écuyer et Aéroports de Montréal, C.L.P. 164550-72-0106, 29 mars 2006, M. Zigby (décision rejetant la requête en révision).

L'employeur prétend que le commissaire a appliqué la mauvaise règle de droit en analysant le dossier en fonction de la définition de harcèlement contenue à la Loi sur les normes du travail plutôt qu'à la lumière des définitions d'accident du travail et de maladie professionnelle que l'on retrouve à la LATMP. À cet égard, le commissaire réfère expressément aux définitions des notions de lésion professionnelle, accident du travail et maladie professionnelle de la LATMP. Son analyse démontre que c'est en fonction de la notion d'accident du travail et par application de la théorie des microtraumatismes qu'il a conclu que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle. Il n'a donc pas commis d'erreur manifeste quant à la règle de droit applicable même s'il s'est inspiré de la définition de harcèlement psychologique contenue à la Loi sur les normes du travail, ce que la CLP a d'ailleurs fait à plusieurs occasions.

 

Bevan et Restaurant Mikes,C.L.P. 258620-71-0504, 13 juin 2007, M.-H. Côté.

À maintes reprises, le tribunal s’est inspiré de la définition de harcèlement psychologique de la Loi sur les normes du travail pour conclure à l’existence d’un événement imprévu et soudain et à l’existence d’une relation entre les événements allégués et la lésion professionnelle.

 

Suivi :

Révision rejetée, 31 mars 2008, Alain Vaillancourt.

Dinello et Télébec ltée, [2008] C.L.P. 173.

La notion de harcèlement psychologique ne se retrouve pas à la LATMP, elle se trouve définie à la Loi sur les normes du travail. Tel que mentionné dans l’affaire St-Martin et Commission scolaire de la Capitale, bien qu’il soit loisible de s’inspirer de la définition de harcèlement psychologique, le tribunal n’a pas à déterminer si la travailleuse a fait l’objet de harcèlement, mais bien si les événements vécus au travail ont causé une lésion professionnelle découlant d’un accident du travail.

 

Claveau et CSSS Chicoutimi - CHSLD Chicoutimi,C.L.P. 320102-02-0706, 11 juin 2008, J.-F. Clément.

Il n'appartient pas au tribunal de décider si la situation correspond à du harcèlement psychologique en vertu de la Loi sur les normes du travail ni même de déterminer s'il y a bel et bien eu harcèlement au sens courant du terme. Toutefois, le tribunal souligne que des actes de harcèlement constituent autant d'événements imprévus et soudains qui justifient le vocable d'accident du travail. Le tribunal doit déterminer si ces événements sont à l'origine de la lésion psychologique. Ce sera le cas si les événements rapportés débordent du cadre normal auquel on est susceptible de faire face dans un milieu de travail donné.

 

Benkacem et Classement 2000 inc.,C.L.P. 366515-63-0812, 5 novembre 2009, M. Gauthier.

Il n’appartient pas au tribunal de décider si la situation dénoncée par le travailleur correspond à la définition de harcèlement psychologique en vertu de la Loi sur les normes du travail. Il s’agit plutôt de déterminer si la prépondérance de la preuve permet de conclure qu’un événement isolé ou un cumul d’événements pouvant être qualifiés d’imprévus et soudains sont à l’origine du problème de santé mentale du travailleur. Il en sera ainsi si les événements rapportés débordent du cadre normal ou prévisible de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail. En conséquence, s’il est prouvé que des paroles vexatoires ont été prononcées ou que des gestes hostiles ou non désirés portant atteinte à la dignité du travailleur ont été posés et que ceux-ci sont à l’origine de la lésion d’ordre psychique, le tribunal n’hésitera pas à conclure que le travailleur a été victime d’un accident du travail.

 

Pellerin et Centre de réadaptation la Myriade, C.L.P. 354609-63-0807, 15 décembre 2009, I. Piché.

Bien que le tribunal n’ait pas à trancher l’existence d’une situation de harcèlement, il lui est toutefois possible de s’inspirer de la définition de cette notion contenue à l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail afin de déterminer ce que peuvent constituer des conditions anormales de travail.

 

M... B... et Compagnie A, C.L.P. 326957-62A-0709, 10 février 2010, C. Burdett.

Lorsqu'un travailleur allègue être victime de harcèlement à son travail, le tribunal analyse la réclamation en fonction de la définition de l'accident du travail. Toutefois, la notion d’événement imprévu et soudain en matière de harcèlement psychologique peut s’analyser en fonction de la définition du harcèlement psychologique contenue à la Loi sur les normes du travail. Le tribunal n’a pas à décider si le travailleur a fait l’objet de harcèlement dans son milieu de travail, mais plutôt déterminer s’il a subi une lésion professionnelle. Pour ce faire, cette définition demeure un élément important dans l’analyse de la notion d’événement imprévu et soudain et le tribunal juge pertinent de s’en inspirer pour décider si le travailleur a été victime d’un accident du travail.

 

M... P... et Ville A, C.L.P. 279423-64-0512, 15 février 2010, M. Montplaisir.

En matière de lésion d'ordre psychologique, il faut faire la preuve de la survenance d'un événement imprévu et soudain au sens de l'article 2 LATMP, soit un accident du travail. Dans plusieurs décisions, le tribunal souligne qu'en dépit du fait que son rôle ne consiste pas à déterminer si le travailleur a été victime de harcèlement au sens de l'article 81.18 de la Loi sur les normes du travail, le tribunal peut s'inspirer de la définition de harcèlement psychologique que l'on retrouve à cette loi et examiner si un supérieur, un ou des collègues de travail ou un tiers ont eu des comportements, posé des gestes ou prononcé des paroles ayant un caractère méprisant, importun ou offensant à l'égard du travailleur. Le comportement de l'employeur relativement à la situation de harcèlement vécue par un travailleur est également pris en compte dans l'analyse du caractère traumatisant des événements allégués.

 

Willis Brazolot & cie inc. et Hugues, C.L.P. 368022-62C-0901, 27 juillet 2010, D. Lévesque.

Selon la jurisprudence, il n’appartient pas au tribunal de décider si la situation dénoncée par la travailleuse correspond à la définition de harcèlement psychologique en vertu de la Loi sur les normes du travail, puisque son rôle consiste plutôt à décider si la lésion d’ordre psychologique résulte d'un cumul d’événements assimilable à la définition d’un accident du travail. Toutefois, l’affaire Claveau et CSSS Chicoutimi - CHSLD Chicoutimi  rappelle que des actes de harcèlement constituent autant d'événements imprévus et soudains qui justifient le vocable d'accident du travail.

 

Bergeron et CSSS Argenteuil, 2013 QCCLP 2439.

Bien que le tribunal n’ait pas à trancher l’existence d’une situation de harcèlement, il lui est toutefois possible de s’inspirer de la définition de cette notion contenue à la Loi sur les normes du travail afin de déterminer ce que peuvent constituer des conditions anormales de travail.

 

Voir également :
Chevrette et Société canadienne des postes, 2022 QCTAT 278.