Présomption est un moyen de preuve
La présomption légale prévue à l’article 28 est un moyen de preuve mis à la disposition du travailleur pour faciliter la démonstration qu’il a subi une lésion professionnelle. La présomption s’interprète de façon large et libérale pour favoriser son application. La présomption permet de présumer un lien de causalité entre la blessure et le travail effectué. Si la présomption s’applique, le travailleur n’a donc pas à faire la preuve d’un événement imprévu et soudain ni d’une relation entre la blessure et son travail. Si la présomption ne s’applique pas, le travailleur devra démontrer qu’il a subi un accident de travail selon l’article 2.
- Établissements de détention Québec et Lemire, [2000] C.L.P. 1029.
La CSST ne peut exiger la preuve d’un événement survenu à un moment précis pour donner ouverture à la présomption de l’article 28. La présomption existe précisément pour éviter au travailleur de devoir faire la preuve d’un événement particulier.
- Michaud c. Côté, [2001] C.L.P. 156 (C.S.).
Puisque l’article 28 vise spécifiquement à faciliter la preuve d'une lésion professionnelle, il n'est pas nécessaire d'établir la survenance d'un événement imprévu et soudain causant une lésion professionnelle, soit un accident du travail. Pour bénéficier de la présomption prévue à cet article, le travailleur doit démontrer la survenance d'une blessure, sur les lieux et dans l'exécution de son travail. Si l'employeur peut tenter de démontrer que la tendinite n'est pas d'origine traumatique, il ne revient pas au travailleur d'établir la survenance d'un événement imprévu et soudain pour bénéficier de la présomption.
- Riel et Banque Nationale du Canada, C.L.P. 286461-71-0604, 16 juillet 2009, M. Langlois (décision rejetant la requête en révision), par. 44 à 46.
Lorsqu’une partie plaide l’application de l’article 28, elle utilise l’un des moyens de preuve prévus à la loi. Ce moyen de preuve a été mis à la disposition du travailleur par le législateur afin de faciliter la tâche du travailleur. Ainsi, une fois les éléments de la présomption établis, le fardeau du travailleur est satisfait et il est dispensé de faire la preuve des éléments de la définition de l’accident du travail au sens de l’article 2 de la loi. Or, si les éléments de la présomption ne sont pas établis, par exemple, s’il ne s’agit pas d’une blessure, la question de l’existence d’une lésion professionnelle demeure entière puisqu’un travailleur peut ensuite faire la démonstration des éléments de la définition de l’article 2, dont l’événement imprévu et soudain, pour établir l’existence de sa lésion professionnelle. De plus, rien n’oblige un travailleur à démontrer d’abord l’application de la présomption avant de procéder à l’analyse en fonction des définitions de l’article 2. Un juge peut, à partir de la preuve, analyser la question de droit sous différents angles. Il n’est pas restreint aux moyens de preuve invoqués par les parties. Ici, la question de droit n’était pas de savoir si l’article 28 s’appliquait, mais plutôt d’établir si le travailleur avait subi l’une ou l’autre des formes de lésion professionnelle.
Suivi :
Requête en révision judiciaire rejetée, 2010 QCCS 3188.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
La présomption prévue à l’article 28 est un moyen de preuve permettant de présumer l’existence d’une lésion professionnelle. La démonstration exigée du travailleur se limite aux seules conditions prévues à l’article 28 et le dispense d’établir celles de la survenance d’un accident du travail. L’objectif de l’article 28 est donc de faciliter la preuve du travailleur. L’application de la présomption dispense le travailleur de faire la preuve d’un événement imprévu et soudain, donc d’un accident du travail et fait présumer la relation causale entre la blessure et les circonstances d’apparition de cette blessure.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
La présomption de l’article 28 doit être interprétée de façon large et libérale en vue de favoriser son application et non pas de la stériliser.
Application de la présomption
Pour apprécier les trois conditions d’application de la présomption, le Tribunal examine, le moment de l’apparition des symptômes, le délai de déclaration de l’événement à l’employeur, le délai de consultation médicale, la poursuite du travail, la crédibilité du travailleur ou l’existence d’une condition personnelle. Il ne s’agit pas de conditions additionnelles à l’application de la présomption, mais plutôt des éléments qui permettent d’apprécier la valeur probante de la preuve des trois conditions d’application de la présomption.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
Le tribunal considère différents éléments qui pourront lui permettre de conclure que la présomption s’applique ou non. Il ne s’agit pas de conditions supplémentaires, mais d’éléments factuels qui servent à l’appréciation de la probabilité que la blessure soit arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail. Il s’agit essentiellement d’indices que le tribunal recherche pour juger si les trois conditions d’application de la présomption de l’article 28 sont démontrées. À titre illustratif, le tribunal aura à apprécier généralement, les éléments suivants en vue d’établir qu’une blessure est arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail :
« - Le moment d’apparition des premiers symptômes associés à la lésion alléguée par le travailleur avec l’événement;
- L’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première visite médicale où l’existence de cette blessure est constatée par un médecin. On parle alors du délai à diagnostiquer la blessure;
- L’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première déclaration à l’employeur. On parle alors du délai à déclarer les faits;
- La poursuite des activités normales de travail malgré la blessure alléguée;
- L’existence de douleurs ou de symptômes dont se plaint le travailleur avant la date alléguée de la blessure;
- L’existence de diagnostics différents ou imprécis;
- La crédibilité du travailleur (lorsque les versions de l’événement en cause ou les circonstances d’apparition de la blessure sont imprécises, incohérentes, voire contradictoires, ou lorsque le travailleur bonifie sa version à chaque occasion);
- L’existence d’une condition personnelle symptomatique le jour des faits allégués à l’origine de la blessure ».
Diagnostics multiples, imprécis ou différents
En présence de diagnostics multiples ou imprécis, le Tribunal évalue d’abord la preuve pour déterminer le ou les diagnostics qu’il doit retenir avant de pouvoir appliquer la présomption. S’il retient plusieurs diagnostics, l’analyse se fait en tenant compte des diagnostics de façon globale.
- Rollin et Areva T & D Canada inc. (TDC), 2011 QCCLP 3651.
Toutefois, même si le diagnostic n’a pas fait l’objet d’une contestation suivant la procédure d’évaluation médicale devant le BEM, la multiplicité des diagnostics posés par un médecin traitant peut entraîner l’obligation pour le tribunal d’identifier celui qui doit être retenu aux fins de la détermination de l’existence d’une lésion professionnelle, cet exercice devant être fait à la lumière de la preuve prépondérante. Lorsque le tribunal se trouve en présence de plusieurs diagnostics posés par les médecins du travailleur, le diagnostic à retenir pour décider de la relation est celui qui est confirmé par les faits. On doit donc étudier les faits entourant l’événement pour procéder à l’identification du diagnostic à partir de la preuve soumise et identifier la lésion qui doit faire l’objet de l’analyse quant à la relation avec le travail.
Suivi :
Requête en révision judiciaire rejetée, 2012 QCCS 1738.
- Potvin et Service sanitaire Frontenac ltée, 2015 QCCLP 1896.
Lorsque le médecin du travailleur pose plusieurs diagnostics, il y a lieu pour le tribunal de procéder à l'identification de celui ou de ceux qui devront faire l'objet de l'analyse quant à la relation avec le travail. Ainsi, même si la question du diagnostic n'a pas fait l'objet d'une référence au BEM, la multiplicité des diagnostics émis par un médecin traitant peut entraîner l'obligation pour le tribunal d'identifier celui qui doit être retenu aux fins de la détermination de l'existence d'une lésion professionnelle. Il est possible qu'une même lésion entraîne plusieurs diagnostics à plusieurs sites différents. Toutefois, lorsqu'un même site anatomique est visé et que des diagnostics ont un certain lien, l'exercice de précision du diagnostic doit être effectué.
- Cloutier-Landry et Costco - Marché central, 2017 QCTAT 1704 (décision accueillant la requête en révision).
Dans le présent dossier, plusieurs diagnostics ont été posés au fil du suivi médical. Dans la première décision, le Tribunal fait une erreur en se considérant lié par tous les diagnostics posés par le médecin du travailleur. Même s’il n’était pas saisi d’une contestation sur le diagnostic, le premier juge devait analyser la preuve pour tenir compte de l’évolution des différents diagnostics. Certaines hypothèses diagnostiques sont émises en cours d’évolution de la lésion, mais elles ne sont pas toujours confirmées par les examens. D'autres diagnostics ne peuvent être retenus étant donné les circonstances d’apparition de la lésion. Il fallait donc déterminer lesquels de ces multiples diagnostics étaient liants aux fins de rendre la décision d’admissibilité. Seuls ces diagnostics peuvent servir à l’analyse pour déterminer si la présomption de lésion professionnelle s’applique.
Voir également :
Villemaire et Garda (division Montréal), 2017 QCTAT 140.
Lorsque le Tribunal retient plusieurs diagnostics, plusieurs décideurs considèrent que l’analyse de la présomption se fait en tenant compte des diagnostics de façon globale. Ainsi, en présence d’un diagnostic de blessure, le travailleur pourra bénéficier de l’application de la présomption alors que les autres diagnostics seront analysés sous l’angle de la relation.
- Mabe Canada inc. (fermé) et Lemay,2015 QCCLP 1633.
Lorsqu’il faut déterminer l’admissibilité d’une lésion professionnelle en présence de plusieurs diagnostics, il ne faut pas analyser la preuve visant à statuer sur l’application ou non de la présomption prévue à l’article 28 de façon compartimentée, mais plutôt de façon globale. Lorsqu’un travailleur subit plus d’une lésion lors d’un même événement, il pourra bénéficier des effets de la présomption de lésion professionnelle dès qu’un des diagnostics retenus constitue une blessure. Par la suite, les autres diagnostics retenus seront analysés afin de décider s’il y a une preuve de relation causale avec l’événement allégué. En l'espèce, puisque le tribunal considère que la tendinite de l’épaule droite constitue une blessure permettant l’application de la présomption de lésion professionnelle, il n’est donc pas nécessaire de se demander si le diagnostic de cervico-scapulalgie peut constituer également une blessure.
- Plomberie KRTB inc. et Gendron, 2015 QCCLP 5232.
En l’espèce, la première condition prévue à l’article 28 est manifestement rencontrée vu les diagnostics retenus, que ce soit l’entorse au genou droit ou la déchirure méniscale interne du genou droit constituant une blessure. Par ailleurs, les deux autres conditions permettant l’application de la présomption de lésion professionnelle sont également rencontrées. Pour ce qui est du diagnostic de déchirure du ligament croisé antérieur, il y a lieu de reconnaître que l’événement survenu au travail a aggravé cette condition personnelle qui était asymptomatique.
Voir également :
Gariépy et Éco Art Réno inc., 2016 QCTAT 6233.
CISSS de Lanaudière et Boudreau, 2017 QCTAT 344.
Masson et Groupe Volvo Canada inc., 2017 QCTAT 822.
Nicolas et PPD Foam Solution inc., 2017 QCTAT 946.
Pour certains décideurs, lorsque plusieurs diagnostics sont retenus, chaque diagnostic doit faire l’objet d’une analyse distincte quant à l’application de la présomption de lésion professionnelle.
- Lefebvre et Soprema Canada inc., 2011 QCCLP 7573.
Après l’examen des différents diagnostics posés par les médecins qui ont eu charge du travailleur successivement, l'analyse de la réclamation doit être faite en fonction des diagnostics d'entorse acromioclaviculaire et de tendinite du sus-épineux de l'épaule droite, et ce, de manière indépendante pour chacun des diagnostics. Faire autrement pourrait amener des situations où un seul diagnostic bénéficiant de la présomption déterminerait l'admissibilité des autres. Les termes utilisés à l'article 28 orientent en ce sens puisque le mot « blessure » est utilisé au singulier et non au pluriel. Enfin, les effets de l'application de la présomption à un premier diagnostic continuent d'exister, même si, pour un autre diagnostic ne bénéficiant pas de la présomption, la preuve ne permet pas de reconnaître un accident du travail au sens de l'article 2.
Voir également :
Pierre-Louis et CHSLD de Laval, 2013 QCCLP 3189.
Blais et Le Groupe Ultragen ltée, 2013 QCCLP 4678.
Voir cependant :
Villa Toyota inc. et Gonthier, 2016 QCTAT 1164.
Crédibilité
La crédibilité du travailleur s’évalue lors de l’application de la présomption.
- Lahouaz et Société de transport de Montréal, 2013 QCCLP 2281.
Dans l’appréciation du témoignage, le tribunal doit considérer la crédibilité d’un témoin, la précision dans son récit des faits, la vraisemblance des faits rapportés, la cohérence et la constance dans ses déclarations. Des contradictions prises isolément peuvent paraître peu ou sans importance. Toutefois, lorsqu’elles sont évaluées globalement et en fonction de l’ensemble de la preuve, ces contradictions peuvent affecter irrémédiablement la crédibilité d’un témoin.
- Société de Transport de Laval et Clerk, 2014 QCCLP 4658.
Dans son appréciation de la crédibilité d'un témoin, le tribunal présume de sa bonne foi. Si une partie prétend qu'un témoin ne dit pas la vérité, elle doit en faire la preuve, notamment en démontrant que le témoin se contredit, a une mémoire défaillante, présente un récit invraisemblable ou encore que son témoignage est contredit par d'autres témoins ou par une preuve matérielle. En l'absence d'une telle démonstration et face à un témoignage crédible, le tribunal ne peut remettre en cause la crédibilité d'un témoin.
Condition personnelle
La présence d’une condition personnelle asymptomatique le jour de l’événement n’est pas un obstacle à l’application de la présomption.
- Plaitis et Modes Conili inc., C.L.P. 126956-61-9911, 3 mai 2000, L. Couture.
Il ne suffit pas de démontrer que la travailleuse était porteuse d'une condition personnelle antérieurement à la lésion professionnelle pour empêcher l'application de la présomption. La présence d'une condition d'ostéoporose ne suffit pas à établir que l'entorse diagnostiquée ne résulte que de cette condition. Une condition personnelle préexistante ne peut, lorsqu'asymptomatique le jour de l'événement, empêcher l'application de la présomption de lésion professionnelle. Le geste accompli par la travailleuse lorsqu'elle a effectué une certaine torsion du tronc, en se relevant, pour soulever un paquet de 20 vestons, est de nature à provoquer l'entorse diagnostiquée le même jour.
- Lalancette et Hydro-Québec, C.L.P. 374945-61-0904, 30 novembre 2010, G. Morin.
Une condition personnelle préexistante n'empêche pas l'application de la présomption de lésion professionnelle, dans la mesure cependant où cette condition est asymptomatique le jour de l'événement accidentel allégué.
- Michaud et Sûreté du Québec, 2014 QCCLP 6845.
Le diagnostic émis est celui de tendinite à l'épaule gauche. Toutefois, le travailleur présentait déjà une calcification avant l'incident. Par ailleurs, une condition personnelle préexistante n'a pas pour effet de faire perdre au travailleur le bénéfice de l'application de la présomption de lésion professionnelle dans la mesure où elle était asymptomatique le jour de l'événement.
Blessure
La blessure est identifiée par le diagnostic posé par le médecin consulté par le travailleur. Le Tribunal est lié par le diagnostic posé par le médecin traitant ou par le diagnostic retenu par le BEM. La blessure correspond à une lésion aux tissus vivants qui provient d’un agent extérieur. L’apparition de la lésion qualifiée de blessure est instantanée et ne comporte pas de période de latence.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
La notion de « blessure » comporte généralement les caractéristiques suivantes :
- Il s’agit d’une lésion provoquée par un agent vulnérant extérieur de nature physique ou chimique, à l’exclusion des agents biologiques comme par exemple des virus ou des bactéries.
- Il n’y a pas de temps de latence en regard de l’apparition de la lésion, c'est-à-dire que la lésion apparaît de façon instantanée. Dans le cas d’une maladie, il y a au contraire une période de latence ou un temps durant lequel les symptômes ne se sont pas encore manifestés.
- La lésion entraîne une perturbation dans la texture des organes ou une modification dans la structure d’une partie de l’organisme.
- L’identification d’une blessure n’a pas à être précédée de la recherche de sa cause et de son étiologie.
- Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’en rechercher la cause ou l’étiologie, la blessure pourra résulter d’un traumatisme direct au site anatomique où elle est observée : on parlera alors, à juste titre, d’une blessure provoquée par un agent vulnérant externe ou encore une exposition à un tel agent, comme l’engelure ou l’insolation, etc.
- La blessure diagnostiquée peut aussi résulter de la sollicitation d’un membre, d’un muscle ou d’un tendon dans l’exercice d’une tâche ou d’une activité; ce type de blessure provoque un malaise ou une douleur qui entrave ou diminue le fonctionnement ou la capacité d’un organe ou d’un membre.
Dans l’analyse de la présence d’une blessure, il ne faut pas rechercher la cause de la blessure, car le travailleur n’a pas à faire cette preuve lors de l’application de la présomption.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
La recherche de la cause de la blessure diagnostiquée n’est pas un préalable à l’application de la présomption de lésion professionnelle. Cette présomption a justement pour objectif de dispenser le travailleur de démontrer la cause de sa blessure. Il est donc inapproprié, aux fins d’appliquer la présomption de l’article 28 de la loi, de rechercher l’étiologie de la blessure diagnostiquée. Procéder à une telle recherche équivaut à chercher la cause de la blessure alors que la présomption vise précisément à éviter l’exigence de cette démonstration.
- Johnson et Consultant Climatisation Konsultec, 2011 QCCLP 7344.
Pour pouvoir bénéficier de la présomption de lésion professionnelle, le travailleur devait établir par une preuve prépondérante qu'il a subi une blessure, que cette blessure est survenue sur les lieux du travail et qu'il était à son travail à ce moment-là. Seuls ces éléments doivent être prouvés, et le fardeau de preuve est celui de la prépondérance des probabilités. Le travailleur n'a pas à démontrer la cause de sa blessure ou encore un mécanisme de production compatible avec celle-ci.
- Zemouche et S.T.O., 2015 QCCLP 941.
Ainsi qu'il ressort de Boies, le travailleur doit établir la présence de trois conditions pour bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue à l'article 28. Il n'a pas à démontrer la cause de sa blessure ni le mécanisme de production compatible avec celle-ci. L'effet de la présomption le dispense de faire la preuve d'un événement imprévu et soudain.
Diagnostic mixte
Le diagnostic est qualifié de mixte quand il peut être une blessure ou une maladie selon le contexte d’apparition de la lésion. Une douleur subite qui apparaît à un moment précis laisse supposer l’existence d’une blessure, contrairement à une maladie qui apparaît de façon graduelle. Par exemple, les diagnostics de hernie discale ou inguinale, de (….ite) ou de dérangement intervertébral mineur (DIM) sont considérés comme des diagnostics mixtes.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
La reconnaissance comme blessure d’une lésion dont le diagnostic est de nature mixte (c'est-à-dire celle qui peut être reconnue à titre de blessure ou de maladie) se fait sans égard à la cause ou à l’étiologie. Ce sont les circonstances entourant son apparition qui doivent être appréciées, notamment l’apparition d’une douleur subite ou concomitante à la sollicitation de la région anatomique lésée.
Apparition graduelle
- Boucher-Boily et Familiprix inc., 2013 QCCLP 6826.
Le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de lésion professionnelle pour une tendinite. En effet, l'apparition graduelle des douleurs et l'absence de traumatisme sont compatibles avec une maladie plutôt qu'avec une blessure.
- Brousseau et Travaux publics et Services Canada, 2015 QCCLP 785.
Les diagnostics de tendinite et de capsulite sont des diagnostics mixtes qui, dans certaines circonstances, peuvent constituer une blessure plutôt qu’une maladie. Cependant, ils ne correspondent pas à une blessure car les symptômes ne sont pas apparus subitement, mais progressivement. En conséquence, nous sommes en présence d’une maladie plutôt que d’une blessure de telle sorte que la première condition de la présomption de lésion professionnelle n’est pas remplie.
Dérangement intervertébral mineur (DIM)
- Natrel (St-Laurent) et Paquette, C.L.P. 274884-63-0511, 27 janvier 2007, C.-A. Ducharme.
Si le dérangement intervertébral mineur ne réfère pas d'emblée à une blessure, comme c'est le cas par exemple d'une entorse, il peut ressortir de l'analyse de l'ensemble des faits du dossier qu'il s'agit d'une blessure. Les circonstances dans lesquelles la douleur s'est manifestée apparaissent ainsi très compatibles avec la production d'une blessure à la région dorsale, surtout dans le contexte où il n'y a aucune preuve d'une pathologie préexistante qui puisse expliquer la manifestation de cette douleur. De plus, l'examen du médecin comporte des signes objectifs d'une lésion, soit la douleur D11-D12 provoquée par la palpation ainsi que les limitations d'amplitude articulaire à tous les mouvements de la colonne dorsolombaire, lesquelles traduisent une souffrance segmentaire.
- Boudreau et CLSC Vallée de la Batiscan, 2014 QCCLP 3006.
Selon la jurisprudence majoritaire du tribunal, il faut associer le diagnostic de DIM à celui d'entorse, surtout lorsqu'il est accompagné d'un spasme vertébral, comme c'est le cas en l'espèce. Cette pathologie correspond à la notion de blessure, de sorte que la première condition d'application de la présomption est remplie.
Hernie discale
- Courchesne et Norampac inc. Division Drummondville, C.L.P. 216601-04B-0309, 17 décembre 2004, J.-F. Clément.
Habituellement, la hernie discale constitue une maladie et non une blessure, puisqu'elle est l'aboutissement, en règle générale, d'une dégénérescence discale et qu'il est extrêmement rare qu'une hernie survienne sur un disque sain. La notion de blessure ne nécessite pas la présence d'un coup direct au site lésé, mais un effort substantiel peut y être assimilé. Ainsi, le fait qu'une lésion soit souvent assimilée à une maladie n'empêche pas qu'elle puisse être également de nature traumatique comme lorsqu'un travailleur fait un mouvement avec force de nature à mettre en contribution un site anatomique particulier. Le fait que le travailleur puisse être affecté d'une condition personnelle antérieure ne fait pas échec à l'application de la présomption de lésion professionnelle lorsqu'il y a présence d'un traumatisme précis. Ainsi, la preuve que le travailleur ait forcé avec son dos et qu'il ait tout de suite ressenti des douleurs suffit à faire entrer la présomption en jeu, compte tenu du diagnostic posé.
- Yergeau et Forages à Diamant Benoit ltée (fermé), C.L.P. 233746-08-0405, 8 avril 2010, L. Nadeau (décision rejetant la requête en révision).
La prétention voulant que le premier juge ait refusé d'appliquer la présomption de lésion professionnelle ne peut être retenue. Le diagnostic étant celui de hernie discale, il s'agit d'une condition pouvant être considérée comme une maladie mais aussi d'origine traumatique. Dans ces situations, où l’on doit déterminer si la lésion identifiée constitue ou non une blessure, l’appréciation des circonstances ayant entouré l’apparition de la lésion est importante et déterminante. Dans ce contexte de la recherche du caractère traumatique d’une lésion donnée, la ligne est parfois ténue entre la preuve d’une blessure et la preuve d’un événement imprévu et soudain, preuve qui effectivement n’est pas requise pour l’application de la présomption de l’article 28. En outre, la jurisprudence demeure partagée à savoir si le diagnostic de hernie discale en est un de blessure. C'est surtout une question d'appréciation de l'ensemble des circonstances entourant l'apparition de la hernie qui permet de conclure dans un sens ou un autre.
Suivi :
Requête en révision judiciaire rejetée, 2012 QCCS 363.
- Tessier et Station Mont-Tremblant (Centre de ski), 2014 QCCLP 4134.
Un diagnostic de hernie discale est un diagnostic mixte : il peut s'agir d'une blessure ou d'une maladie. Il faut examiner les circonstances d'apparition des symptômes de la lésion afin de déterminer si la hernie discale constitue une blessure. Or, la preuve démontre qu'une douleur est apparue subitement alors que le travailleur pelletait de la neige. Par ailleurs, bien que le travailleur ait des antécédents de douleur dans la région lombaire, il a toujours été en mesure d'accomplir son travail, ne s'étant absenté qu'à une seule reprise en raison de maux de dos au cours de la période de 12 mois ayant précédé l'accident allégué. L'apparition d'une douleur subite lors du pelletage du balcon et la sollicitation de la charnière lombaire à l'occasion de cette activité permettent de conclure que le travailleur a subi une blessure.
Hernie inguinale
- J.P. Métal America inc. et Apostolatos, C.L.P. 325881-71-0708, 27 juin 2008, C. Racine.
Les anomalies congénitales ou les autres facteurs personnels favorisant l’apparition d’une hernie inguinale ne font pas en sorte que ce type de hernie ne puisse jamais être considéré comme une blessure au sens de l’article 28. En effet, cette hernie constitue une atteinte à des tissus vivants et, lorsqu’elle résulte d’un agent vulnérant extérieur, comme l’augmentation de la pression intra-abdominale à la suite d’un effort fait au travail, elle répond à la définition du terme « blessure » retrouvé à cet article. Le travailleur ne rapporte aucun antécédent de douleur inguinale et cette douleur apparaît subitement à la suite des efforts nécessités par son travail. Donc, même s’il présente des facteurs prédisposant au développement des hernies inguinales, celles-ci ne font l’objet d'aucune installation progressive permettant de les assimiler à une maladie. De plus, il doit soulever des objets lourds, la plupart du temps sans aide, ce qui accroît la pression intra-abdominale. Ainsi, selon la description du travail et de l’apparition de la douleur faite par le travailleur, le mode d’apparition des hernies et leur progression rapide permettent de les assimiler à des blessures au sens de l’article 28.
- Pétrin et Drakkar & associés inc., 2014 QCCLP 3447.
Dans les cas de diagnostics de nature mixte, comme une hernie inguinale ou une épicondylite, la reconnaissance à titre de blessure se fait sans égard à la cause ou à l'étiologie. Il faut examiner les circonstances de l’apparition de la lésion, notamment l'apparition d'une douleur subite ou concomitante de la sollicitation de la région anatomique lésée. La jurisprudence a déjà reconnu à titre de lésion professionnelle une hernie inguinale lorsque la preuve établissait que le travailleur avait exécuté un mouvement avec effort susceptible de provoquer une augmentation de la pression abdominale. Ainsi, la jurisprudence considère qu'une hernie inguinale peut être assimilée à une blessure.
Diagnostic de « ….ite »
- Lafleur et S.T.M. (Réseau des autobus), 2013 QCCLP 3555.
Le tribunal est lié par le diagnostic de bursite à l'épaule gauche, qui est un diagnostic mixte pouvant être considéré comme une blessure s'il est démontré qu'il peut avoir une origine traumatique. Pour être reconnue à titre de blessure, le travailleur n'a pas à faire la preuve d'un événement imprévu et soudain de la nature d'un traumatisme survenu au travail pour bénéficier de la présomption. Il n'a qu'à démontrer que « la blessure », soit la bursite, est survenue au travail. Il faut mettre l'accent sur les circonstances de son apparition. Cela ne signifie pas que l'on doive rechercher un traumatisme comme tel. Il s'agit plutôt d'examiner si la douleur est apparue subitement ou si, au contraire, elle s'est installée graduellement.
- Langlois et Ambulances Rive-Sud enr., 2014 QCCLP 2750.
Lorsque le diagnostic est hybride, soit de nature mixte, sa reconnaissance comme blessure se fait sans égard à la cause ou à l'étiologie. Le caractère hybride de l'épicondylite fait en sorte que son origine traumatique ne doit pas être telle que le tribunal doive exiger la preuve du traumatisme lui-même. En effet, demander de faire la preuve d'un traumatisme spécifique pour bénéficier de la présomption priverait la travailleuse de ses effets, dont celui de la dispenser de faire la preuve d'un événement imprévu et soudain.
- Morissette et Mondo In inc. (serv traduction), 2014 QCCLP 5669.
Pour considérer que la tendinite du majeur droit constitue une blessure, les faits mis en preuve doivent établir que l'origine traumatique est la plus probable. Plus précisément, la preuve doit démontrer que la douleur est apparue de manière subite dans l'exécution d'un mouvement précis sollicitant la région anatomique visée, sans qu'il soit nécessaire d'établir la survenance d'un événement traumatique. Pour décider de cette question, le tribunal doit apprécier la force probante de la version du travailleur.
- Service d'Entretien Signature et Gelderblom, 2019 QCTAT 771.
Le diagnostic posé tout au long du suivi médical est celui de tendinite ou de tendinopathie calcifiante de la coiffe de rotateurs de l'épaule droite. Il s'agit d'un diagnostic mixte pouvant être assimilé à la fois à une blessure ou à une maladie selon les circonstances de son apparition. Dans Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, le tribunal ne nuance pas son opinion selon le type de tendinite observée. Elle parle généralement du diagnostic de tendinite sans écarter celle qui serait assortie de calcifications. Ainsi, la façon d'évaluer la notion de blessure au regard de ce diagnostic mixte demeure la même, peu importe que des calcifications soient observées lors des différents tests d'imagerie.
- CSSS de Bécancour-Nicolet-Yamaska et Brunet, 2021 QCTAT 1271.
L'employeur prétend qu'une tendinite calcifiée ne constitue pas une blessure mais plutôt une maladie personnelle, dont l'étiologie est incertaine, voire inconnue, qui se développe graduellement plutôt que spontanément. Le tribunal rappelle que la tendinite est une lésion de nature mixte pouvant tout à la fois être assimilée à une blessure ou à une maladie selon les circonstances de son apparition. Or, pour l'application de la présomption énoncée à l'article 28 LATMP, il est inapproprié de rechercher l'étiologie de la blessure diagnostiquée. Procéder à une telle recherche équivaut à chercher la cause de la blessure alors que la présomption vise précisément à éviter l'exigence de cette démonstration. L’affaire Boies ne nuance pas son opinion selon le type de tendinite observée, n'écartant pas d'emblée celle qui était assortie de calcifications dans l'évaluation de la notion de «blessure». Une approche large et libérale doit être favorisée.
Diagnostic d'« algie » ou de douleur
Un diagnostic de douleur peut aussi être une blessure si le dossier révèle des signes de blessures comme par exemple, un spasme, un hématome ou un épanchement. L’évolution du dossier médical peut aussi démontrer l’existence d’une blessure.
- Eng et Quincaillerie Richelieu inc., C.L.P. 340868-61-0802, 10 décembre 2008, I. Piché.
Les diagnostics retenus alternativement par les médecins ayant charge de la travailleuse sont ceux de dorsalgie, cervicobrachialgie et douleurs cervicales. Or, bien qu’il ne faille pas d’emblée écarter, à titre de blessure, les diagnostics d’« algies » évoquant strictement une symptomatologie douloureuse, le tribunal estime cependant que l’analyse du tableau clinique doit permettre de déceler des signes cliniques objectifs révélateurs de l’existence d’une blessure. En l’occurrence, la preuve contenue au dossier permet de retrouver plus que de simples allégations subjectives de douleurs, notamment par la mention des médecins et physiothérapeutes de pertes d’amplitude articulaire cervicale ou encore de la présence de spasmes.
- Société de Transport de Montréal et Carrière, 2011 QCCLP 1000 (décision accueillant la requête en révision).
Un diagnostic d'« algie » fait davantage référence à une douleur qu'à une blessure. La CLP doit examiner l'ensemble des faits afin de préciser ce diagnostic et tenter d'objectiver une blessure. Or, la dorsalgie, comme tout autre diagnostic d'« algie » ou de douleur, ne constitue pas une blessure, à moins d'une preuve médicale d'atteinte précise, tels un spasme, une contracture ou une limitation de mouvement objectivée par une perte d'amplitude. La jurisprudence indique également que, en présence d'un diagnostic d'« algie », le tribunal doit rechercher des signes cliniques objectifs pour conclure à la présence d'une blessure.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
Lorsque le diagnostic évoque des symptômes ou des douleurs (par exemple « algie »), il peut aussi s’agir d’une blessure : c’est l’analyse de l’ensemble du tableau clinique qui permettra de déceler des signes objectifs révélateurs de l’existence de la blessure. (ex. : spasme, contracture, hématome, ecchymose, épanchement, contusion, etc.).
- Landry-Martin et Couvre-Planchers S.L.M. inc., 2014 QCCLP 5617.
Les diagnostics posés sont ceux de douleur paralombaire droite, de lombalgie et de blessure lombaire. Même si les diagnostics de douleur paralombaire et de lombalgie peuvent semer un doute quant à l’existence d’une blessure, ce doute peut être dissipé comme en l'espèce, à la suite d’un complément de rapport médical fourni par le médecin traitant.
Lésion psychologique
La lésion psychologique ne constitue pas une blessure, car elle ne concerne pas la condition physique d’une personne. La présomption de l’article 28 ne s’applique pas en présence d’une lésion psychologique.
- Claveau et CSSS Chicoutimi - CHSLD Chicoutimi, [2008] C.L.P. 224.
Une lésion de nature psychologique ne peut constituer une blessure au sens de l'article 28, concept ne comprenant uniquement des lésions d'ordre physique.
- Tardif et Repentigny Mitsubishi, 2011 QCCLP 4744.
En présence d'une blessure, le législateur accorde une présomption de lésion professionnelle au bénéfice des travailleurs à l'article 28. Or, rien ne permet d'associer la lésion psychique de la travailleuse à une blessure. En l'absence de présomption, elle doit démontrer que la dépression diagnostiquée par son médecin est la résultante d'un événement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l'occasion de son travail tel que l'énonce l'article 2.
- Godbout et Centre de la petite enfance Alakazoum, 2014 QCCLP 2207.
La travailleuse prétend que les circonstances d'apparition du diagnostic de stress post-traumatique permettent d'appliquer cette présomption. Or, suivant une jurisprudence constante une lésion de type psychique ne peut être assimilée à une « blessure », l'une des trois conditions d'application de la présomption. En effet, la notion de blessure réfère à l'intégrité physique d'une personne et non à son intégrité psychique ou psychologique. Il faut donc analyser la réclamation sous l'angle de l'accident du travail.
- St-Amand et Commission scolaire de Sorel-Tracy, 2015 QCCLP 456.
Le tribunal estime que le diagnostic de stress post-traumatique ne correspond pas à la notion de blessure prévue à l’article 28, soit une lésion provoquée par un agent vulnérant extérieur. Comme le terme blessure réfère à une lésion faite à un tissu vivant par une cause extérieure, on ne peut assimiler la blessure à une notion d’ordre moral. Les diagnostics de lésions psychologiques ne sont donc pas considérés comme des blessures. La travailleuse ne peut donc bénéficier de l’application de cette présomption de lésion professionnelle. Elle a le fardeau de démontrer qu’elle a subi un accident du travail au sens de l’article 2.
Qui arrive sur les lieux du travail
La blessure doit arriver sur les lieux physiques où le travailleur exerce son travail. La notion de « qui arrive sur les lieux du travail » n’implique pas de faire la preuve du lien de causalité entre la blessure et l’événement, mais plutôt d’examiner la concomitance entre les trois éléments de la présomption.
- Bossé et Atelier Gérard Laberge inc., C.L.P. 333544-62A-0711, 24 février 2009, M. Auclair.
Les termes « qui arrive » renvoient à la nécessité d’une concomitance entre les trois éléments constitutifs de la présomption qui doivent être démontrés. Il faut que la preuve permette de conclure que la blessure s’est produite sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail. Une preuve trop imprécise quant aux circonstances de la survenance de la blessure ne permet pas de conclure qu’elle est survenue au travail alors que le travailleur était à son travail.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
L’utilisation des termes « qui arrive » n’implique pas une exigence sous-jacente visant à démontrer un mouvement ou un geste de nature à expliquer, sur le plan causal, la lésion diagnostiquée. C’est la connotation « temporelle » qui ressort de cette définition et non le caractère de « causalité ». Les termes « qui arrive » exigent uniquement une corrélation temporelle entre le moment de la survenance de la blessure et l’accomplissement par le travailleur de son travail.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
La notion de « lieux du travail » vise l’endroit physique où le travailleur exécute son travail, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement ou même de la propriété de l’employeur. La notion de « lieux du travail » comprend tous les lieux auxquels le travailleur a accès pour exécuter son travail y compris, par exemple, un camion. Toutefois, on ne pourra pas conclure à la survenance d’une blessure sur les lieux du travail si celle-ci arrive dans un endroit où le travailleur n’est pas à son travail, comme un stationnement ou les aires de repos.
- Comptoirs Moulés Repentigny inc. et Migneault, 2013 QCCLP 6595.
La condition « qui arrive sur les lieux du travail » n’exige pas la description d’un mécanisme de production de la blessure, d’un mouvement ou d’un lien de causalité.
- Coopérative de soutien à domicile de Laval et Lapointe, 2014 QCCLP 2226.
Quant à la seconde condition, elle n'exige pas de la travailleuse la description d'un mécanisme de production de la lésion, d'un mouvement particulier ou du lien de causalité puisque, à ce stade, cela équivaudrait à exiger la preuve d'un fait accidentel et précis et viderait la présomption de tout sens. C'est plutôt la connotation temporelle qui est recherchée.
Alors que le travailleur est à son travail
Le travailleur doit exercer son travail quand il se blesse. S’il se trouve dans le stationnement ou dans les aires de repos, la présomption ne peut pas s’appliquer, car il ne fait pas son travail.
- Campeau et Ville de Montréal, [2002] C.L.P. 866.
En utilisant les mots « alors que » dans l’article 28, le législateur a exigé la preuve d’une corrélation temporelle entre le moment de survenance de la blessure et l’exécution par la victime de son travail, pas davantage ni rien d’autre. Interpréter les termes de l’article 28 comme obligeant le travailleur à prouver l’existence d’un lien de causalité entre son travail et sa lésion revient à exiger de lui une démonstration dont l’article vise justement à le dispenser. L’article 28, lorsqu’applicable, permet en effet de présumer que la lésion subie est professionnelle, donc qu’elle est en lien direct avec le travail de la victime.
- Bédard et C.H.U.Q. (Pavillon Hôtel-Dieu), 2012 QCCLP 4614.
L'expression « être à son travail » ne limite pas l'application de la présomption aux seules situations pour lesquelles le travailleur exerce sa fonction principale. Toutefois, cette expression désigne le moment où le travailleur se trouve dans l'exécution même de ses fonctions principales ou accessoires, c'est-à-dire toutes tâches pour lesquelles il a été embauché et pour lesquelles il perçoit habituellement une rémunération. Il s'ensuit que la blessure subie avant d'arriver au travail, sur le terrain de stationnement d'un employeur ou dans les vestiaires mis à la disposition des travailleurs par l'employeur, ne bénéficie pas de la présomption puisque le travailleur n'est pas à son travail.
- Gélinas et Autobus Transco 1988 inc., 2015 QCCLP 3054.
L’expression « être à son travail » n’inclut pas le fait de se rendre à l’extérieur des lieux de travail pour prendre sa pause ni le fait d’entrer ou de sortir du lieu de travail.
Renversement de la présomption
La présomption peut être renversée si l’employeur démontre l’absence de relation entre la blessure et l’événement ou que la blessure provient d’une cause non reliée au travail. L’absence d’un événement imprévu et soudain ne permet pas de renverser la présomption. La présence d’une condition personnelle ne permet pas non plus à elle seule de renverser la présomption, car l’aggravation d’une condition personnelle peut constituer une lésion professionnelle.
- Bergeron et Hôpital Sacré-Coeur de Montréal-QVT,C.L.P. 194505-64-0211, 16 janvier 2004, J.-F. Martel.
Puisqu'elle n'est pas irréfragable, la présomption peut être repoussée par l'administration d'une preuve contraire. Cependant, il ne suffit pas de prouver qu'une condition personnelle a pu causer la lésion, ou même qu'elle a effectivement contribué à son apparition. En l’espèce, l'employeur n'a pas démontré, par une preuve prépondérante, que la condition personnelle du travailleur était la seule cause de la lésion, que celle-ci ne pouvait résulter de l'événement allégué ou que le geste posé n'était pas susceptible de l'avoir produite.
- Naud et C.P.E. Clin d'oeil, C.L.P. 385736-63-0908, 29 septembre 2010, P. Bouvier.
L’absence de preuve d’un traumatisme ou d’un événement imprévu et soudain ne peut permettre de repousser l’application de la présomption de l’article 28. Exiger une telle preuve revient à stériliser la portée de cet article. De plus, le tribunal ne retient pas l’argument de l’employeur s’articulant sur la normalité du geste posé par la travailleuse. Retenir ses prétentions à cet égard favoriserait une interprétation déraisonnable de la loi.
- Hydro-Québec et Parent, 2011 QCCLP 459.
C'est davantage la compatibilité entre la lésion et l'événement allégué qui importe, plutôt que la qualification de l'événement. La présomption de lésion professionnelle a pour effet d'imposer à l'employeur de démontrer par une preuve prépondérante, et non par simple allégation, que la lésion ne peut résulter de l'événement allégué. L'employeur doit démontrer que le geste posé ne peut entraîner une telle lésion ou encore qu'une telle lésion provient d'une autre cause. Ainsi, la présomption de lésion professionnelle peut être renversée par l’absence d’une relation entre les gestes posés et la lésion diagnostiquée.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
La présomption peut être renversée en l’absence d’une relation causale entre la blessure et les circonstances de son apparition. Également, la preuve prépondérante que la blessure n’est pas survenue par le fait ou à l’occasion du travail ou provient d’une cause non reliée au travail permet le renversement de la présomption. L’appréciation de la présence de l’évolution d’une condition personnelle préexistante se fera à l’étape du renversement de la présomption lorsque l’absence de relation entre la blessure et les circonstances de son apparition est démontrée. La preuve relative à l’apparition d’une lésion reliée à l’évolution naturelle d’une condition personnelle préexistante peut alors être administrée. Cette démonstration prépondérante doit être faite puisque rien n’empêche qu’une blessure se superpose à une condition personnelle préexistante.
- Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.
Ces motifs ne permettent pas le renversement de la présomption : - L’absence d’événement imprévu et soudain; - L’existence d’une condition personnelle en soi ne fait pas nécessairement obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle en raison de la théorie du crâne fragile. - Le seul fait que les gestes posés au travail étaient habituels, normaux, réguliers.
- Coffrages L.D. inc. et Gignac, 2011 QCCLP 4232.
L’employeur, en prétendant que le mécanisme de production de l’entorse à la cheville est inexistant et que les gestes posés par le travailleur étaient normaux et exécutés de façon préméditée, volontaire et planifiée, tente surtout de démontrer l’absence d’événement imprévu et soudain. Accepter cet argument reviendrait à court-circuiter l’application de la présomption dont l’utilité est évidemment d’éviter à un travailleur d’avoir à démontrer l’existence d’un événement imprévu et soudain. Demander à un travailleur de faire cette preuve afin d’éviter le renversement de la présomption nie l’objectif de la présomption de l’article 28.
Suivi :
Révision rejetée, 2011 QCCLP 7867.
- Gestion Hunt Groupe Synergie inc. et Darsigny-Moquin, 2014 QCCLP 2909.
Dans le contexte d'une preuve d'absence de relation causale entre le diagnostic posé et l'événement, l'employeur est fondé à remettre en question le mécanisme de production de la lésion alléguée. Il ne s'agit pas de renverser l'application de l'article 28 par une preuve d'absence d'événement imprévu et soudain, mais bien de démontrer que l'événement ne permet pas d'inférer qu'il a, par son mécanisme, pu « causer » le diagnostic.
- Zemouche et S.T.O., 2015 QCCLP 941.
L’absence d’événement imprévu et soudain ou la simple allégation selon laquelle il ne s’est produit aucun geste anormal, inhabituel ou irrégulier au travail ne sont pas suffisantes pour renverser la présomption acquise au travailleur.
La présomption s’applique aux agents de l’état fédéral
Les employés du gouvernement fédéral visés par la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État bénéficient de l’application de la présomption de l’article 28.
- Fortin et Pêches et Océans Canada, 2014 QCCLP 2196.
L'article 4 de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État prévoit notamment qu'un agent de l'État « blessé dans un accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail » a droit à une indemnité déterminée conformément à la législation de la province où il exerce habituellement ses fonctions. Ainsi, le tribunal analyse la preuve de la notion d'« accident du travail » telle que définie à l'article 2, puisque cette notion est similaire à celle établie dans la loi fédérale. Afin de faciliter la présentation d'une telle preuve par le travailleur, le législateur québécois prévoit à l'article 28, une présomption de lésion professionnelle. Jusqu'à récemment, le tribunal n’appliquait pas cette présomption en faveur d'un agent de l'État. Or, à la suite du jugement rendu par la Cour suprême, soit dans Martin c. Alberta (Workers' Compensation Board), il appert que les critères d'admissibilité en matière d'accident du travail peuvent être déterminés par les législatures provinciales dans la mesure où ces critères n'entrent pas en conflit avec les dispositions de la loi fédérale. L'article 28 apporte des modalités au processus d'admissibilité d'un accident du travail sans pour autant contrevenir au texte de la loi fédérale. Ainsi, la présomption de lésion professionnelle est applicable à un agent de l'État.
Voir également :
Hamilton et Ministère des Anciens Combattants, 2014 QCCLP 3898.
Lapointe et Pêches et Océans Canada, 2015 QCCLP 985.